Episode XLI - Des Portraits

20 juin 2019

Dans ma deuxième lettre de nouvelles pour DM-échange et mission, j'écrivais, à propos des Malagasys que je ne manque pas de rencontrer ici : "[...] je suis captivé par toutes ces personnes que je croise, dont la peau ressemble parfois plus à celle des Polynésiens qu’à des Africain-e-s « du continent ». Leurs yeux sont marrons, ou noirs. Et quand on y plonge son regard, on y trouve une détermination et une tranquillité magnifiques."

Eh bien c'est toujours vrai ! Toute ces personnes qui m'entourent ont quelque chose de profondément beau, et pour l'illustrer je vous propose une petite série de portraits que j'ai fait ces derniers temps - vous savez, ce moment où l'on s'apprête à rentrer et qu'on réalise que l'on n'a pas encore de bonne photo de son voisin...

Meja - ami, voisin, collègue. Bref, la personne indispensable du village !
Holy, sa femme, et qui est aussi ma collègue et voisine, du coup.
Miah - leur fille aînée. Choue, mais avec un sacré caractère :)
Mihary, la cadette, qui vient de souffler sa première bougie !
Mamy - collègue habitant dans l'école et célèbre pour ses extraordinaires cafés !
Hery, femme de Mamy et cuisinière hors-pair ! Je recommande tout particulièrement sa recette de tsaramaso.
La discrète Fitia, aînée de Hery et Mamy.
Sa sœur Mitia, au regard aussi captivé que captivant.
Rinah, la prof de français habitant au cœur du village d'Imerinkasinina.
Mihaja, son mari, qui complète avec Meja et Mamy notre quatuor de choc' :)
Minah, leur pétillante fille de 6 ans, qui parle incroyablement bien français !
Ezekia, l'une de leurs jumelles, qui sait aussi bien sourire que faire coucou !
Et sa sœur, la curieuse Johanna, en permanente observation du monde qui l'entoure.
Mme Lisitiana - prof de malagasy pour les secondaires.
Maîtresse Rojo, prof de la classe panachée 7e-8e.
Mme Denise, la directrice qui dirige tout ce beau monde !
Tiavina, mon amie d'Anjeva rencontrée dans un taxi-brousse.
Sa fille Tiako, qui a décidé de me considérer plus ou moins comme son grand frère !
Le jeune Rabiot, qui sait maintenant marcher sur ses deux pieds !
Claudine, qui s'occupait des enfants de mes collègues avant d'avoir dû rentrer dans sa campagne en avril dernier.
Faniah - élève de la classe de 4e
Tanjona, Fifaliana et Romy, une équipe de jeunes très actifs dans l'Eglise
Santa et Nambinitsoa - élèves de la classe de 5e
Sitraka - élève de la classe de 3e
Kevin - élève de la classe de 5e
Christiane - lycéenne prête à passer son bac, et qui m'a demandé quelques cours de français

Episode XL - Un air de musique

Du 10 au 16 juin

En plein tournage !

S-4. Je ne sais pas si on peut dire ça comme ça, mais en tout cas il ne reste plus que 4 semaines avant que je ne prenne le chemin du retour. Mody (=rentrer chez soi), comme on dit par ici. Quelques petites semaines que j'ai bien l'intention de meubler avec les derniers projets qui me trainent dans la tête.

L'un d'eux justement, c'est de réaliser un clip avec les élèves. Ils savent si bien danser, ce serait dommage de ne pas immortaliser un minimum ce talent. A peine je leur parle de mon idée, la vague de motivation déferle. "Ah bon, ce n'est pas juste à la télé qu'on peut faire des clips ?". Non non, on va essayer avec les moyens du bord. Une caméra, une bonne musique entêtante et c'est parti pour plusieurs heures de film dans le village.

Résultat : une séquence vidéo de 5 minutes, réalisée en à peine plus d'une semaine (le temps file trop vite pour qu'on réussisse à le prendre). Dont le but est de mettre en valeur les élèves, mais aussi de présenter mon village et le déroulement d'une journée à l'école d'Imerinkasinina.


