La morale, les occupations et les croyances du soldat noir de la force publique au camp militaire de 1914 à 1918
* Muasha Kumamene Jean-Marie,
* Maramanda Kumamene Louis,
* Lele Mubambara Simon Pierre
p. 73-82
Vol. XX, n°4, sept 2023
Résumé
Nous disons que le soldat noir de la Force Publique de l’entre 1914-1918 devait défendre la colonie, le Congo Belge. Il assurait les tâches d’occupation du territoire et le maintien de l’ordre public à l’intérieur. Le soldat avait un horaire journalier surchargé par les enseignements théoriques, les applications pratiques du service en campagne et des pratiques du tir.
Les promenades militaires sont au nombre des moyens les plus efficaces qui pouvaient être mis en œuvre pour ôter aux natifs de toute velléité d’insoumission, les amener à remplir toutes leurs obligations légales dans tous les domaines, introduire et maintenir parmi eux les habitudes de travail.
Les travaux d’utilité publique étaient non à exclure partant de leur importance dans la vie à savoir les constructions, le comblement des marais, les débroussaillements hygiéniques, l’exploitation des carrières, la confection et cuisson des briques, l’établissement de routes, les cultures vivrières, coupe d’arbre, la pêche et la chasse.
Les théories morales et les croyances religieuses au camp militaire attirent aussi notre attention étant donné que l’autochtone allait être éduqué, protégé contre les maladies et les dangers, le défendre contre les préjugés extérieurs ; l’instruire et l’aider de toutes les possibilités de la technique moderne à développer son intelligence. La consommation de l’alcool et l’usage du chanvre étaient alors de stricte interdiction, bien que certains militaires rebelles les détiennent secrètement.
Le soldat noir croyait à l’existence d’un Dieu suprême, maître de l’univers, aux influences réciproques avec les morts-vivants, et au fétichisme. L’esprit d’équipe, de collaboration, de se réjouir et de souffrir avec son semblable a caractérisé tout soldat noir.
Introduction
Il est aujourd’hui une occasion pour nous de présenter le travail sur la morale du soldat noir, ses croyances et ses occupations. Les documents sur l’histoire de l’Afrique abondent le marché intellectuel, mais plus centrés sur l’histoire de l’homme blanc en Afrique. Cette histoire plus du monde occidental exploite à suffisance les domaines économique, politique, social et culturel.
L’histoire moderne est invitée ici à approfondir aussi le domaine politique, un grand sujet à la une. D’aucun n’ignore que qui dit militaire, dit pouvoir, et par conséquent parle de l’histoire socio-politique longtemps laissé aux ressortissants des sciences politiques et Administratives.
Voilà pourquoi le public intellectuel n’a qu’à trouver une occasion de saisir la vision des choses et l’esprit du soldat noir d’autre fois avec l’idée de comprendre le militaire de ces jours. Cette analyse attire notre attention afin de remédier à bien des maux qui rongent l’organisation socio-professionnelle de nos services de l’ordre pour l’intérêt supérieur de populations congolaises, telles sont la paresse, l’immoralité et l’indiscipline.
L’histoire en général et l’histoire socio-politique en particulier, est si vaste que sa compréhension nécessite un découpage raisonné pour être plus concret dans ses analyses. C’est pourquoi notre étude porte, non sur le soldat blanc au Congo Belge, sa vie, ses influences doublées de l’esprit européen et Centrique, mais sur le soldat noir du temps de la Force Publique : son comportement moral et psychologique, et ses aptitudes physiques au regard des travaux manuels.
Nous orientons nos efforts vers les sources d’informations qui parlent de la période de la première guerre mondiale ; pour se détacher du domaine des sociologues. De l’analyse qui se dégagerait de cette histoire militaire dans l’ex-Zaïre, il va de soi que nos préoccupations soient bornées sur le fait que le soldat noir de la Force Publique était un chômeur, ne comptant que sur le gouvernement en place de ses productions, son autofinancement pour sa survie. De plus on se demandera si l’encadrement moral était utile pour la maîtrise du soldat noir, disposé à se soulever pour une désobéissance généralisée. Eu égard à cette situation, il serait mieux de saisir l’hypothèse selon laquelle le soldat noir délaissé nécessitait un encadrement total pour son épanouissement intégral sans compter sur l’aide extérieure. Et le soldat noir doit être appréhendé en tant que tel avec ses conceptions du monde cosmique.
