De la protection du patrimoine d’un entrepreneur individuel dans l’espace OHADA


Tujibikile Mambakayi Adonis 

p. 1-14

Vol. XX, n°4, sept 2023 


Résumé

A l’absence de dispositions claires sur la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel, la pratique recourait souvent aux palliatifs à l’instar de la forme sociétaire de l’entreprise pour aboutir à une protection, du reste, très approximative. Le législateur OHADA dégage des techniques fiables de protection du patrimoine de l’entrepreneur ou au-delà, des solutions en rupture avec la règle de l’unicité du patrimoine.

Introduction

L’entrepreneur s’entend d’une personne physique qui possède et gère une entreprise, un fonds de commerce, directement sans passer par une société. C'est-à-dire que l’entreprise lui appartient personnellement, qu’il l’ait achetée, créée ou qu’il en ait héritée. Il en est ainsi qu’il exerce une activité artisanale, commerciale ou même qu’il s’agisse d’une activité libérale. Ainsi donc, l’entrepreneur individuel puisqu’il s’agit de lui dans ce cas dispose d’une entreprise individuelle dont les nombreux avantages ne dissimulent pas assez les inconvénients perceptibles ; au rang desquels, la mise en jeu de l’ensemble de son patrimoine.

Perçu de façon triviale comme la somme des biens d’une personne, le patrimoine est, selon Mazeaud et al (2011), l’ensemble des droits et obligations d’une personne considéré comme une universalité ; c'est-à-dire, comme un contenant où actif et passif sont liés, le premier répondant du second et où tous les éléments futurs sont appelés à entrer. Autrement dit, c’est un ensemble constitué de biens et des obligations d’une même personne, de l’actif et du passif, envisagé comme une universalité de droit, un tout comprenant non seulement ses biens présents mais aussi ses biens à venir.

Cabrillac (2002) note que « cette conception du patrimoine restitue fidèlement le sens de la règle de l’unicité du patrimoine favorable à l’idée selon laquelle le patrimoine a pour seul et unique support la personne ; et la personne dans ce cas ne pouvant disposer de plus d’un patrimoine ».

Thèse à côté de laquelle s’est développée la théorie du patrimoine d’affectation qui, en procédant par la fiction de la personne morale permet d’affecter partie du patrimoine de la personne de la personne physique à une activité ou à une œuvre. Mais ce qui fait dire à la doctrine que jusqu’ici, la forme sociétale est le seul moyen de distinguer le patrimoine de l’entrepreneur de celui qu’il entend affecter à son activité professionnelle, réside dans le fait que l’entrepreneur individuel possède et gère son entreprise, très souvent personnellement et de ce seul fait engage l’entièreté de son patrimoine. Toute chose qui pose et ce, de façon très opportune, le problème de la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel en espace OHADA.

A l’évidence, protection s’entend littéralement de l’action de protéger. Autrement, c’est mettre quelque chose ou une personne à l’abri d’un dommage ou d’un péril.

Par son sens étymologique, le vocable protection ou protectio tiré du verbe latin protegere ; c’est-à-dire protéger, renvoie à toute précaution qui, répondant au besoin de celui ou de ce qu’elle couvre et correspondant en général à un devoir pour celui qui l’assure, consiste à prémunir une personne ou un bien contre un risque, à garantir, entre autres, sa sécurité et son intégrité (Cornu, 2016).

Qu’il s’agit donc, en l’occurrence, de mettre le patrimoine de l’entrepreneur individuel à l’abri des aléas de sa vie professionnelle. Ce qui au demeurant laisse entrevoir la question de savoir si l’arsenal juridique de l’OHADA permet vraiment de mettre le patrimoine de l’entrepreneur individuel à l’abri des aléas de la vie professionnelle. Autrement, existe-t-il dans le dispositif juridique de l’OHADA des mécanismes de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel et si oui, sont-ils suffisamment protecteurs de ce patrimoine ?

La question ainsi envisagée est de plus en plus séduisante dès lors que l’on peut observer que le législateur OHADA, en consacrant ouvertement le statut de l’entreprenant OHADA, exprimait déjà une certaine volonté d’encadrement et de stimulation de l’entreprise individuelle.

Pougoue et Tameghe (2013) affirment pour leur part : « L’entreprenant, qui de prime abord, fait penser à l’auto-entrepreneur français, « entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration (...) exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole, il y’a lieu de retenir qu’il fait entièrement corps avec son exploitation ».