Episode XXXIX - Un p'tit tour

Jeudi 30 mai 2019

On est jeudi de l'Ascension. Après un culte des plus solennels, qui a vu plusieurs personnes être baptisées ou prononcer leur confirmation, j'aide mes collègues au "stand des enseignants" devant l'église. On y vend cafés, composés et autres soupes dont les bénéfices servent à entretenir tant bien que mal l'état financier du collège. Ma contribution culinaire d'aujourd'hui, ce sont deux casseroles pleines à raz bord de manioc au chocolat, reprise suisso-malagasy d'une spécialité locale, devenu célèbre dans toute la brousse avoisinante.

Les enseignants deviennent cuisiniers pour la journée !

Moment tranquille et hors du temps, passé à discuter avec des paroissiens et prendre des nouvelles par-ci par-là. Mais comme souvent lors de ces jours fériés ou dimanches, le retour à la maison se fait de manière plutôt solitaire. Souvent je profite de ce moment de calme dans la semaine pour anticiper les cours, causer avec des gens en Suisse, imaginer des projets pour l'école, retoucher des photos...

Mais pas aujourd'hui. Cet après-midi, à la recherche d'aventures un peu différentes et d'un brin de sociabilisation, je suis parti - polaroid à la main - rencontrer les gens du village. Discuter, bredouiller du malagasy, prendre des photos ou en offrir. Un programme court mais intense.

Départ de la maison, avec un bel éclairage hivernal
Le carrefour de tous les petits chemins de traverses du village
La porte Nord du village, dont la grosse pierre servait jadis à barrer l'accès aux envahisseurs
Halte chez Mihaja, Rinah & famille, en plein sakafo. Ils hébergent Miah pour l'après-midi
Devant l'épicerie, une équipe de villageois fascinés par le polaroid
En revenant devant l'église, je croise Mr. Robert et sa femme, sacristains des lieux
Ma souriante voisine, habitant une sorte de pseudo-ferme en dessus de chez moi
La journée se conclut en beauté par un bon couscous à la maison !

Episode XXXVIII - Haut en couleurs

Lundi 3 juin 2019

Ces temps, il y a comme un petit air de départ qui commence à flotter dans l'air... Tout devient très intense, les événements autant que les relations. Difficile de mettre des mots sur ce que je ressens, j'ai juste l'impression d'être un peu dépassé par ce qui se passe autour de moi.

Les aventures des dernières semaines sont à cette image. Riches et précieuses. En voici un petit extrait autant divers que varié, de toutes ces rencontres et péripéties qui forment mon petit monde.

Le 23 mai, nous avons fêté l'anniversaire de Meja ! Au menu, repas de fête, le traditionnel akoha gasy discrètement agrémenté d'une touche de chocolat suisse pour le dessert...

Mes visites des derniers temps ayant apporté des livres que je donnerai à l'école lors de mon départ, je fais pour l'instant office de bibliothèque municipale :)

Les séances cinémas des jeudis midi continuent de battre leur plein. Ici, nous sommes prêts à regarder l'Âge de Glace.

Au retour d'une sortie piscine, Miah si bien juchée sur la tête de son papounet préféré !

Pour écosser les cacahouète, je peux compter sur l'aide fidèle de ma jeune voisine, Miangoula, qui aime décidément bien venir dire coucou !

Dimanche dernier, nous avons eu le Voka-Dehibe, culte spécial organisé par l'école et dont les offrandes servent à assainir les finances. Comme à Noël, les élèves nous ont régalé de leurs plus belles danses !

Vita gasy

Parenthèse studieuse : Comment donner un cours d'astronomie, avec peu de matériel, en 3 étapes.

Fig. 1 : Tailler un bout de pain sec en boule. Enlever le papier d'alu d'une plaque de choc'.

Fig. 2 : Vous obtenez une lune !

Fig. 3 : Avec sa copine la Terre, prêtes pour le cours du lendemain sur les éclipses !

Ne reste plus qu'à manger le chocolat...