Pour mener à bon port notre investigation, la méthode historique nous a été d’une importance capitale pour souligner, non seulement la valeur passée des attitudes de soldats blancs sur les soldats noirs, mais aussi les changements intervenus dans l’encadrement de ces soldats.
1. Les occupations du soldat noir
La défense de la colonie devait être assurée par des troupes coloniales distinctes d’une police territoriale, laquelle assurait les tâches d’occupation du territoire et le maintien de l’ordre à l’intérieur. Le décret organique du 10 Mai 1919 en son article 1er jeta les bases de l’organisation qui allait rester en vigueur jusqu’en 1960. Il stipule que la Force Publique a pour mission « d’assurer l’occupation et la défense du territoire de la colonie, d’y maintenir la tranquillité et l’ordre public, d’y prévenir les infractions, de surveiller et d’assurer l’exécution des lois, décrets, ordonnances et règlements, spécialement ceux qui sont relatifs à la police et à la sûreté générale » (Bulletin officiel, 1991).
1.1. Horaire du jour
Le nombre d’heures à consacrer chaque jour aux exercices, théories, applications pratiques du service en campagne, enseignement de la gymnastique, exécution des travaux de campagne, pratique du tir, doit être déterminé en conséquence. Le tableau des services journaliers sera établi en tenant compte des circonstances locales, de l’effectif de la garnison envisagée, du nombre des Européens constituant le cadre de celle-ci. En principe, la matinée doit être réservée à l’instruction militaire et l’après-midi aux travaux.
Il convient de noter que cette répartition de temps ne fut pas strictement appliquée, parce que certaines circonstances pouvaient entraîner des modifications : c’est le cas des appels ou rassemblements circonstanciels qui nécessitaient un dépêchement de la troupe vers un lieu marqué par des trouble publiques. Il faudrait aussi signaler que l’appel précédait le plus le repas, en vue de contrôler les présences et les absences non justifiées.
1.2. Les promenades militaires
Elles constituaient en effet, des déploiements de force qui, malgré leur caractère pacifique, étaient de nature à impressionner vivement les populations noires et à leur donner une haute idée de la puissance des blancs. Ces déplacements de la troupe ne pouvaient toute fois produire des heureux effets envisagés que pour autant que les charges qui en résultaient pour les populations fussent réparties équitablement entre tous les groupements.
Si des fournitures de vivres hors de proportion avec les ressources des habitants, étaient demandées à certains villages, si leurs occupants étaient harcelés de demandes sans cesse répétées de partage, il est certain que leur bonne volonté se lasserait et qu’ils finissaient par prendre la fuite à l’annonce de l’arrivée des soldats.
C’est pourquoi, avant de se mettre en route, les officiers chargés de faire une promenade militaire devaient s’entendre avec les autorités territoriales intéressées sur l’itinéraire à suivre, les villages où ils changeraient des porteurs, ceux où la troupe se ravitaillerait, éventuellement ceux où elle se reposerait, ou se livrerait à des exercices tactiques.
Les administrateurs devaient prendre immédiatement toutes les mesures voulues pour que les porteurs se trouvent réunis et les vivres rassemblés à temps opportun dans les localités convenues. En procédant de cette façon, on évitait toute cause de mécontentement. Comme on le voit, il s’agissait d’effrayer les Noirs afin de leur ôter toute idée de se révolter contre l’occupation européenne.
