Fraude fiscale et possibilité de sa prévention dans l’économie congolaise


Tshitakamona Kasende Nestor 

Vol. XXI, n°1, Jan 2024 p. 37-52 

Résumé  

La fraude fiscale engendre un manque à gagner énorme dans le compte du trésor du public. Les pouvoirs publics doivent s’opposer à cette pratique malsaine et incivique en appliquant des mesures correctives pour atténuer ce fléau notamment par l’instauration de la transparence dans l’utilisation des fonds publics en sollicitant une participation active et constante de la population à ces dépenses.

Introduction

Les mutations de l’Etat gendarme vers un Etat providence ont modifié la fonction de l’Etat qui jadis s’intéressait à la protection civile et des frontières s’est vu obligé d’assurer le bien-être de sa population. L’obtention de cette providence n’est pas un fait du hasard mais passe nécessairement par la dotation, par l’Etat, des moyens nécessaires à sa cause. La recherche de ces moyens n’a rien d’autre que le prélèvement fiscal comme base.

Ainsi, la maximisation des recettes publiques demeure un défi majeur de tous les gouvernements que ce soit dans les pays développés ou dans les pays en voie de développement. De là, Bakandeja wa Mpungu (2006) affirme que : « gouverner c’est non seulement dépenser mais aussi générer au maximum des ressources financières conséquentes devant permettre la couverture des dépenses publiques liées au fonctionnement quotidien de l’Etat et à sa politique d’intervention dans le domaine économique et social ».

La RD Congo notre pays ne fait pas exception à cette règle qui est commune à tous les Etats surtout dans cette ère de la globalisation qui se caractérise par le développement croissant du rôle interventionniste de l’Etat. Raison pour laquelle la constitution de 2006 a érigé, à l’Article 174 alinéa 2, la contribution aux charges publiques comme un devoir pour toute personne vivant en République Démocratique du Congo. Par ailleurs, l’article 65 de la même constitution renchérit que « tout congolais est tenu de remplir loyalement ses impôts et taxes ». Ces deux dispositions permettent à l’Etat de générer l’essentiel de ses ressources de la fiscalité interne.

Cependant, la fraude fiscale généralisée limite considérablement les ambitions de l’Etat dans sa politique de maximisation de recettes publiques. Il convient de signaler qu’en RDC, la fraude fiscale provoque des pertes énormes de recettes publiques. Cette perte de recettes budgétaires entraîne la modicité des recettes internes et par conséquent met l’Etat dans la dépendance financière vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux.

La présente étude analyse profondément des causes de la fraude fiscale afin d’arriver à ressortir les mécanismes qui peuvent contribuer à la prévenir.

1. Notion de fraude fiscale

1.1. Eléments de définition

Le législateur ne définit pas expressément la fraude fiscale qu’il érige en infraction. Il utilise plutôt l’expression « intention frauduleuse » qu’il dépeint à l’article 101 de la loi N°004/2003 du 13 Mars 2003 comme étant l’intention qui consiste « à poser des actes en vue de se soustraire ou de soustraire un tiers à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt dû ».

L’article 1741 du code général des impôts français, cité par Gambier et Mercier (2004), dispose de façons plus ou moins détaillée que commet la fraude fiscale, « … quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts,… soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une partie des sommes sujettes à l’impôt, soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou mis un obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse,… ».

Par fraude fiscale, il faut entendre, au sens que donnent Guillien et Vincent (2003), la soustraction illégale à la loi fiscale de tout ou partie de matière imposable qu’elle devrait frapper. 

1.2. Formes de fraudes fiscales

L’omission volontaire de déclaration

Selon Muamba Mukole (2014), Cette infraction consiste pour un contribuable d’omettre de manière volontaire de déclarer une matière légalement imposable, violant ainsi l’obligation lui incombant de payer ce qui est dû légalement au fisc du fait de son activité lucrative, de son bien ou de son profit. Le contribuable agit donc par négligence dans le dessein de se soustraire à l’imposition.