Episode XXXVII - Des bulles

15 & 22 mai 2019

Le mois de mai a définitivement rimé avec projets. A la suite d'Andasibe, il reste encore un peu d'argent issu de la recherche de fonds. Une partie va pour acheter le bicarbonate des brossages de dents des élèves (cf. Episode XXXVI), mais je dédie l'autre moitié à un projet qui me tient à coeur : permettre aux élèves de se baigner à la piscine en contrebas du village, où ils n'ont encore jamais eu l'occasion d'aller, et apprendre à nager à ceux qui ne le savent pas encore. L'occasion aussi de faire un petit shooting photo et de vous permettre de voir tous ces élèves au taquet !!

Episode XXXVI - Opération Projets

Mois de mai 2019

Je commence à me sentir vraiment chez moi, dans ce calme village d'Imerinkasinina. J'admire énormément tous ces habitants, qui se lèvent chaque matin pour ramasser du bois, cultiver le riz, s'occuper de leurs bêtes. Pourtant, malgré la rudesse du travail quotidien, il y a toujours de la place pour l'accueil : certaines fois, en rentrant des cours, on m'invite à venir à manger le manioc. J'entre chez les gens, j'essaie tant bien que mal de m'exprimer en malagasy. Et quand les mots font défauts, place aux gestes. Et aux sourires.

J'admire aussi mes élèves, toujours plein d'entrain, prêts à relever le défi de comprendre les maths malgré la difficulté du français. J'ai arrêté depuis longtemps de compter mes heures, pour eux j'essaie de préparer au mieux mes cours, afin qu'ils soient concrets et utiles, quel que soit le métier qu'ils feront plus tard. Défi de plus grande ampleur, je suis maintenant assez immergé pour essayer de comprendre ce qu'ils vivent à côté de l'école. Car comme me l'a dit Meja lors de notre discussion sur ce qu'est un bon prof : "Un enseignant, ce n'est pas juste quelqu'un qui sait se faire comprendre par ses élèves. Il doit lui aussi les comprendre eux, dans ce qu'ils vivent à la maison et ailleurs."

Alors autant le dire tout de suite, je ne prétends pas bien comprendre les élèves. La culture malagasy m'est encore trop obscure sur de nombreux points, même après de longs mois passé à Madagascar... Cependant, avec le temps je réalise qu'il y a des tas de petits projets que je peux faire pour eux. Et comme je ne reste plus que deux mois sur l'île, autant les lancer sans plus attendre !

Mme Hery sensibilise sa classe de CP1 (les tout petits) aux problèmes dentaires.
Mamy passe à la pratique devant la classe de 5e : comment bien se brosser les dents.

Depuis quelques temps, les problèmes de dents de mes élèves me préoccupent. Régulièrement, un enfant ou deux ne peuvent pas suivre le cours, les douleurs à la mâchoire étant trop fortes. Je commence à comprendre pourquoi en Suisse, nous y portons autant d'attention ; les dents, c'est précieux et ça peut faire bien mal. Nos multiples visites au dentiste scolaire quand nous étions petits prennent subitement un sens... Ici les élèves manquent cruellement de prévention, n'utilisent pas de dentifrice (trop cher) et ne se brossent pas régulièrement les dents. Bref, il y a bien quelque chose à faire dans le domaine.

En me renseignant auprès de dentistes en Suisse et en naviguant sur cette magnifique ressource qu'est internet, j'apprends que le bicarbonate de soude, bien meilleur marché que le dentifrice, peut s'y substituer si on ne l'emploie pas trop fréquemment. Après concertation avec les collègues, nous convenons donc d'organiser une séance "prévention carie", durant laquelle nous sensibiliserons les enfants aux risques des aliments sucrés qui foisonnent à l'épicerie. Nous organisons aussi maintenant, chaque lundi et jeudi après-midi, une "séance brossage de dents supervisée" où l'école met à disposition du bicarbonate. Histoire que les élèves prennent les bons réflexes ! Et qui sait, peut-être transmettent les bonnes habitudes à toute la famille :)

Les élèves de 5e, très fiers de me montrer leurs belles dents blanches.

Episode XXXV - Un Quotidien

21 mai 2019

On est le 21 mai, un mardi comme tant d'autres. Ça fait deux semaines que l'on est rentré de Foulpointe avec les collègues, j'aimerais raconter tous les projets que l'on est en train de mettre sur pied avec l'école. Mais ce soir, attablé derrière mon bol de lentilles au curry, je réalise que j'ai vécu une belle journée qu'il me plairait d'écrire. Rien de très spécial, juste une journée avec cette touche d'originalité à laquelle Madagascar m'a habituée.