Comme le précise la doctrine africaine, le risque est grand qu’à la moindre défaillance l’ensemble de ses biens et ceux de son conjoint soient remis aux mains de la justice, et qu’il en résulte comme c’est très souvent le cas, des atteintes à la stabilité de sa famille.

Même si le dispositif juridique de l’OHADA tend, par endroit, à calmer le jeu, sous l’esprit de l’Article 53 de l’acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement des créances et Voies d’exécution, en posant que « lorsqu’un compte même joint, alimenté par les gains et salaire d’un époux commun en biens fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée ou d’une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d’une créance née du chef du conjoint, il est immédiatement laissé à la disposition de l’époux commun en biens une somme équivalent, à son choix, au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ou au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie ».

On voit dans le contexte africain et particulièrement dans l’espace OHADA, tout l’intérêt de mener des réflexions et ce, de manière profonde sur la question de la protection du patrimoine de l’entrepreneur. Intérêt perceptible à la fois d’un point de vue théorique et pratique.

Ainsi donc, notre travail sur la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel en droit OHADA emprunte à l’exégèse, l’interprétation intertextuelle permettant, à la lecture du droit positif de l’espace OHADA, de faire ressortir les solutions mobilisables pour la protection du patrimoine de l’entrepreneur. Par ailleurs, conscient de l’absence de solutions juridiques efficaces et spécifiquement consacrées à la protection du patrimoine de l’entrepreneur en droit OHADA, les sentiers prospectifs ne sauraient être ici négligés ; l’idée étant à terme, de susciter des mécanismes dont la vocation première serait la protection du patrimoine de l’entrepreneur en droit OHADA.

C’est dire que notre aventure scientifique sera axée, d’abord sur l’étude de la protection accordée au patrimoine de l’entrepreneur individuel en l’état actuel du droit OHADA ; et enfin, sur la protection souhaitable du patrimoine de l’entrepreneur individuel en droit OHADA.

1. La protection accordée au patrimoine de l’entrepreneur individuel dans l’espace OHADA

Une lecture panoramique de l’ensemble des règles jusque-là secrétées par l’OHADA permet de constater que le législateur OHADA ne s’appesantit nulle part sur le régime de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel. On peut penser, comme dans la plupart des cas, que ce soit à tort ou à raison, que le silence gardé par le législateur OHADA sur la question devrait s’analyser comme un renvoi de la protection du patrimoine de l’entrepreneur à la compétence des législateurs nationaux. Et on peut d’ailleurs s’en convaincre dès lors que, sans préciser de manière exhaustive les mesures incitatives pour l’activité de l’entreprenant.

Les normes de l’OHADA, sous l’esprit de l’article 30 in fine de l’acte uniforme portant droit commercial général du 15 décembre 2010, posent que : « Chaque Etat partie fixe les mesures incitatives pour l’activité de l’entreprenant notamment en matière d’imposition fiscale et d’assujettissement aux charges sociales ». Quoiqu’il en soit, en l’absence de véritables mécanismes juridiques voués et dévoués à la protection du patrimoine de l’entrepreneur en droit OHADA, la doctrine et la pratique juridique se prêtent très souvent à un recours aux outils posés par le droit commun ; même si les imperfections qui y sont inhérentes poussent à des questionnements.

1.1. Les outils prêtés à la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel dans l’espace OHADA

La doctrine, en l’absence de moyens spécifiques de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel, aura souvent recours aux palliatifs tels que : l’adoption de régimes matrimoniaux séparatistes ou la forme sociétale d’entreprise.

1.1.1. Adoption des régimes matrimoniaux séparatistes.

L’adoption des régimes matrimoniaux séparatistes semble le plus indiquée lorsqu’il s’agit de préserver l’équilibre entre la famille et l’entreprise de l’entrepreneur individuel.

Sawadogo (2010) note que ce procédé parait de plus en plus efficace depuis l’abandon de la présomption mucienne qui avait cours dans les Etats n’ayant pas réformé leur législation ; en l’occurrence les articles 559 et suivants du Code de Commerce français.

En vertu de cette présomption, hormis le cas des immeubles et quel que soit le régime matrimonial, les biens acquis par la femme du failli étaient réputés appartenir au mari, avoir été payés de ses deniers et devaient être réunis à son actif.

Une rupture matérialisée à l’article 99 alinéa 1 de l’acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif, où on peut y lire, en effet que « la consistance des biens personnels du conjoint du débiteur déclaré en état de redressement judiciaire ou de liquidation des biens est établi par lui, conformément aux règles de son régime matrimonial ». L’abandon de cette présomption a certainement été justifié par la nécessité d’émancipation des femmes, de promotion de l’égalité entre époux et de protection du patrimoine familial.

