La pratique du mariage coutumier et la promotion de la femme dans le Secteur de Lombelo


Elisabeth Muende Makenga

p.79-88

Vol. XXI, n°2, mars 2024 

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Résumé

La pratique du mariage coutumier dans le secteur de Lombelo, Territoire de Demba, District de la Lulua, Province du Kasaï Central, pose de sérieux problèmes pour la promotion de la femme congolaise dont les principaux sont le niveau d’instruction et de la culture des conjoints, la première naissance, la pauvreté, la considération coutumière de la femme, etc.

Introduction

L’homme comme centre de gravité de toute la création divine recherche son développement tant endogène qu’exogène dans sa vie à travers toutes les activités qu’il entreprend.

Pour que cet homme soit stable, il lui faut une compagne, qui est la femme de son choix, de son cœur. Avec cette femme, l’homme est appelé à conclure un mariage, signe visible de leur union légitime, soit-il coutumier, religieux ou civil, dans le respect de la personne et de la personnalité de chaque partenaire (Bakole, 1991).

Toutefois, la pratique du mariage coutumier dans le secteur de Lombelo, Territoire de Demba, District de la Lulua, Province du Kasaï Central, pose de sérieux problèmes sur la promotion de la femme congolaise de ce coin du pays.

En effet, le mariage coutumier à Lombelo, s’organise différemment de celui organisé dans d’autres coins du Territoire de Demba. Dans les lignes qui suivent, nous décrivons la procédure qui mène au mariage dans le Secteur de Lombelo, puis les principaux éléments qui caractérisent la majorité d’unions conjugales dans ce secteur en montrant leur impact sur la promotion de la femme.

1. Brève présentation du Secteur de Lombelo

Lombelo est un Secteur purement agricole situé dans le Terriroire de Demba, District de la Lulua, Province du Kasaï central. Il est borné :

§  Au Nord par la rivière Luelu (territoire de Mweka par Bulangu et Mpata wa Mbombo vers Kinda) ;

§  Au Sud par la rivière Lombelo (les beena Mbala dans le secteur de Mamba) ;

§  A l’Est de nouveau par la rivière Lombelo (par Bena Leka) ;

§  A l’Ouest par la rivière Lulua (vers Luebo).

Lombelo est une véritable île. Son sol est argileux-latéritique très favorable à la culture tropicale. Dans certains endroits on rencontre des roches calcaires, des sols argileux et riches en diamants. Sa végétation est caractérisée par des forêts denses très immenses, des galeries forestières ou des steppes ainsi que la savane herbeuse du type soudanaise. La forêt occupe ¾ du secteur.

Le climat du secteur de Lombelo est dans son ensemble subtropical humide. De ce fait, il se caractérise par la présence de deux saisons dont l’une pluvieuse qui occupe une plus grande durée de l’année, et l’autre sèche qui dure trois mois ; avec une petite saison sèche en janvier qui entrecoupe les 2 saisons de pluie.

Jadis appelé « secteur Tshiaadi » du nom de son premier habitant nommé « Tshiaadi wa Nkanga » dont l’origine et l’histoire proviennent des groupes de Bakwa luntu qui occupent actuellement le territoire de Dimbelenge, le Secteur de Lombelo est uniquement habité par les descendants de Tshiaadi dont les mêmes noms des groupements existent encore à Dimbelenge à savoir : Bakwa Mputu, Beena Kapuki, Bakwa Muenze, Beena Tshulu, Bakwa Kabola et d’autres…

Ce secteur a été créé par l’arrêté du 18 juin 1934 du Gouverneur de province du Kasaï lequel a été modifié par le décret du 10 mai 1957 pour ainsi le baptiser « secteur de Lombelo » qui provient du nom de la rivière qui le longe de l’Est vers tout le Sud où elle se jette calmement dans la rivière Lulua vers la localité de Bakwa Mbuyi/Tshinguvu, situé sur la rive droite de celle-ci dans le groupement des beena Tshulu.

2. La procédure du mariage coutumier à Lombelo

Rencontre des futurs époux

L’homme rencontre la fille ou la jeune femme soit en route, soit au marché, soit à l’Eglise, soit au terrain de foot, soit chez une parenté, etc. Il demande la main à la fille, si celle-ci est d’accord, elle va l’inviter dans sa famille afin de rencontrer ses parents.