Tout commence à 5h47 (soyons précis). Le réveil sonne, mais il fait très froid : à 1600m d'altitude en hiver, même le climat tropical de l'île n'arrive pas à faire monter le thermomètre en-dessus de 15°C durant la nuit. Et comme il n'y a pas de chauffage... Le réveil sonne donc, mais je n'ai pas du tout envie de me lever, mais alors pas du tout. Ça snooze à tout va, je sais que dans 15 minutes je vais le regretter mais on est vraiment trop bien sous la couverture...

En fait, tout commence donc plutôt à 6h07. Je me suis fais violence, la nuit de 7h15 de sommeil suffira à me donner l'énergie pour la journée. Le p'tit déj' est spécial, les céréales ont été importées spécialement depuis Tana vendredi dernier. On oublie le traditionnel porridge ou les tartines au pain malagasy, je savoure un bon bol rempli du lait de zébu de "Mr. Ronono". La bouteille est finie, tant mieux ça évitera qu'elle ne tourne. Le lait de zébu ça tourne toujours vite.

Le temps de checker ce dont j'ai besoin pour les cours de la journée, de préparer les affaires, de se brosser les dents et tout et tout, et il est déjà l'heure fatidique. 6h53. La vaisselle attendra, je rentre les deux bidons d'eau qui m'ont été livrés et c'est go direction l'école !

Au fond, dans la brume matinale, le clocher de l'église. A côté, c'est l'école !
Les caméléons sont partout !

A la salle des maîtres, je mets ma blouse d'enseignant, je prends mes craies. Aujourd'hui, à 7h00, je commence par les maths chez les 4e. Le sujet du jour, c'est de la géométrie analytique. Le moment de culte fini, je peux leur parler de pente de droite, de hauteur à l'origine. Réalisant qu'ils n'ont pas encore parfaitement saisis ces notions, j'improvise un exercice bonus : dessiner des tas de droites données par leur équation algébrique. Ça y est, je vois les visages s'éclairer peu à peu ! "Mazava be !" (=bien compris), me lance Tanjona, quand je demande si tout est clair. Un petit tour des tables me montre qu'effectivement, la matière a l'air bien assimilée par toutes et tous.

Je leur parle ensuite de cercles et de tangentes, leur dessine pourquoi nous voyons notre image déformée dans une cuillère ; autant mettre en parallèle les maths avec le cours d'optique. Mais bien vite la cloche retentit. Il est 9h00, et c'est la récréation des secondaires.

Mr. Mamy a préparé le katsaka, le maïs trempé dans de l'eau sucrée. C'est bon, et surtout ça redonne un peu d'énergie ! Je cause un bon moment avec les élèves, qui me font aujourd'hui la liste de tous les problèmes de santé qu'ils ont. Et de coeur, ça c'est un autre soucis, tout particulièrement chez les 4e. " Mais on est quand même au taquet !" me garantissent-ils avec de grands sourires, reprenant l'expression que je leur ai apprise la semaine dernière.

Sous l'escalier, assise sur le perron de la porte du bas, Fitia s'est pour sa part lancée dans l'observation de son image...dans la cuillère qu'elle tient entre ses mains. Je vois que le cours est rapidement appliqué :)

A gauche, les escaliers menant à l'étage du haut. Ci-dessus, le perron menant au rez.

Driiiiing ! La sonnerie a retentit une seconde fois, actionnée par un élève de la classe de 6e. Les élèves se mettent en rangs, et après quelques "distance, fixe, garde-à-vous..." rentrent en classe à la queue leu leu. Les maths reprennent, mais les 45 minutes de cours restantes passent à une vitesse grand V.