1.3. Travaux d’utilité publique
Dans le but de faire coopérer davantage le soldat de la Force Publique aux divers travaux, les chefs territoriaux utiliseront leurs services pour les constructions militaires et pour les travaux d’utilité générale : Entretien des routes, exploitation de carrières, comblement des marais, exploitation forestière pour les besoins des postes et des ateliers. Les cultures vivrières doivent être maintenues ».
Il ne faut pas perdre de vue que l’emploi plus intense des soldats aux divers travaux (constructions, comblement des marais, débroussaillements hygiéniques, exploitation des carrières, confection et cuisson de briques, établissement de routes, cultures vivrières, coupe d’arbre) avait pour objectif de constituer pour eux, en même temps qu’une diversion aux exercices exclusivement militaires, un utile apprentissage qui devait doter les soldats d’un métier qui leur permettrait de gagner aisément leur subsistance à l’expiration de leurs services militaires, tout en fournissant, tant aux particuliers qu’à la colonie, une main - d’œuvre nombreuse, disciplinée et d’un bon rendement économique.
La colonie devait retirer de cette façon de faire des avantages considérables : diminution du prix de la ration, grâce à l’établissement des cultures vivrières, ou du coût des constructions et des travaux d’utilité publique. Le budget de la colonie en serait dégrevé d’autant et cela, sans que l’instruction, l’éducation, ou la discipline des soldats aient à en souffrir.
Les demandes des troupes étaient adressées au commissaire de province qui devait les soumettre à la décision du Gouverneur Général après avoir pris avis du commandant de groupement quant à la désignation des troupes susceptibles d’exécuter les travaux. Aucune rémunération ne devait être donnée à la troupe ; en cas d’événements graves, lorsque pour l’exécution d’un travail déterminé, la troupe ne devait pas quitter la garnison ; lorsque, le travail à exécuter rentrait dans la catégorie des travaux généralement commandés en vue de parfaire l’instruction technique de la troupe ; lorsqu’il suffisait de détacher un gradé et quelques soldats pour assurer l’encadrement des travailleurs indigènes. Dans les autres cas une rémunération était donnée à la troupe.
Dans le cas où une rémunération était accordée, elle était due depuis le jour où la troupe était mise à la disposition de l’autorité requérante, c’est-à-dire depuis le jour du départ du camp inclut, jusque et y compris le jour du retour.
1.4. Les constructions militaires
La circulaire du 14 janvier 1914 précise que les chefs territoriaux allaient utiliser les soldats pour les constructions militaires. Les soldats veilleraient en sorte que les nouvelles constructions soient achevées. Il fallait construire des bâtiments en matériaux durables au détriment des paillottes. Chaque maison - en terre encore en ce début, était habitée par plus de deux soldats, à l’exception de la maison du sous-officier indigène : corporal et sergent.
La circulaire du 15 juin 1914 montre le souci de l’autorité coloniale en ce qui concerne le logement des soldats noirs. Le G.G.F. FUCHS s’étonnait même d’apprendre qu’il existait encore les camps où les soldats mariés ne disposaient pas d’une chambre et où plusieurs ménages étaient dans un même local (Recueil Mensuel, 1914).
Ce fut après la première guerre mondiale que le marié noir a pu bénéficier d’une maison à lui-même. Les célibataires s’entassaient à 4, 5 ou 6 dans une chambre. Quand le soldat noir se contentait de la paillotte, les bureaux des officiers blancs, les magasins pour munition et les maisons des officiers sont de bons bâtiments. Dans une habitation du soldat noir, on ne pouvait pas allumer le feu avec but uniquement de se chauffer ; cela était interdit sous peine de dégager d’une odeur nauséabonde. L’usage du feu pour cette fin n’était toléré que dans une maison où il y avait un malade ou un bébé.
1.5. Les cultures vivrières
L’on s’étonnait de ce que le coût d’entretien des soldats ne cessait d’augmenter quelle que soit l’extension des cultures vivrières et des dépenses supplémentaires qu’occasionnait à l’Etat leur création. Les produits de ces cultures étaient laissés aux soldats et constituaient un supplément de nourriture et à ce que l’on continua par routine à leur payer ou à leur distribuer l’indemnité journalière ou la ration.