Dans ce cas, Simmonet (2010) nous complète par ces termes : « En effet, il s’agit dans l’intérêt de la famille, de sauvegarder tout au moins les biens propres du conjoint de l’entrepreneur individuel ; et dans une certaine mesure, de préserver l’entreprise individuelle des conséquences parfois dévastatrices d’une éventuelle rupture du lien matrimonial ».

Ainsi donc, la pratique devra souvent conseiller au conjoint entrepreneur le choix du régime de la séparation des biens, au bout du compte plus protecteur du patrimoine familial ; car, dans ce cas chacun des conjoints dispose d’un patrimoine personnel. Toute chose qui restreint les éventuelles actions des créanciers de l’entrepreneur à son patrimoine personnel, en l’exclusion de celui de son conjoint.

Toutefois, l’entrepreneur peut au besoin introduire une dose de communauté en optant pour un régime matrimonial à mi-chemin entre la communauté légale et la séparation des biens. Ce faisant, il aura le choix entre d’une part, le régime de séparation des biens avec société d’acquêts et d’autre part, la séparation des biens avec participation aux acquêts.

Si l’adoption des régimes matrimoniaux séparatistes, en l’absence de mécanismes propres à la protection du patrimoine de l’entrepreneur dans l’espace OHADA, est envisagée dans les élans de sauvegarde du patrimoine familial des entrepreneurs, il y’a quand même lieu de noter que depuis la consécration au sein du système juridique OHADA de la catégorie de société créée par acte unilatéral de volonté, la forme sociétaire de l’entreprise semble le moyen à même de garantir la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

1.1.2. Le recours à la forme sociétale de l’entreprise.

Le recours à la forme sociétaire de l’entreprise comme moyen de sauvegarde du patrimoine de l’entrepreneur individuel est ouvert dans le système juridique OHADA depuis la mise en place de cette catégorie de société créée par un acte unilatéral : la société unipersonnelle.

En effet, sous l’esprit des articles 5, 309 et 385 de l’Acte Uniforme relatif aux sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique, le dispositif juridique de l’OHADA en posant que « La société peut être créée (...) par une seule personne », consacre ouvertement la société unipersonnelle qui, à l’analyse ne peut être constituée qu’en forme de société à responsabilité limitée (SARL) ou de société anonyme (SA).

On comprend dès lors que la doctrine africaine ait jusque-là, vu en ce nouveau-né du droit OHADA, un outil juridique de limitation de la responsabilité de l’entrepreneur individuel. La raison est à lors que, c’est le seul véritable moyen par lequel l’entrepreneur individuel peut organiser l’affectation de partie de son patrimoine à son entreprise ; et par là même, préserver son patrimoine personnel des aléas de la vie professionnelle.

Mais, le recours à la forme sociétaire et l’adoption des régimes matrimoniaux séparatistes ne peuvent garantir au patrimoine de l’entrepreneur individuel une protection efficace. Il faut dire que ces procédés, bien que louables souffrent de quelques imperfections dont il importe de relever pour, dans une logique prospective, ériger les pistes d’une protection fiable du patrimoine de l’entrepreneur dans l’espace OHADA.

1.2. Les imperfections perceptibles de la protection considérée du patrimoine de l’entrepreneur individuelle dans l’espace OHADA

Les outils prêtés à la protection du patrimoine de l’entrepreneur dans l’espace OHADA, qu’il s’agisse de l’adoption des régimes matrimoniaux séparatistes ou du recours à la forme sociétale de l’entreprise individuelle, recèle de nombreuses imperfections qui, dans tous les cas entament l’efficacité même de la protection recherchée.

1.2.1. Les imperfections relatives à l’adoption des régimes matrimoniaux séparatistes

Solution de protection du patrimoine familial de l’entrepreneur tirée du droit commun, le procédé consistant dans le choix de régimes matrimoniaux séparatistes ne sera conseillé avec succès que dans les cas où le patrimoine des conjoints est important et que l’un des conjoints exerce une profession à risque. Mais, il faut dire que le choix de régimes matrimoniaux séparatistes ne garantit pas au bout du compte l’absoluité de la sauvegarde du patrimoine de l’entrepreneur.