Leçon suivante : physique-chimie pour les 5e. "5 minutes de pause, ramose (=monsieur) ?". Ok, c'est parti pour une petite pause, le temps de m'installer, de préparer les expériences et j'irai chercher les élèves dehors. Ah bah non en fait, la petite discussion que j'ai rapidement amorcée avec Mamy prend une tournure assez sympa. C'est l'heure du bilan pédagogique, mon collègue me fait une analyse des manières d'enseigner qu'il trouve originale chez moi. Et me pose mille questions là-dessus ! Le fait de lier constamment le cours à de la pratique, de s'approprier la matière et de choisir ce qui est vraiment pertinent pour les élèves, de considérer l'apprentissage de la logique et de la débrouillardise comme plus important que le brutal par-coeur des maths. Voilà quelques points qui ont retenu son attention, il m'avoue avoir beaucoup remis en question son enseignement depuis que je suis arrivé dans l'équipe. Tant mieux, ce sont toujours des paroles agréables à entendre, j'appréhende de mieux en mieux mon rôle à Madagascar. Mais le temps file, on a des cours à donner. Il aimerait qu'on aborde le sujet plus longuement, genre lors d'un petit café après les cours : c'est agendé !

Parenthèse terminée, on peut commencer le cours. Ah bah non, deuxième interruption, cette fois c'est Fredo qui m'apporte des avocats. Juste comme ça, cadeaux. Ils sont vraiment incroyables ces élèves !

Ne jamais monter dans un taxi-brousse ayant des pneus dégonflés ! Voilà la mise en garde du jour, thématique du cours de physique expliquée et argumentée à grand renfort de schémas. Tout cela à cause des frottements, de la dilatation et des pneus qui font boum ! Après la physique, c'est le cours de langue. C'est tranquille, on complète le texte manquant dans une chanson de Maxime Leforestier. "C'est une maison bleue, adossée à la ____________ (1)." Tous les élèves sont concentrés, ils écoutent attentivement la musique qui passe une fois, deux fois dans ma UE Boom. L'exercice est complet, il s'agit d'écouter les paroles, suivre dans le carnet de chants que je leur ai imprimé pour l'occasion, et compléter les trous en orthographiant correctement les mots. Je suis agréablement surpris, tous s'en sortent pratiquement sans faute !

Vita amin'ny androany, déclare-je. C'est fini pour aujourd'hui. "Non, on veut encore danser". Mais c'est midi passée ! "On veut encore danser la macarena". Devant leur enthousiasme, difficile de renoncer. L'enceinte est rallumée...et on danse la macarena, récemment apprise à mes élèves, au milieu de la salle de classe.

C'est aussi ça, Mada. Une touche de folie et d'insolite partout, à tout moment.

Heritiana corrige un exercice au tableau. A droite, la classe de 5e en pleine performance.

Pour le dîner, pas le temps de rentrer à la maison. Alors depuis qu'il n'y a plus la cantine, c'est parfois un peu technique... Heureusement qu'il y a les collègues ! Aujourd'hui ce sont Rinah et Mihaja qui m'ont invité pour savourer le trondro maina, le poisson séché avec le riz. C'est très bon, je trouve que ça manque un peu de légumes, mais je suis conscient de l'honneur qu'ils me font en m'invitant manger du poisson. Dans notre campagne, c'est un produit de luxe...

Encore un petit moment passé à faire coucou à Ezekia et Johanna, leur deux petites jumelles, et avoir Minah qui me grimpe sur le dos ; c'est tout bon, on peut retourner à l'école, où les élèves sont déjà prêts à rentrer en classe.

Le village d'Imerinkasinina. Et ses poulets.

Les journées de 8 heures d'enseignement, c'est parfois un peu long. La période de maths avec les 5e passe encore assez vite, et je ramasse toute la motivation qu'il me reste pour donner la physique aux 4e. Il faut un peu les secouer, je sens qu'ils seraient assez chauds à faire 2 heures de sieste. Mais ils doivent comprendre les notions d'ombres et de pénombres avant que l'on entame les éclipses, si tout va bien demain.

J'essaie d'être dynamique, de capter leur attention et de les faire participer un max pour éviter qu'ils ne sombrent dans le côté sommeil de la force. L'énergie en aura valu la chandelle, demain on peut commencer l'astronomie ! Mais pour l'heure une p'tite pause s'impose, et avec Meja on va boire ce fameux café chez Mamy pour parler pédagogie.