La dissimulation des sommes sujettes à l’impôt

A la différence de l’omission volontaire de déclaration, la dissimulation est le fait de cacher les sommes qui, légalement sont imposables par le fisc. Ici, le contribuable soustrait à la vue et à la connaissance du fisc, les sommes concernées, de sorte que ce dernier n’ait pas l’idée sur leur existence. Cette infraction est souvent commise en recourant, à la thésaurisation des sommes détenues par le contribuable, d’autant plus qu’il est facile de cacher ce que l’on possède Muamba Mukole (2014).

Parfois, le coupable recourt à la tenue d’une double comptabilité, l’une représentant l’activité réelle de l’entreprise et l’autre, destinée au fisc, faisant apparaître un résultat net imposable minoré permettant de dissimuler une partie des sommes sujettes à l’impôt (Bulletin officiel des finances publiques-impôts (France), 2014).

La passation délibérée des écritures fictives ou inexactes dans les livres comptables.

Cette infraction a un caractère purement comptable dans la mesure où elle consiste à tracer des opérations comptables non conformes à la réalité. Les opérations comptables ainsi enregistrées soit dans le livre-journal, dans le bilan ou dans l’inventaire sont entachées d’inexactitude. Toutes fois, les livres comptables peuvent être assimilés au certificat de salaire ou autres attestations délivrées par des tiers à condition que cela cadre avec l’information comptable ou financière du contribuable.

L’incitation du public à refuser ou retarder le paiement de l’impôt

Il s’agit ici pour une personne (incitateur) de fomenter dans l’esprit des contribuables (incité), la détermination, par un refus ; de ne pas payer l’impôt ou de retarder son paiement. Dans cette situation, l’infraction sera retenue non seulement lorsque les incités n’auront pas payé l’impôt ; mais aussi lorsqu’ils se seront exécutés tardivement. La nature et la forme de l’incitation n’étant pas déterminées par la loi, on peut donc déduire que tout acte (geste, écrit, propos, etc.) qui aurait pour finalité d’influer négativement sur l’obligation fiscale de payer l’impôt sera retenu comme élément matériel sur l’obligation fiscale du public à refuser ou retarder le paiement de l’impôt.

L’émission des fausses factures

Pour Muamba Mukole (2014), Les factures étant des pièces justificatives des opérations comptables, elles sont indispensables à l’information comptable et financière, qui permet au fisc de mieux procéder au contrôle fiscal sur pièces, en cas de doute ou d’inexactitude. Le législateur réprime ceux qui établissent des fausses factures puisque celles-ci tendent souvent à minorer les bases d’impositions aux différents impôts et taxes (exemple la TVA), de dissimuler les opérations, de détourner les fonds de l’actif soit d’obtenir certains avantages tels que le droit à la déduction en matière de la TVA.

L’opposition à l’action de l’Administration des impôts

Il n’est pas facile de définir l’action de l’Administration des impôts. Le législateur lui-même ne l’a pas fait, comme ailleurs, pour tous les termes d’autres infractions précédentes. A cet égard, l’on peut déduire que cette opposition peut être formulée contre toute démarche de l’Administration ou toutes opérations de cette dernière rentrant dans le cadre de ses fonctions telles que conférées par la Constitution du 18 février 2006 sur la répartition des compétences fiscales entre le pouvoir central et les provinces. L’opposition peut donc être faite notamment contre le contrôle fiscal, la mise en demeure pour retard de déclaration, de paiement, etc.

L’agression ou l’outrage envers un agent de l’Administration

Il a paru nécessaire pour le législateur de protéger la personne de l’agent fiscal car sur terrain, il peut arriver qu’un agent de l’Administration des impôts puisse faire l’objet, pendant l’exercice de ses fonctions, d’une insulte voire d’une agression physique de la part d’un contribuable.