C’était pour couvrir l’alimentation des militaires que les femmes devaient cultiver un champ de manioc, de bananier, de pomme de terre. Faute de vivres à certains moments, les soldats bénéficiaient soit des perles, des étoffes, objets à échanger contre le manioc ou le maïs. Ces biens furent distribués suivant les grades et l’état civil des soldats. Les femmes partaient avec le caporal de semaine aux champs vers 7 heures 30’. Ces champs étaient la propriété de l’Etat. Malgré l’abondance de la nourriture, la femme du soldat noir n’avait pas droit de vendre les vivres.
1.6. La pêche à la tonite
La pêche à la tonite allait servir pour ravitailler la population blanche et pour assurer la subsistance des troupes noires. Les mesures qui font l’objet des ordonnances du 26 novembre 1921 et du 7 mars 1922 ont été prises afin de ravitailler la population blanche en boisson frais et assurer la subsistance des troupes noires, lorsque les dépôts de vivres pour celles-ci ne pouvaient être facilement alimentés en faisant directement des achats dans le commerce local.
1.7. La chasse et les primes de rendement
Nous présentons ici une circulaire qui créa au profit des militaires indigènes chasseurs de la F.P., des primes de rendement. Afin d’encourager le personnel indigène de la Force Publique chargé de la chasse dont le produit sert au ravitaillement de la troupe, et d’augmenter ainsi la production, il a été instauré à partir du 1er janvier 1928, une série de primes de rendement, dont le taux était fixé comme suit selon le Recueil Mensuel (1927).
Il doit être entendu que l’instauration des primes de rendement ne devait jamais avoir pour effet d’amener, dans une région déterminée le massacre organisé du gibier. Dans les unités, la chasse devait se limiter aux besoins réels de celles-ci.
Les commandants d’unités étaient responsables de l’organisation rationnelle du service de la chasse et de son exécution. Les abus signalés étaient réprimés avec rigueur.
Suivant le Rapport aux Chambres, les produits de la chasse et de la pêche constituaient une variété du régime alimentaire du soldat noir. La chasse fut permise dans certaines régions. Elle est organisée parfois en des endroits où apparait la nécessité de limiter les déprédations du gibier. En 1937, la chasse a procuré aux troupes 74 tonnes de viande d’une valeur locale de 165.000 Francs.
2. Morale et croyances religieuses au camp militaire
2.1. La morale et la discipline
Il fallait éduquer l’autochtone, le protéger, contre les maladies et les dangers, le défendre contre les préjugés extérieurs, l’instruire et l’aider de toutes les possibilités de la technique moderne à développer son intelligence, sa confiance et son individualité. Il fallait surtout que la loi du travail, la génératrice du progrès d’une société stable, ne soit pas à ce point déformée par le jeu de revendications impossibles.
C’est comme l’affirme De Hauleville (1900), « l’activité sociale a pour fin immédiate le bien-être moral de l’humanité, le perfectionnement de ses mœurs, l’anoblissement des mobiles de ses activités. Le bien-être matériel n’est dans l’ordre idéal de l’organisation sociale qu’un but secondaire. Il est la suite naturelle du bien-être moral ».
Cependant, l’on aura à comprendre que la situation sanitaire, les conditions climatiques et de ravitaillement tous presque médiocres-allaient troubler la morale du soldat ; et que cela risquait de compromettre la réussite des opérations sur le champ de bataille. Pour stimuler le soldat au courage et à l’esprit d’endurance, il fallait des méthodes pour la propagande de la guerre.
Les méthodes employées pour exécuter ce programme de propagande sont celles de l’éducation de la masse qui se propose d’utiliser, à l’exemple des conférences, des conseils. Le service militaire, une meilleure exploitation agricole, l’épargne, le soutien des nobles causes défendues par la propagande, peuvent constituer le point de départ pour les expériences déterminées d’éducation de la masse.