Fitia dessine les ombres et pénombres.

Il est 17h30. Je suis passé à l'épicerie faire le plein de pains, qui m'ont coûté comme d'habitude 3 fois rien. 300 Ar. l'un, soit moins de 10 centimes. A la maison, ma jeune voisine Miangoula essaie de s'inviter pour boire un sirop, mais franchement ce n'est pas trop le moment, il commence à faire nuit et il faut encore préparer le souper. Au menu, les lentilles (bah ouais, celles du début). On balance un chou complet dedans, et c'est parti les vitamines ! Encore un peu d'administratif, répondre à plusieurs whatsapp...et finalement écrire quelques pages de mon journal de bord. La soirée est passée vite, il est 22h30 et demain sera un autre jour.

Le soleil s'est couché, les étoiles se sont levées sur le paisible village d'Imerinkasinina.

Episode XXXIV - Hopeful Pointe

Du 27 avril au 4 mai

Après un petit tour à Morondava avec Soline, les vacances de Pâques ne sont toujours pas finies ! Il me reste encore une semaine à passer avec les collègues, à Foulpointe sur la côte est. Mais pour cela, une longue traversée m'attend... Vendredi et samedi 26 et 27 avril, je me fais un petit "cross-country" Mada des plus sympathiques, 21 heures de taxi-brousse pour joindre les deux côtes de l'île. On a l'occasion de voir du paysage ! La 2e partie du trajet est d'autant plus cool qu'on a un véhicule privé avec les enseignants ; on met la musique qu'on veut, on chante, l'ambiance et aux rires et aux sourires !

Grosse ambiance à bord !

Une première halte d'une journée et demie à Tamatave/Toamasina me permet de redécouvrir cette ville que j'avais déjà explorée en décembre. Et de revoir Tania ! On en profite pour aller boire un petit verre, se raconter nos dernières aventures en date. Ça fait toujours du bien de pouvoir partager notre ressenti sur le séjour malagasy, surtout face à cette dernière ligne droite qui se profile peu à peu.

Lundi matin, on n'éternise pas notre séjour citadin et on s'en va pour la station balnéaire :) En fait, on aurait encore du rester à Tamatave un jour de plus. Mais problème de comm' oblige, on a été viré de notre chambre/salle de classe à 6h00 du matin, car les élèves commençaient en fait l'école un jour plus tôt que prévu... #CCA

A Foulepointe nous est prêté un cabanon, qui appartient à une dame de la paroisse. Evidemment le confort est comme d'hab' très minimal, mais je commence à y être habitué. Et sa situation est tout simplement exceptionnelle : derrière le portail, c'est l'océan indien !

La semaine se déroule à un rythme très moramora, qui fait sacrément plaisir ! Finis les petits tracas, les réveils matinaux. On peut enchainer les grasses mat', les petits cafés dans le village, parcourir les marchés à la recherche d'avocats et d'ananas. Vers 11h00, on se retrouve chaque jour avec toute l'équipe, et on se dirige d'un pas tranquille vers la plage, juste là. On y bulle 3 à 4 heures, apprenant aux collègues à nager, à construire des châteaux de sable avec les enfants on encore courant dans l'eau façon "Alerte à Malibu". Bref, on n'est pas loin du rêve.

On dîne tous les jours tard, mais aucune importance on n'a pas de programme ! L'après-midi je prends un moment pour lire, écrire, discuter avec un collègue autour d'un avocat juteux ou encore chercher des coquillages avec les enfants qui m'appellent désormais tous "tonton Alexis". Et ils savent maintenant prononcer mon nom !

Ensuite, quand la pluie arrive vers 17h00, on se met à l'abri, on soupe. Et la journée se termine traditionnellement par un petit rhum arrangé, à réinventer le monde. Et à parler de pédagogie, souvent. On est des enseignants ne l'oublions pas !

Une semaine calme et posée donc, mais qui a tout de même été perturbée par quelques anecdotes (il en faut bien...). Pratiquement tout le monde est tombé malade, et le dispensaire de Foulpointe est devenu un lieu de rencontres indiscutable. Après les enfants, atteints de varicelle, c'est Meja qui a fait une grosse chute de tension et qui a dû subir plusieurs piqûres pour s'en remettre.