En effet, sous l’esprit de l’Article 99 de l’acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif, les créanciers professionnels du conjoint entrepreneur individuel pourront, en invoquant les cas de fraude à leurs droits, exiger en cas de séparation des biens qu’il soit apporté la preuve que les propres de l’autre conjoint, et généralement ceux de la femme de l’entrepreneur ne sont pas acquis avec les deniers de leur débiteur. Auquel cas, ils devront être rapportés à la masse de biens de l’entrepreneur, avec pour effet d’étendre leur gage général.

Par ailleurs et toujours dans l’optique de faire échec à cette technique de protection du patrimoine familial de l’entrepreneur, les créanciers professionnels pourront rendre inefficace tout avantage matrimonial consenti par leur débiteur au profit de son conjoint ; et ce sera le cas généralement de l’époux dont le conjoint était commerçant à l’époque de la célébration du mariage ou l’est devenu dans l’année de cette célébration.

Raison pour laquelle Article 100 de l’acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif : « L’époux dont le conjoint était commerçant à l’époque de la célébration du mariage ou l’est devenu dans l’année de cette célébration, ne peut exercer, dans la procédure collective, aucune action en raison des avantages faits par l’un des époux à l’autre dans le contrat de mariage ou pendant le mariage ; les créanciers ne peuvent, de leur côté, se prévaloir des avantages faits par l’un des époux à l’autre ». 

De plus, l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de l’entrepreneur aura pour conséquence d’appréhender l’ensemble du patrimoine familial de l’entrepreneur, ne laissant à son conjoint que les actions en revendication auprès du syndic de la procédure collective.

1.2.2. Les imperfections inhérentes au recours à la forme sociétale de l’entreprise individuelle

L’inefficacité du recours à la forme sociétale de l’entreprise dans le contexte français est le fait des obstacles à la fois juridiques culturels et psychologiques. Même lorsque l’entrepreneur aura, dans l’optique de sauvegarde de son patrimoine personnel, opté pour la forme sociétaire de son entreprise, l’effet escompté pourrait ne pas être atteint du fait de quelques difficultés.

En effet, l’entrepreneur individuelle, associé unique d’une société qui se rendrait responsable d’une faute de gestion verra son patrimoine personnel être engagé dans les actes de la vie professionnelle. De plus, il n’est pas rare que l’inexpérience de ces acteurs économiques paralyse le procédé dans ses effets.

Mba-Owono (2011) note que très souvent, l’entrepreneur inexpérimenté va mettre en place une société qualifiée plus tard de société créée de fait en raison de l’inobservation de quelques formalités au stade de sa constitution ».

A la réalité, ce sont la complexité des formalités liées à la constitution d’une société et les contraintes de fonctionnement de la société qui ont tendance à décourager l’entrepreneur individuel du recours à la forme sociétaire de son entreprise.

Même si à la réalité, le silence du législateur OHADA sur la problématique de la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel paraît injustifié ou inopportun, il importe déjà de se féliciter du résultat même très approximatif des procédés de droit commun jusqu’ici déployés pour pallier cette carence du droit OHADA. En outre, il convient de demeurer dans l’expectative, sachant que le législateur OHADA ne restera pas encore longtemps insensible aux attentes de ses membres sur la question de la protection du patrimoine de l’entrepreneur, personne physique.

2. La protection espérée du patrimoine de l’entrepreneur individuel en droit OHADA

Le contexte économique actuel en Afrique marqué par la prolifération des petites et parfois, de très petites entreprises individuelles exige que la problématique de la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel soit examinée par le législateur OHADA. Et ce faisant, que le système juridique OHADA, à défaut de solutions juridiques en rupture avec le sacro-saint principe de l’unité du patrimoine, intègre à tout le moins les solutions du législateur français pour une protection de plus en plus efficace du patrimoine de l’entrepreneur en droit OHADA.

2.1. L’emprunt aux solutions françaises de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

A la différence du législateur OHADA demeuré apathique face à la question de la protection du patrimoine de l’entrepreneur, le législateur français, ayant pris le pouls de la situation, a tôt fait d’y consacrer des solutions, dont les plus remarquables sont les mécanismes de la fiducie-gestion et de la déclaration notariée d’insaisissabilité. Procédés qui doivent être reconsidérés par le système juridique OHADA dans l’optique de protection, à tout le moins, optimale du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

2.1.1. La fiducie

La fiducie est, Selon le Code civil français en son article 2011, « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenants séparés de leurs patrimoines propres, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ».