A la plus grande partie de la propagande de la guerre néanmoins, fut menée pour éclairer les populations indigènes et les soldats sur les causes avec les évènements de la guerre, et pour leur faire comprendre qu’ils jouaient un rôle à y jouer : soit en s’engageant dans les armées, ou en produisant plus de vivres, ou en consommant moins de marchandises importées ou en contribuant aux œuvres de guerre.
En outre, les encadreurs devaient présenter aux soldats les avantages du mariage monogamique ; leur inculquer le règlement de la discipline militaire avec les éléments de la justice répressives, les droits et devoirs du soldat. L’usage du chanvre, les coups volontaires, portés sur l’autorité ou son camarade, les menaces d’incendie, la perte d’effets militaires, le vol, l’ivresse, l’adultère, les injures publiques, tous furent interdits.
Le respect était de stricte rigueur, pour dire que le militaire, pour se saluer, ne tiendrait pas compte de l’âge, ni de la fonction exercée, moins même de relations familiales, mais plutôt du grade. Nous comprenons que la formation morale devait réveiller le soldat à la conscience et à la maîtrise de ces règlements militaires. Au cas où on n’avait pas observé ces règlements, le coupable était sanctionné.
2.2. L’interdiction de consommer de l’alcool et de fumer du chanvre
Il existait des règlements sur le régime des boissons contenant de l’alcool. L’importation, la détention de la fabrication de boissons contenant 8 degrés centésimaux et plus d’alcool de fermentation ou plus de 3 degrés d’alcool de distillation sont interdites aux personnes qui ne sont pas de race blanche. Si l’on interdisait la consommation de l’alcool, bien que certains militaires détinssent secrètement des boissons fermentées, c’est parce que l’alcool n’est vraiment pas un stimulant, mais plutôt un intoxicant.
Certains soldats croient que l’alcool les rend plus courageux ; mais ce courage n’est que très superficiel ; l’alcool atténue l’appréciation du danger. Le chanvre a des effets toxiques aussi désastreux que l’alcool ; il fait perdre le contrôle à l’homme. L’usage du chanvre avait été interdit par la circulaire du 11 janvier 1902 qui stipulait entre autres ce qui suit : « En attendant que ces dispositions soient prises, je prescris à toutes les autorités militaires et territoriales d’interdire aux soldats et travailleurs sous leurs ordres, de fumer le chanvre. Les délinquants seront punis disciplinairement ».
Le Gouverneur général prescrit une surveillance spéciale pour les Noirs du district du Lualaba-Kasaï, de la province orientale et toutes les régions ayant subi l’influence arabe. Il a conseillé aux autorités militaires et territoriales de faciliter l’usage du tabac à tous les individus qui s’étaient déjà habitués à fumer le chanvre.
2.3. La discipline militaire
Le règlement militaire était déjà très sévère vers 1914. Le règlement en vigueur à cette époque interdisait notamment et formellement au soldat de faire des réclamations collectives, de fumer du chanvre, de s’adonner à l’alcool et d’avoir une vie licencieuse pouvant les conduire à attraper des maladies vénériennes. (Flament et al, 1950).
En d’autres termes, il s’agit de la suppression des pratiques considérées barbares. Les sanctions infligées aux fautifs consistaient plus soit à une peine corporelle à quelques coups de fouet, à quelques jours de cachot, à la suppression momentanée du droit aux allocations, soit des retenues sur les sommes dues pour les soldats et allocations.
Vanderstraeten (1985) ajoute : à l’appel de 14 heures, lorsque l’unité était rassemblée en tenue de travail, sans armes, une couverture était étalée devant le front des troupes. A l’appel de son nom, le soldat puni sortait du rang, écoutait la lecture par l’officier de service du motif de la punition, puis se coucher sur la couverture en dénudant ses fesses. Le gradé d’élite se plaçait, au garde-à-vous, à côté du puni et appliquait un nombre égal de coups d’un côté puis de l’autre. Le soldat puni se relevait, se rajustait, saluait et rentrait dans les rangs.