La cerise sur le gâteau cependant, c'est moi ! Un soir, en mangeant un poisson entier (comme le veut la tradition, car la tête "c'est le plus goûtu!..."), je me coince une arête entre deux dents. La gencive est touchée, ça fait bien mal. Et avec le simple cure-dent que nous avons sous la main (et non sous la dent), on ne peut pas faire grand-chose. Tant pis, au dispensaire j'ai vu qu'il y avait un dentiste, on ira lui demander son avis le lendemain.

Seulement voilà, chez le dentiste quantité de surprises nous attendent de pieds fermes. En y arrivant avec Mamy, on découvre le cabinet vide. Normal, le médecin est en train de jouer aux dominos dehors. Il arrive un peu plus tard, en tongs, short et chemise de plage (chill). Il prend le temps de se laver les mains, me fait m'asseoir sur la chaise de dentiste. Tout a l'air d'être plutôt du bon matériel, juste dommage que le crachoir n'ait jamais été lavé...bref ! Il ne met pas de gant, et je sens ses doigts gratouiller ma cavité buccale avant qu'il ne décide sans trop crier gare "qu'il faut anesthésier". Il récupère une seringue qui traine par là, et paf dans le palais ! On charcute un peu la gencive, et on y trouve l'arête, plantée profondément et d'une taille assez respectable. Bon, au moins ça justifiait la visite, ce truc là aurait pu m'infecter plutôt deux fois qu'une ! Et quand on sort, Mamy me rassure un peu. Malgré des manières un peu brutales et un manque d'hygiène assez évident, la seringue avait l'air en ordre et je ne risque pas de choper toutes les maladies du monde à cause de la piqûre. Mais au moins j'aurais eu l'occasion d'expérimenter et de comprendre ce que le mot médecine signifie à Mada, et ce que vivent probablement mes élèves quand ils tombent malades à Imerinkasinina...

A gauche, le fameux cabinet. Ci-dessus, la visite du fort de Foulpointe. Histoire de finir avec une touche joviale !

Episode XXXIII - La Pause-Pâques

Du 18 au 21 avril 2019

Après ces belles aventures à Andasibe, il est temps de se poser un peu et de fêter Pâques au village. Le samedi, on part avec les collègue du côté d'Ambatomanga, là où ils font le fromage typique de notre région. On ne peut malheureusement pas visiter la fromagerie, mais on revient néanmoins les sacs remplis de victuailles ! On enchaîne ensuite avec une soirée vraiment pascale, avec Soline nous leur avons organisé une petite chasse aux oeufs dans le jardin. Destinée principalement aux enfants, mais finalement je crois que les parents en ont encore plus profité !! Résultat : tout le monde cherche assidûment les surprises que recèle le jardin, les oeufs et les lapins ont été habilement planqués entre les hautes touffes d'herbes qui donnent à mon gazon des allures de savane.

Je leur ai proposé de refaire une chasse de ce style l'année prochaine, mais Mamy m'a répondu qu'il n'aurait jamais autant de motivation pour chercher autre chose que du chocolat... 😊

Le dimanche, nous sommes invités par mes amis d'Anjeva à la cérémonie de baptême de Tiako et Rabiot, qui se déroule dans l'autre gros village de la région : Ambohimalaza. Qu'ils sont beaux ces enfants, parés de leurs plus beaux habits ! Le culte ne s'éternise pas (que 2h30), et la fête se poursuit chez eux... Et qui dit fête dit repas ! Nous sommes invités à venir manger le dindon préparé pour l'occasion, comme si on était des membres de la famille à part entière ! Heureusement que l'on a pensé à apporter des cadeaux de baptême...

Episode XXXII - L'aventure, c'est l'aventure

Du 15 au 17 avril 2019

Ça y est, c'est le grand jour ! Aujourd'hui, nous partons pour Andasibe avec toute l'école. L'organisation de cette expédition pédagogique a connu des hauts et bas, mais on a maintenant tout ce qu'il faut pour vivre une série de péripéties qui s'annoncent d'ores et déjà hautes en couleur ! Les taxis-brousse sont venus nous chercher devant l'église, et après un rapide culte l'aventure nous embarque illico !