La première visite du futur époux dans la famille de sa future épouse

Lorsque l’homme se pointe dans la parcelle de la fille, celle-ci le présente à ses parents et annonce le motif de sa venue. La fille prépare à son futur époux une assise. Puis au moment opportun, le frère de la fille et certains membres de la fille font passer les deux futurs époux à un interrogatoire pour confirmer leur choix, celui de se marier.

Une fois que le père de la fille est convaincu du désir de sa fille et de son futur époux gendre, ce dernier verse de la boisson (deux bouteilles à 7 bouteilles d’alcool indigène, un paquet de cigarette plus une boite d’allumette) aux membres de la famille. Lorsque la boisson est prise, c’est le signe qu’il est accepté dans cette famille.

La deuxième visite du futur époux dans la belle-famille

C’est à cette occasion que le père de la fille annonce à son beau-fils son véritable désir en ce qui concerne les biens (dot) qu’il doit verser d’abord : une somme d’argent, un costume, une paire de chaussure, autant de chèvres, un vélo ou un fusil de fabrication locale ou une radio cassette ou une machette.

Il faut rappeler que la dote est versée en deux parties : Une partie pour le père de la fille et une autre partie pour la mère de la fille. Ainsi, le futur beau-fils ne discute rien avec son beau-père. Il rentre chez-lui chercher les biens qu’il peut obtenir dans un bref délai et vient les verser.

La troisième visite du futur époux

Lorsqu’il amène une bonne partie des biens lui exigés, une poule lui est offerte par sa belle-famille. Cette poule est immolée et préparée puis offerte en repas au futur époux. Comme signe d’acceptation des biens versés.

Les autres visites

Une fois que le jeune époux a versé plus de trois quarts des biens exigés par le beau-père ; il peut alors entrer en contact avec sa belle-mère pour connaître aussi son désir. A ce stade, la belle-mère demande à son beau-fils des pièces d’étoffe, les mouchoirs de tête, le sac de sel de 50kg, le bidon d’huile de palme (de 20 litre), la boite de lait en poudre de 5 litres ; cinq à dix poules, du sucre. Le beau-fils s’en va de nouveau à la recherche de tous ces biens.

A chaque versement des biens, les deux parties peuvent se faire assister des témoins. Au moment où le jeune homme constate qu’il a satisfait aux désirs de beaux-parents, il peut leur demander de lui donner sa femme.

Le versement des biens n’interdit pas aux futurs époux de se rencontrer, se visiter et causer. Mais, il arrive que certains abusent de ces rencontres préliminaires pour les transformer en occasion de cohabiter sexuellement comme époux et épouse sans l’accord préalable des parents de la fille.

Pour les hommes sérieux et honnêtes, ils respectent les engagements et attendent le moment opportun. Cependant, le jour que la jeune femme est remise à son mari, les parents de l’époux ou ceux de l’épouse enregistrent le mariage de leurs enfants au bureau de l’état civil de leur juridiction locale.

3. Principales caractéristiques des unions conjugales et la promotion de la femme.

Le préambule de la constitution de la RDC prône la parité Homme-Femme ; même la sainte Bible déclare que l’homme doit trouver dans sa femme une partenaire (Ephésiens 5, 28). Cependant, les mariages qui se célèbrent à Lombelo n’augurent pas une vie de famille heureuse.

3.1. Le niveau d’instruction des mariés

Rarement l’époux peut avoir obtenu son diplôme d’Etat des humanités ; la fille n’ayant atteint le niveau de quatrième secondaire. La plupart de cas, l’homme a le niveau de la deuxième année secondaire et la fille celui de l’école primaire. Cette instruction reçue avec beaucoup de lacunes, caractérise encore un analphabétisme juvénile. Ainsi, la famille, qui va se former, a des problèmes d’une compréhension soit de la part de l’homme soit de la part de la femme de tous les deux à la fois.