L’agression doit être physique, c’est-à-dire contre la personne physique de l’agent en fonction. Notamment, un coup de poing, un coup de bâton, une gifle. De même, le fait pour un contribuable de laisser ses chiens ou ses gardiens attaquer l’agent fiscal, constitue une agression. L’outrage, cependant, s’exprime par toute forme des paroles injurieuses, humiliantes ou dégradantes, notamment les insultes. Mais un simple propos discourtois du genre : « fous-moi la paix et fais ton travail », ne peut suffire comme l’élément matériel de l’infraction.

En plus, il convient de préciser que l’agression ou l’outrage ne peuvent être retenus comme infraction que lorsqu’ils sont orientés vers un agent en train d’effectuer une mission régulièrement ordonnée ; agent muni éventuellement d’un ordre de mission dûment délivré. Un agent du fisc qui serait outragé ou agressé en dehors de sa mission pourra agir en justice conformément au droit commun (Muamba Mukole, 2014).

L’élément moral de la fraude fiscale

A l’exception de l’agression ou de l’outrage envers un agent fiscal qui peut résulter d’une mésentente ou de l’incompréhension entre le contribuable et l’agent fiscal, toutes les autres infractions fiscales se commettent avec une intention frauduleuse.

Le sens de l’article 101 : « qui procèdent manifestement de l’intention frauduleuse, … » et les mots tels que « volontaire », « délibéré » suffisent pour étayer cette postulation. Cela sous-entend que si l’administration fiscale n’arrive pas à démontrer en quoi consiste la mauvaise foi du contribuable et/ou son intention frauduleuse, ce dernier ne peut être sanctionné. Parce que « la bonne foi est toujours présumée et il appartient à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver » dit-on.

Disons par ailleurs que le principe : « actori incumbit probatio… », est également d’application en matière fiscale. La logique juridique véhiculée à travers cette maxime latine voudrait qu’il incombe au fisc, à travers l’agent revêtu de la qualité d’OPJ soit de Directeur, tel que précisé par la loi ; d’apporter les éléments de preuve sur la matérialité des faits ainsi que la responsabilité du délinquant. Ce n’est donc pas au contribuable poursuivi de prouver de son innocence. Et au cas où le fisc n’y parvient pas, le juge devra acquitter le prévenu conformément aux principes du droit pénal général.

La procédure de saisine du juge en cas de fraude fiscale

Les poursuites pénales en matière fiscale sont spécifiques mais ressemblent à celles de certaines infractions de droit commun sur le point relatif à la plainte. On peut notamment citer le cas de la grivèlerie et l’adultère.

En effet, il ressort des dispositions de l’Art. 103 de la loi N°004/2003 portant réforme des procédures fiscales que « les poursuites … sont exercées par le procureur de la République à la requête de l’agent de l’Administration des impôts revêtu de la qualité d’Officier de Police judiciaire à compétence restreinte, du Directeur Général ou du Directeur compétent, selon le cas ».

Au sens de cet article, c’est à l’administration fiscale que le législateur reconnait le pouvoir d’apprécier de l’opportunité ou des poursuites judiciaires. La conséquence de cette procédure est d’entrainer l’irrecevabilité de toute action publique fiscale mue par le ministère public sans plainte préalable de l’une des personnes spécifiées à cet article 103, pour vice de procédure.

Signalons par ailleurs que les infractions en matière fiscale sont de la compétence du Tribunal de Grande Instance soit du lieu du domicile ou de la résidence du prévenu, soit du lieu de la commission des faits infractionnels.

1.3. Les sanctions applicables en cas d’infractions fiscales

Le législateur fiscal congolais prévoit deux catégories des sanctions dans le cadre de la répression des infractions fiscales.