Le soldat sortait du camp toujours avec sa tenue pour éviter toute confusion avec les civils, pour se faire respecter et craindre. Toute la formation militaire visait à faire du soldat une élite pour la cause coloniale. Pour réussir cette œuvre civilisatrice, les officiers devaient parfaire leur éducation et développer leur sens social. De cette pensée, la chicote ne pouvait pas être abandonnée, car, ce fut la seule punition dont le soldat noir se souciait plus.
2.4. Les croyances en dieu et aux morts
Certains soldats croient à l’existence d’un seul Dieu, maître Suprême, qui arrête les guerres. Ils le louent, l’adorent, lui réservent soumission et l’invoquent suivant les circonstances. Ils croient aussi aux esprits des ancêtres à qui on rendait des cultes de manière secrète. La cosmogonie congolaise confirme l’apparition et l’intervention des ancêtres dans les affaires des vivants ; avec le principe « les morts ne sont jamais morts » ; avec qui la collaboration et la communion demeurent incontournables. La croyance à l’immortalité de l’âme demeure dans les esprits humains.
La Force Publique a subi les effets de l’évangélisation par les missionnaires. On prêchera aux soldats noirs l’amour de Dieu et de son prochain. Les aumôniers militaires habitent à côté des églises. Chaque bataillon avait presque son église qui soutenait qu’il n’était pas un péché le fait d’aller à l’église. Combattre l’ennemi est biblique, parce qu’un élément nuisible à la société. Les écritures sur les guerres entre Israélites et Amalécites, Israël et Syrie, Israël et les Philistins renforcent cette conception du militaire, résumée par « à chaque chose son temps ».
Sombwe Mumba, par interview directe à Lubumbashi le 30 mars 1990, trouve normal que la guerre ne soit pas un péché, mais plutôt un mal nécessaire pour sauver les âmes qui risqueraient d’être ôtées par les coups de feu de l’ennemi. Il ajoute que, malgré sa conception religieuse, le soldat est soumis à un service commandé. Son principe de base est « magister dixit », le maître a dit, comme pour dire « Mitindo liboso mayele na sima » : avant tout l’exécution, la réclamation après.
Le maître, le blanc parle, le noir s’incline pour s’exécuter disant « yinga mfumu » en kikongo : A vos ordres mon chef. Le subalterne noir se soumet sans discernement. La notion de solidarité ou d’entraide entre soldats se traduit par les termes « l’esprit d’équipe ». Comme membres d’une même famille.
Conclusion
Après une longue réflexion sur l’encadrement du soldat noir de la Force Publique, il se dégage un constat comme quoi le soldat noir n’était pas un paresseux ni un vagabond ne comptant que sur autrui, ses autorités hiérarchiques. Dans le cadre d’autofinancement, et dans le souci de s’équiper valablement, le soldat noir était engagé aux travaux d’intérêt communauté tant manuels qu’autres. Cette façon de concevoir son environnement, pour une vie équilibrée, avait rendu son horaire journalier très surchargé aux fins de ne pas oser penser à un soulèvement contre la volonté de ses chefs hiérarchiques ; malgré quelques cas connus de l’histoire du Congo.
Pour maintenir le soldat noir toujours dans son poste de travail, qui plus est, le rendre favorable aux ambitions égoïstes du monde occidental, le soldat noir devait être soumis à une discipline de fer et à un encadrement psychologique dans le souci d’écarter toute tentative de désobéissance aux ordres établies. Mais alors tout ce qui était proprement africain, noir, au niveau de croyance, aux esprits des ancêtre, aux fétiches et à la sorcellerie, était à combattre.
Bibliographie
De Hauleville, A. (1990). La morale de la colonisation. Paris PUF.
Flament F. et al (1950). La Force Publique de sa naissance à 1914. Bruxelles : I.R.C.B.
Vanderstraeten, L.F. (1985). De la Force Publique à l’Armée Nationale Congolaise. Histoire d’une mutinerie juillet 1960. Bruxelles : Académie Royale de Belgique.