3.2. La première naissance sui survient dans ce nouveau couple

Au cas où la jeune femme met au monde un garçon elle gagne la confiance de son mari et de tous les membres de la belle-famille.  Mais si la primigeste accouche d’une fillette, elle se voit déconsidérée, et par son mari et par sa belle-famille. En conséquence, le mari amorce un deuxième mariage avec objectif d’avoir un garçon. Si souvent, toutes les tentatives n’aboutissent pas à la positivité ; le jeune homme se retrouve déjà polygame ou divorcé.

Toutes ces femmes (coépouses) n’ont aucune occasion de partager les idées formatrices et constructives du développement intégral. Elles se retrouvent abandonnées aux travaux champêtres pour nourrir les enfants.

3.3. L’application de la loi

Qui peut comprendre quoi ? Qui a le courage d’instruire les autres ? C’est le chaos. Les Agents des services de l’Etat profitent de l’analphabétisme à outrance des mariés pour les assujettir et les maltraiter, même si ces dernières sont dans leurs droits légitimes.

Ces textes juridiques sont tenus cachés et sacrés à l’égard des familles de Lombelo. Et pourtant, la connaissance des lois qui régissent le mariage coutumier constitue des garde-fous contre le divorce, la polygamie et les violences faites aux femmes.

3.3. La communication dans le couple

La communication entre époux est quasi inexistante. Il arrive même que les deux conjoints se jouent au cache-cache dans les domaines économique, financier et patrimonial. L’homme ne dit pas la vérité à sa femme de ce qu’il a perçu, la femme de son côté crée une caisse parallèle pour elle et sa propre famille. Ce manque de transparence fait que l’homme continue à maltraiter sa femme, la déconsidère, lui manque la confiance.

3.4. Le niveau de la culture des époux

La plupart des hommes et des femmes qui entrent dans le mariage à Lombelo, ont rarement voyagé vers d’autres lieux de la province ou du Territoire de Demba. Ils sont nés dans leurs villages d’origine, ils y ont grandi et ont cherché des femmes à épouser dans des villages voisins, craignant les femmes de la ville parce qu’elles sont émancipées et clairvoyantes.

Et pourtant, les jeunes diplômés d’Etat des écoles rurales qui arrivent en ville pour les études universitaires ne font pas piètres figure ; ils ramènent de grands diplômes universitaires au village.

3.5. La coutume 

Pour la fille, les parents se procurent une nette occasion de s’enrichir ; ils vendent leur enfant. Pour le garçon qui se marie, il trouve une subalterne à qui donner des ordres ; à frapper quand il le faut, avec raison parce qu’achetée.

La femme ne peut rien faire sans l’accord de son mari ou du conseil de famille de son mari. Elle doit se conformer aux exigences et règles coutumières de la famille de son mari.

3.6. La prostitution et le divorce

Toute femme qui revendique son droit et qui comprend qu’elle est semblable à l’homme, qu’elle a droit à la vie, à toutes les activités et profession comme lui finit par quitter l’homme, obligeant sa famille à rembourser la dot.

Au cas où la femme arrive à tirer la conclusion telle que « tous les hommes sont les mêmes » elle se transforme en une prostituée à la recherche d’une autonomie. Elle oublie qu’elle se résigne davantage au lieu de rechercher son émancipation et sa vraie valeur.

3.7. La pauvreté et le sous-emploi

Il est des parents qui se retrouvent dans un état alarmant de pauvreté ; leur unique solution est de marier leur fille à un riche trafiquant de diamant pour être sa quatrième ou sa sixième femme. Ainsi, la jeune fille va se retrouver reléguée au rang social inférieur.

Une autre manche du problème est la pauvreté et le sous-emploi de ceux qui se marient : la femme se retrouve comme une ouvrière à charge d’autres ménages pour gagner de quoi se nourrir et nourrir sa famille. Elle est enchaînée dans les travaux de sarclage, de transport des produits agricoles des champs vers le village ou parfois le tamisage des graviers dans des gisements diamantifères.

 

Et pourtant, le mouvement actuel de la vie suppose la parité Homme et Femme à tous les niveaux professionnels. Les femmes doivent être effectivement instruites pour effectuer les différentes professions. Les efforts ont été consentis par le Gouvernement Central de la RDC avec les organisations spécialisées de l’ONU telles que l’UNICEF, le PNUD et les organismes internationaux comme l’USAID pour la promotion des filles et des femmes. La balle reste dans le camp des parents qui doivent prendre conscience du sort de leurs filles.