D’une part, nous avons les sanctions fiscales, dites pécuniaires, qui ont une nature purement administrative dans la mesure où elles sont appliquées par l’Administration fiscale elle-même aux contrevenants. Elles comprennent essentiellement :

§  Les pénalités d’assiette : qui sanctionnent le défaut de déclaration au regard de délais légaux, des déclarations inexactes, incomplètes ou fausses ;

§  Les pénalités de recouvrement, qui sont infligées pour retard dans le paiement des impôts et autres droits dus. L’art 91 de la Loi N°003/2003 fixe l’intérêt moratoire à un taux de 10 % par mois de retard ;

§  Les astreintes, qui répriment le refus de répondre dans un délai à une demande de renseignement. Elles sont fixées à 100 FF pour les personnes morales et 25 FF pour les personnes physiques par jour de retard jusqu’au jour de la communication des informations demandées ;

§  Les amendes administratives : elles répriment le non-respect des formalités comptables et fiscales ainsi que le mauvais comportement du contribuable, du redevable ou de toute autre personne tendant à faire perdre au Trésor public les droits dus, soit par le contribuable ou le redevable légal, soit par les tiers.

D’autre part, nous avons des sanctions pénales qui sont appliquées par le juge au cas où l’Administration fiscale estime que les faits infractionnels revêtent une certaine gravité et que les sanctions fiscales semblent non adéquates.

Bien que le barème de ces sanctions nous semble consistant pour dissuader les fraudeurs ; l’on constate malheureusement que la fraude fiscale se généralise en RDC. La question qui nécessite réponse est celle de savoir quelles peuvent être les causes d’amplification de la fraude fiscale en RDC. La lecture de l’article 84 nous précise que les sanctions pénales vont d’un emprisonnement d’un à trente jours, d’une amende égale au montant de l’impôt éludé ou non payé dans le délai imparti ou l’une de ces peines seulement pour la première infraction ; à un emprisonnement de quarante à soixante jours ; d’une amende égale au double du montant de l’impôt éludé ou non payé dans ce délai, ou l’une de ces peines seulement en cas de récidive

2. Analyse des causes de la fraude fiscale en RD Congo

Les causes de la fraude fiscale en RDC sont multiples. Nous nous attarderons aux plus importantes.

2.1. La complexité de l’herméticité des lois fiscales

En scrutant le système fiscal congolais, on se rend compte que celui-ci dispose des outils fiscaux qui nécessitent d’être commentés et même traduits en langues nationales de manière à permettre leur connaissance de la part de leurs destinataires. Parce que, percer le langage et le vocabulaire juridiques est un exercice à la fois difficile pour certains juristes et les non-juristes, a fortiori pour les analphabètes !

Cela ne semble cependant pas être le cas. La matière fiscale constitue en RDC, un domaine réservé auquel on semble attribuer un certain ésotérisme. Les lois fiscales nouvelles comme anciennes, ne sont pas connues du Grand public qui ignore les impôts et s’interroge sur leur légalité même. Peut-on dans ces conditions opposer aux contribuables l’adage « nul n’est censé ignoré la loi » ?

Dans ce même chapitre, il faut déplorer le fait que les modifications régulièrement apportées aux textes fiscaux ne sont pas souvent portées à la connaissance des contribuables. Ces derniers se retrouvent avec des impôts qu’ils ne comprennent pas et estiment dès lors que ce sont des manœuvres orchestrées par les agents du fisc pour leur soutirer indûment de l’argent.

2.2. L’inefficacité de l’action de l’Administration fiscale

L’action de l’Administration fiscale se révèle de plus en plus inefficace. Cette inefficacité est due à :

§  La sous-administration fiscale qui résulte de l’insuffisance et la répartition déséquilibrée des agents fiscaux ainsi que du manque d’équipements adéquats. La sous-administration entraîne l’absence de maîtrise de tous les foyers fiscaux disséminés à travers le pays par le fisc et crée des opportunités aux fraudeurs ;

§  La mauvaise administration fiscale qui est la résultante de la corruption, du clientélisme et bien d’autres maux qui rongent la société congolaise.