Technique introduite dans le système juridique français par la loi 2007-211 du 19 février 2007, la fiducie est inspirée du Trust anglo-saxon, et constitue une avancée supplémentaire vers la théorie du patrimoine d’affectation. Elle s’est avéré un moyen fort efficace de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ; surtout s’agissant de la fiducie-gestion qui constitue un réel procédé de protection et d’organisation du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Issa-Sayegh (2012) note que, suivant le schéma classique du contrat de fiducie, l’entrepreneur individuel pourra en qualité de constituant affecter une partie de son patrimoine à la gestion d’un fiduciaire qui, devra agir au seul profit du bénéficiaire qui pourrait être le constituant lui-même ; c’est-à-dire l’entrepreneur individuel. A noter que jusqu’ici, la qualité de fiduciaire est l’apanage de seulement certaines personnes morales, à savoir : les établissements de crédits ; les institutions autorisées ; les entreprises d’investissements ; les entreprises d’assurances, les avocats peuvent être constitués fiduciaires ».

A côté de ce mécanisme juridique d’affectation de partie du patrimoine de l’entrepreneur individuel à son entreprise, le législateur français consacre et élargit la déclaration notariée d’insaisissabilité.

2.1.2. La déclaration d’insaisissabilité

Il s’agit selon la pratique d’une mesure qui a pour but d’isoler certains biens de l’entrepreneur individuel du droit de gage général de ses créanciers professionnels. Ouvertement consacrée dans l’ordonnancement juridique français, la technique de la déclaration d’insaisissabilité était limitée à la seule résidence principale de l’entrepreneur.

Mais, dans l’optique précise de réduire autant que faire ce peu la prise de risque de l’entrepreneur individuel pour lequel aucune distinction n’est établie entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel, la loi française pour la modernisation de l’économie vient élargir le champ de la déclaration notariée d’insaisissabilité à l’ensemble des biens immeubles de l’entrepreneur. La déclaration notariée d’insaisissabilité ne devient opposable aux créanciers que dès accomplissement des formalités de publicité.

Même si l’extension du champ de la déclaration notariée d’insaisissabilité laisse entrevoir une réduction sensible de la capacité de crédit de l’entrepreneur, la faculté laissée à l’entrepreneur d’y renoncer permet de juguler les craintes quant à l’accès au crédit. De plus cette renonciation peut être faite au profit d’un ou plusieurs créanciers. C’est dire in fine que la loi permet à l’entrepreneur d’organiser comme une véritable hiérarchisation des créanciers professionnels.

Au-delà de l’efficacité, parfois relative des solutions posées par le législateur français pour réduire la prise de risque de l’entrepreneur individuel pour lequel aucune distinction n’est établie entre le patrimoine professionnel et le patrimoine privé, il importe que le législateur OHADA y trouve, au moins, une source d’inspiration. Et dans le prolongement, ce qui est souhaitable, qu’il envisage des pistes de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel en rupture avec le principe de l’unité du patrimoine.

2.2. La rupture attendue avec le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine 

Olanguena (1982), note que, les velléités de séparation du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel de son patrimoine professionnel sont aussi vieilles que la règle de la liberté d’entreprendre ; l’idée étant de tout temps de mettre son patrimoine personnel à l’abri des aléas de la vie professionnelle.

Il importe pour le système juridique OHADA, au-delà de ce qui a cours dans le système français, d’envisager dès à présent, pour la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel, l’entreprenant OHADA, des solutions en rupture avec le principe de l’unité du patrimoine. En effet, il n’existe aucun principe supérieur de droit qui s’oppose à la séparation du patrimoine de la personne ; et aussi, la réalité fait état de ce que dans plusieurs matières juridiques, l’effritement de la règle de l’unicité du patrimoine est amorcé, et même, semble irréversible.

2.2.1. Une rupture non contraire à un principe de droit supérieur

Que le législateur OHADA puisse envisager une solution de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel en rupture avec le principe de l’unicité du patrimoine qui ne semble pas contraire à un quelconque principe supérieur de droit.

Guyon (2003), note « En effet, la théorie de l’unité du patrimoine qui, est elle-même datée, ne constitue pas un principe supérieur de droit ; auquel cas le législateur OHADA ne pourrait y déroger ».

C’est dire à quel point il demeure envisageable d’affecter une masse de biens, un ensemble de droits et obligations à un but déterminée, qui peut être une activité économique ; et ce, sans pour autant devoir créer une personne morale en support.

En outre, on peut observer que certaines matières juridiques n’ont pas attendu l’abandon formel du classicisme de la théorie du patrimoine pour admettre l’idée de pluralité de patrimoine.