4. Opinion de la population sur le mariage coutumier et la promotion de la femme.

Nous présentons les résultats d’un sondage d’opinion qui a concerné 100 sujets du Secteur de Lombelo. Ils étaient appelés à répondre à trois questions :

§  Opinion sur le système mariage coutumier ;

§  Considération de la femme dans le mariage ;

§  Remèdes pour la promotion de la femme.

Tableau n°1. Répartition de sujets selon l’état-civil

Etat-civil

fréquence

Pourcentage

Marié

70

70

Célibataire

30

30

Total

100

100

La grande majorité de sujets d’enquête est constituée des mariés.

Tableau n°2. Système du mariage coutumier

Avis

fréquence

Pourcentage

Bon système

32

32

Mauvais système

46

46

Sans avis

22

22

Total

100

100

32% de sujets interrogés trouvent convenable le système de mariage coutumier ; 46% le trouve mauvais et 22% sont sans avis.

Tableau n°3. Considération de la femme mariée à Lombelo

Avis fréquence    Pourcentage

Un objet

62

62

Une esclave

12

12

Une ménagère

10

10

Une partenaire

4

4

Une machine à faire des enfants

12

12

Total

100

100

La grande majorité pense que la femme est considérée comme un objet à Lombelo (62%) ; seuls 4% de sujets pensent que la femme est considérée comme une partenaire de l’homme. Pour le reste, la femme est une esclave (12%) ou une machine à faire des enfants (12%). 

Tableau n°4. Remèdes en faveur de la promotion de la femme de Lombelo

Avis

fréquence

Pourcentage

Changement de mentalité

50

50

Vulgarisation de la loi

40

40

Application de la loi

5

5

Instruction de la population

5

5

Total

100

100

La majorité de la population (50%) pense que c’est un problème de mentalité, il faut la changer. Une partie non négligente (40%) pense plutôt à l’ignorance de la loi par la population et qu’il faut vulgariser la loi. 5% de la population demande à l’Etat d’appliquer la loi et 5% autre préconise l’instruction de la population pour qu’elle arrive à comprendre et appliquer la loi

Conclusion

Le mariage coutumier à Lombelo comme dans d’autres communautés au Congo, en Afrique et dans le Monde a des particularités dont certaines sont en défaveur de la promotion de la femme voulue par la Constitution du pays. La population en est majoritairement consciente et préconise le changement de mentalité de la population en général et des hommes en particulier pour promouvoir l’émancipation de la femme de Lombelo.

Qui dit changement de mentalité dit instruction. Les pouvoirs publics ont l’obligation de faire respecter le droit à l’éducation pour tous afin de favoriser ce changement de comportement. Avec la gratuité de l’enseignement fondamental, les parents ont désormais l’occasion de scolariser tous les enfants, mais ils ne le feront pas sans contrainte de l’Etat qui connait bien la force de l’habitude. 

Bibliographie

Archives ouvertes, Le mariage africain entre tradition et modernité. En ligne sur http://www.archives-ouvertes.fr (Consulté le 25/04/2014 à 9h30’)

Bakole wa Ilunga (1991). Le chemin de la libération, Kananga : Editions de l’Archidiocèse.

Congo forum (2014). Le coût excessif de la dot encourage le concubinage en ligne sur http://www.congoforum.be (Consulté le 25/04/2014 à 10h30’)

Diplomatie belge, Femmes Développement : Le genre dans les OMD 2000-2015. Où en est-on ? En ligne sur http://diplomatie.belgicum.be/fr./binocries.

Ministère de Genre, famille et enfant (2009). Stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre (SNVBG), Kinshasa.

Mulagogwa Ukala (1991). Mariage traditionnel africain et mariage chrétien, Kinshasa : éd. Saint Paul Afrique.

O.N.U. (2000). Les objectifs du Millénaire pour le développement, Genève.

Témoin de Jéhovah (2006). « Savez-vous bien communiquer ?» in Tour de garde, Volume 127, n° 08.