Buabua wa Kayembe (2006), décrit correctement cette situation quand il écrit : « les services fiscaux et douaniers congolais sont littéralement confisqués par certains agents corrompus ayant été la base de plusieurs cas de fraude, qui utilisent l’argent ainsi amassé pur hisser à des hautes fonctions de direction ». Dans un tel contexte dominé par la corruption, il n’est pas difficile de voir les agents fiscaux passer des ententes collusoires avec certains contribuables pour les aider à frauder les impôts.

Par ailleurs, certains agents de fisc ont pris l’habitude de fomenter des taxes illégales pour rançonner les contribuables. Cela crée finalement un sentiment de méfiance et de résistance dans le Chef de contribuables et perturbe les démarches de l’administration fiscale, légales qu’elles soient car vues d’un mauvais œil par les contribuables.

2.3. L’élargissement illégal du champ des exonérations

La constitution du 18 février 2006 pose de garde-fous en précisant à l’article 174 qu’il ne peut être établi d’exemption où d’allègement fiscal qu’en vertu de la loi.

Cependant, note Lembo Nkolotang (2000), plus d’un observateur avisé est surpris d’assister à l’apposition des mentions officielles DGI, CENI etc. sur des engins privés dans le but de les faire échapper à l’imposition. Que dire des institutions religieuses, caritatives, etc. qui, bénéficiant des exonérations des droits et taxes sur différents biens, les détournent ensuite de leur destination initiale en les affectant à des objectifs mercantiles.

La révolte que suscite l’incivisme fiscal en RDC nous pousse à penser que la RDC est peut-être l’unique pays aujourd’hui au monde où certaines personnes naissent, grandissent et meurent sans avoir payé l’impôt.

2.4. L’inefficacité des services publics fournis par l’Etat en retour

En dépit de l’inexistence d’une contrepartie directe et immédiate, l’impôt n’est légitime que si l’utilité des services publics rendus par l’Etat est supérieure aux sacrifices de la pression fiscale subie par les contribuables. Dans le cas contraires, il est un instrument d’asservissement « un vol, une spoliation, ».

L’incapacité de l’Etat congolais de fournir des services publics de qualité à ses sujets, pousse ces derniers à contester et à frauder les impôts et taxes. Sans pourtant cautionner leur incivisme, on peut néanmoins admettre que l’intérêt étant la mesure de l’action, un contribuable de Beni, Bunia, Butembo, Walikale, etc. victime des guerres et agressions interminables (ADF-NALU, Maï-Maï, FDLR, LRA, FRPI, etc.) ne trouvera logiquement aucun intérêt à payer l’impôt à un Etat incapable de lui assurer la sécurité. De même, si les agents fiscaux avaient conscience, il ne pouvait que paraître mal aisé d’aller percevoir l’impôt foncier sur des terrains exposés à des érosions.

2.5. La multiplicité d’impôts et taxes

En examinant le système fiscal congolais, on se rend à l’évidence qu’il y a à la fois diversité et multiplicité d’impôts et taxes en RDC ayant en plus des taux souvent élevés.

Yav Mulang (2008), encore Administrateur délégué de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) fustigeait cette situation en ces termes : « …, le taux de l’impôt sur le bénéfice est de 40 % en RDC alors qu’il se situe en moyenne autour de 25 % dans d’autres pays ; le droit proportionnel sur l’augmentation du capital est de 6 %, ailleurs il est de 1 % ». Plus la pression fiscale est forte, plus l’incitation à la fraude est grande. « Trop d’impôts tue l’impôt », énonce un adage courant.

S’opposant à tout impôt exagéré, les économistes comme Adam Smith et Frédéric Bastiat en ont dénoncé les effets pervers et ont même défendu le droit de résistance du citoyen contribuable. Bastiat l’exprime mieux quand il écrit : « la spoliation est un principe de haine et de désordre. Et si elle revêt une forme plus particulièrement odieuse, c’est surtout la forme légale ».