2.2.2. Une rupture amorcée dans certaines matières juridiques

Le patrimoine peut exister indépendamment de l’existence de son titulaire ; et ce notamment, en cas de décès de la personne. Même si selon un vieil aphorisme « le mort saisi le vif », dans les hypothèses d’acceptation d’une succession sous bénéfice d’inventaire, le patrimoine du de cujus existe un certain temps sans véritable titulaire avant d’être intégré au patrimoine des héritiers ou à défaut, d’être liquidé. Ainsi donc, une distinction demeure dans ce cas entre le patrimoine du de cujus qui reste le gage de ses créanciers ; puisque l’héritier sous bénéfice d’inventaire n’est tenu du passif que dans la limite de l’actif successoral.

Par ailleurs, en cas d’entrée en possession provisoire des biens de l’absent, son patrimoine n’intègre pas celui de ses héritiers avant l’entrée en possession définitive ; car, le retour de l’absent demeure très envisagé.

Autrement, comme on peut le constater avec Sawadogo (2011), un régime matrimonial à mi-chemin entre le régime de la séparation des biens et le régime de la communauté universelle. Ainsi lorsque les époux auront opté pour le régime de la séparation des biens avec société d’acquêts ou pour le régime de séparation des biens avec participation aux acquêts, chacun des époux disposera pendant la durée du mariage d’un patrimoine personnel constitué de ses propres et d’une fraction du patrimoine commun.

En outre, l’affectation du patrimoine est très tôt consacrée en matière fiscale. En effet, c’est à la jurisprudence fiscale française que l’on doit la notion fiscale de patrimoine professionnel de l’exploitant. On peut tout de suite penser que c’est en raison de l’autonomie du droit fiscal que va émerger, pour des besoins d’imposition de l’activité économique, la distinction patrimoine privé et patrimoine professionnel de l’exploitant, entrepreneur individuel.

Cette position du droit fiscal, en rupture avec le principe de l’unicité du patrimoine, découle de la nécessité d’identifier, avec une certaine précision, le résultat qui provient de la poursuite de l’activité professionnel de l’entrepreneur individuel. Ainsi, du point de vue fiscal, coexiste un patrimoine civil et un patrimoine professionnel de l’exploitant ; distinction principalement fondée sur la théorie de comptabilisation dite « du bilan ».

A l’évidence donc, on ne comprendrait que très peu ou pas du tout que le législateur, et en particulier celui de l’OHADA se maintienne dans l’hésitation quant à la consécration formelle de la théorie de l’affection du patrimoine sans création d’une personne morale en support.

Conclusion

C’est une lapalissade que l’entreprise individuelle constitue un instrument du développement économique à petite échelle. C’est en quelque sorte le germoir de l’activité économique. Toute chose qui justifie aujourd’hui que l’on questionne dans le droit OHADA, la protection du patrimoine de l’entrepreneur, personne physique.

Sur la question, force est de constater qu’en l’absence de solutions juridiques spécifiques tirées du dispositif juridique OHADA, la pratique a recours aux procédés de droit communs tels que le choix des régimes matrimoniaux séparatistes ou la constitution de l’entreprise en forme sociétaire ; bien qu’il n’en résulte qu’une protection très approximative.

Ainsi donc, il importe tout en interpellant le législateur OHADA sur la question de la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel, de demeurer dans l’expectative d’une réaction très prochaine. Car, si « l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats membres et l’adoption des règles communes, simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies (...) » sont la mission de l’OHADA, on peut toujours espérer l’adoption ultérieure de mécanismes spécifiques de protection du patrimoine de l’entrepreneur ; allant des solutions empruntées au législateur français, aux solutions en rupture avec la théorie classique du patrimoine.

Dès lors, compte tenu de la place de l’entreprise individuelle dans les économies africaines en quête du développement économique, le droit OHADA qui se veut un droit économique, ne saurait contrarier l’activité économique au lieu de la stimuler. Même si en fin de compte, tout prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre.

Bibliographie

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Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement des créances et Voies d’exécution, JO OHADA, n°23, du 15 février 2011, 

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Olanguena, U. (1982). La liberté du commerce et de l’industrie au Cameroun, Thèse 3e cycle en droit privé, Université de Yaoundé. 

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Simonnet, G. (2010). La protection du patrimoine de l’entrepreneur, Mémoire d’admission Master II-Professionnel, Université Panthéon-Assas, Paris II.