Dans ses leçons de jurisprudence, Adam Smith défendait pour sa part qu’il ne fait pas de doute qu’un impôt exorbitant, équivalent par exemple, en temps de paix comme en temps de guerre à la moitié ou même au cinquième de la richesse de la nation justifierait, comme tout abus caractérisé de pouvoir, la résistance du peuple ». (http://www.fr.wikipedia.org/wiki/impots.html).

2.6. L’économie informelle non fiscalisée

Buabua wa Kayembe (1995) note : « Qualifié de « chômage déguisé » tantôt d’« entreprise de subsistance ou de survie », le secteur informel s’analyse comme regroupant l’ensemble des petites activités lucratives de débrouillardise n’ayant pas été clairement identifiées par l’Etat ». Par-delà, l’avantage qu’elle offre notamment l’attribution d’un revenu à ceux qui n’en disposent pas, l’économie informelle demeure cependant un champ où s’engouffrent tous ceux qui refusent de payer l’impôt.

Ngaosyvathn, cité par Buabua wa Kayembe (1995) arrive dans ses analyses à ce constat : « dans la plupart des pays en voie de développement, la masse de petits commerçants échappe totalement à l’emprise fiscale ».

Dans la même logique, Janet Macgaffey, cité par Buabua wa Kayembe (1995) écrit : « au Congo, la seconde économie se compose de la production des biens et services qu’on déclare illégaux, parce que cette production est cachée afin d’éviter des impôts ou toutes autres charges, …, qui d’une façon ou d’une autre prive l’Etat des revenus ». Le secteur informel demeure le terrain de prédilection des fraudeurs aussi longtemps qu’il est non-fiscalisé.

2.7. L’impunité des cas de fraude fiscale

En plus de toutes les causes énumérées ci-haut, il faut ajouter l’inapplication des sanctions adéquates et dissuasives aux délinquants fiscaux. En fait, beaucoup de cas de fraude restent impunis à la fois à cause de la corruption qui gangrène le système judiciaire congolais et de l’ingérence de certaines autorités dans les affaires judiciaires. Les cas de fraude les plus graves sont souvent couverts et organisés par ceux-là même qui auraient dû être l’exemple. Et par effet d’apprentissage, les autres contribuables sont aussi incités à frauder en voyant les fraudeurs impunis.

3. Les moyens de lutte contre la fraude fiscale

Les germes de la fraude fiscale en RDC se sont révélés tellement diversifiées qu’il nous paraît logique d’envisager également un concours de stratégies de lutte, lesquelles peuvent être catégorisées d’une part en moyens de prévention et d’autre part en moyens de répression.

3.1. Renforcements des moyens préventifs contre la fraude fiscale

La prévention de la fraude fiscale passe entre autres par la mise sur pied d’une administration fiscale performante, le renforcement du contrôle fiscal et l’éducation à la culture fiscale.

Redressement de l’Administration fiscale

Le redressement de l’Administration fiscale congolaise revient d’une part à décentraliser davantage les services de fisc afin de rapprocher l’administration des impôts des contribuables et d’autre part à mieux les équiper étant donné que c’est de leur rendement que dépendent toutes les actions de l’Etat Sabakinu Kivilu (2000), soutient que : « L’inefficacité, l’innovation et la rentabilité des services publics dépendent des équipements modernes de gestion dont dispose l’administration ».

Sous un autre aspect, le rôle prépondérant que joue l’administration fiscale, oblige qu’un accent particulier soit aussi mis sur la qualité des agents fiscaux. En effet, Bakandeja wa Mpungu (2013), fait un constat sombre sur la qualité des agents fiscaux en RDC : « nos agents n’ont pas bonne presse, on leur reproche d’être immoraux et peu patriotiques car ils préfèrent se faire payer au détriment du fisc ». L’urgence s’impose donc de recruter des agents fiscaux sur base des critères objectifs afin de mettre en place des organes compétents, capables de booster les performances de l’Administration fiscale congolaise.

Cette position est soutenue par Buabua wa Kayembe (1995) quand il écrit : « Au centre de tout système administratif figure qui en est l’animateur principal ». Il poursuit en affirmant que : « même avec les moyens financiers les plus colossaux et les machines les plus sophistiqués du monde, sans un collectif d’hommes déterminés, intègres et mus par l’intérêt général de la nation, les résultats seront toujours décevants ». Par ailleurs, ces agents devraient également bénéficier des bonnes conditions salariales afin de les immuniser, sauf mauvaise foi, contre les sollicitations des contribuables. Un bon traitement va sans doute les motiver à remplir consciencieusement et loyalement leurs tâches.

Le renforcement du contrôle fiscal

Le système fiscal congolais est déclaratif. Dans ce système, le contribuable lui-même, propriétaire ou titulaire du droit de propriété sur les biens, les revenus ou les opérations soumises à l’imposition, fait sa déclaration au fisc en évaluant le montant de la matière imposable qu’il détient. Ce caractère libéral pousse Mamadou DIOP (1973 : 195) à le qualifier de « système de confession fiscale ». Fondé sur « la présomption de sincérité » des contribuables, le système déclaratif présente des risques de fraude réels ; d’autant plus que les contribuables de mauvaise foi peuvent minimiser leurs évaluations pour réduire autant que possible le montant de leur imposition. Dans pareille situation, le grand remède demeure le perfectionnement du contrôle fiscal.

Lamulle (2004), écrit au sujet du système déclaratif que « le contribuable souscrit lui-même sa déclaration et cette dernière est présumée sincère. La réussite du système est liée au contrôle fiscal. Cette épée de Damoclès qui prend au-dessus de la tête de chaque contribuable et particulièrement dissuasive envers les petits fraudeurs. De la crainte, nait la vérité ».

Dans le même ordre d’idées Buabua wa Kayembe (2006) estime sans se tromper que « contrairement à la confession devant un prêtre qui n’est pas vérifiée, la déclaration fiscale ou douanière doit faire l’objet de contrôle ou de vérification de la part de l’Administration en vue de s’assurer de son exactitude ».

La nécessité du contrôle fiscal réside en ceci que, quand un contribuable se convainc à l’esprit que le contrôle est effectif et perfectionné, et que ses manœuvres frauduleuses ont toutes les malchances d’être démasquées, il s’abstiendra de frauder. Soulignant l’importance du contrôle fiscal, Mbambu Munoki (2012) écrit : « en tant que contrepoids du système déclaratif, les actions de surveillance et de recherche de fraude permettent d’assurer une limitation des pertes des recettes publiques. Ce contrôle poursuit à la fois un objectif budgétaire, répressif et dissuasif et d’égalité des contribuables devant la loi ».

Aux termes de l’article 25 de la loi N°004/2003 du 12 Mars 2003 portant réforme des procédures fiscales, l’Administration des impôts a le pouvoir exclusif de vérifier sur pièces ou sur place, l’exactitude de déclaration de tous les impôts et autres droits dus par les redevables conformément aux dispositions légales en vigueur. Ces deux types de contrôle contribuent à la réduction sensible de la fraude fiscale ; mais seulement lorsqu’ils sont dépourvus de toute complaisance et qu’ils aboutissent, le cas échéants, à des sanctions adéquates en cas de fraude.

L’éducation à la nouvelle citoyenneté

Dans ses analyses, Mamadou Diop (1973) constate que « le développement de la fraude fiscale témoigne, dans un pays donné de l’affaiblissement du sens civique de citoyens » ; constat qui illustre parfaitement la situation de la RDC. Dans la lutte contre la fraude fiscale, l’inculcation des valeurs citoyennes en général et du civisme fiscal en particulier s’impose dans cette hypothèse comme un défi majeur pour l’état, afin d’arriver à façonner un nouveau type de congolais, un nouveau citoyen enclin du sens civique et patriotique. Cet investissement à long terme donnera nécessairement lieu à l’émergence d’une nouvelle société congolaise, plus citoyenne.

Réduction de la pression fiscale

On reproche au système fiscal congolais d’être moins incitatif et défavorable à la croissance économique : trop d’impôts et taxes avec des taux généralement élevés. Dans la mesure où certains redevables fraudent les impôts, la pression fiscale s’abat fortement sur les contribuables réguliers et ceux-ci sont à leur tour inciter à frauder et du coup un cercle vicieux s’installe : pression fiscale-fraude fiscale-pression fiscal-fraude fiscale, … situation qui vient devient très inextricable.

Conscient des méfaits que cela entraîne, Bakandeja wa Mpungu (2013), prévient que « lorsqu’il y a augmentation des prélèvements obligatoires, il y a la baisse de recettes fiscales perçues, … un taux d’impôts trop élevé découpage initiatives et la volonté de travailler plus et encourage la fraude et l’évasion fiscale ».

Ainsi, Note Buabua wa Kayembe (1995), l’Etat ayant l’obligation de « ne pas faire tarir la source », de « ne pas tuer la poule aux œufs d’or » qu’est l’initiative privée, se doit de « prélever un impôt bénin sur une importante population d’assujettis qu’un impôt lourd sur une minorité d’opérateurs ayant pignon sur rue ».

Pour y parvenir, la politique consiste à faire consentir la masse de la population à l’impôt en supprimant les multiples taxes inopportunes et illégales, en réduisant les taux excessifs de certains impôts et en améliorant les rapports fisc-contribuables. La finalité ici c’est d’arriver à établir un équilibre entre la maximisation des recettes et la croissance économique. Parce que, comme le disait Jean Batiste Colbert, célèbre ministre des finances de Louis IV, « l’art de lever l’impôt consiste à plumer les oies sans les faires trop crier ».

3.2. Les moyens de répression de la fraude fiscale

La répression de la fraude fiscale apparaît, dans la même logique comme un moyen non seulement de punir le fraudeur, mais aussi de décourager ses imitateurs. Et sous cet angle, elle opère de surcroit comme moyen de prévention.

Toutefois, comme l’affirme Silvani, cité par Buabua wa Kayembe (2006), d’une manière générale, les contribuables respectent davantage leurs obligations fiscales s’ils sont convaincus qu’en cas de non-respect, ils courent le risque d’être lourdement pénalisés.

En observant les différentes sanctions prévues par la législation fiscale congolaise, il nous semble que celles-ci sont consistantes pour dissuader les fraudeurs. Cependant, le grand problème demeure celui de leur effectivité. D’où la nécessité de la responsabilisation et la conscientisation des agents de l’administration fiscale et des juges et l’application des sanctions disciplinaires sévères vis-à-vis des agents déloyaux. A cela s’ajoute la majoration des primes de contentieux qui, à notre avis constitue un stimulus pour les agents de fisc dans la recherche des pratiques frauduleuses et peut d’une façon comme d’une autre les pousser à traiter les cas de fraude dans l’intérêt du trésor public ».

Conclusion

Le budget de la RDC est à la fois insignifiant et principalement financé par les bailleurs de fonds internationaux à la suite de l’insuffisance des recettes internes. Malgré l’existence d’un potentiel fiscal remarquable, le rendement de la fiscalité interne ne permet pas à l’Etat de se délier de la dépendance financière extérieure et éventuellement de se doter d’un budget conséquent et correspondant aux problèmes de développement auxquels il doit faire face.

La fraude fiscale en demeure la cause déterminante dans la mesure où non seulement elle fausse la réalisation efficiente des prévisions budgétaires mais aussi, elle occasionne la réduction du volume des dépenses publiques.

A la fraude fiscale s’ajoutent l’évasion fiscale et les détournements récurrents et quasi institutionnalisés des deniers publics qui sont également des causes non négligeables de la déperdition et du coulage des ressources financières en République Démocratique du Congo. L’annihilation de toutes ces pratiques suppose une réforme profonde du système financier de l’Etat.

Bibliographie

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