Un premier constat s'impose vite : je n'ai pas la même notion du voyage que mes collégiens. Alors que j'ai troqué la blouse d'enseignant et les pantalons longs contre des shorts, des lunettes de soleil et une casquette, mes élèves se sont pomponnés comme s'ils se rendaient à une fête. Les filles ont les ongles teints, les garçons sont passés chez le coiffeur pour se faire des motifs stylés dans les cheveux ! Me voilà bien entouré par tous ces jeunes dont le look n'a d'égal que leurs sourires radieux, de ceux qui vont partir faire quelque chose d'un peu fou et d'unique.

Un dernier veloma aux parents venus nombreux pour nous souhaiter la bonne route, et c'est parti ! Les taxis-brousse sont évidemment plein à craquer, certains élèves sont assis les uns sur les autres pour que tous le monde puisse rentrer dedans. Qu'importe, l'ambiance est à la joie, et très rapidement le bus entier se met à chanter. Les 3 heures de route ne vont jamais me paraître aussi courtes.

Entre un ban scout et une chanson gasy, Vanessa me demande plein de détail sur les villages que nous traversons. Elle n'a jamais emprunté la RN 2 qui coure de Tana à Tamatave, alors que pour ma part c'est déjà la 5 fois que je l'arpente en à peine plus de 6 mois. J'ai l'impression d'être un guide local, et c'est très étrange d'expliquer à des Malagasys leur propre pays...

"Elle est immense cette forêt !" Prisca s'est retournée vers moi, les yeux ébahis, en me montrant l'étendue de buissons qui s'étend à côté de la route. Euh ouais, on est encore bien loin d'Analamazoatra et ses nombreux hectares de forêt primaire. Il me semble bien que l'on navigue tout droit vers de belles surprises !

On s'arrête une première fois pour visiter la réserve Peyrieras, semi-zoo à caméléons en tous genre. Une entrée majestueuse dans le monde surprenant de la faune malagasy. On peut prendre dans les mains des serpents de taille respectable, des geckos à feuille, de petits reptiles pas plus gros qu'un doigt et des caméléons au regard toujours aussi louche :) Les élèves sont studieux, tous ont emporté des carnets et notent assidûment toutes les explications des guides. Ne reste qu'à les pousser un peu pour qu'ils osent poser des questions !

La pause pique-nique se fait à côté d'un endroit singulier : il s'agit du mémorial des martyrs de l'insurrection de 1947, date du début des hostilités envers le gouvernement colonial français et de la sévère répression qui a suivi. Bref, l'endroit idéal pour rappeler à tout le monde que je suis suisse...

L'après-midi, l'aspect historique de la course d'école se poursuit et nous visitons le musée de la gendarmerie de Moramanga. "Le meilleur musée historique de tout Mada", d'après le guide du routard. Enfin, surtout un des seuls. Et il reflète bien le manque de connaissance à disposition pour reconstituer l'histoire de l'île. Des vestiges culturels, il ne reste que quelques objets chamaniques, des assiettes morcelées et un ou deux fusils de dahalos. Les belles pièces de collection ont quitté Mada depuis belle lurette, pour être exposées à Paris. Ou ailleurs en Europe. Un petit musée donc, mais qui a le mérite d'exposer de jolies voitures d'époques, et dont le guide - un ancien élève de notre directrice - nous tient un magnifique discours sur les problèmes de la corruption, sur l'avenir du pays et sur le rôle citoyen que les élèves auront à jouer dans un futur assez proche. Cet après-midi aura été sous le signe de l'histoire et de la culture, et notre expédition prend une tournure d'éducation civique très intéressante. Je crois que nous avons bien choisi la région où partir.

La première journée s'achève tranquillement, on se rend au lycée FJKM où nous dormirons les deux nuits. On s'installe, on joue au basket, on danse même avec les élèves ! Je voulais vivre une histoire un peu folle, partager avec eux des moments hors du commun, eh bien je crois que c'est en train de se produire ! J'apprends la Macarena à une foule d'enfants enthousiastes, avant que nous ne cuisinions encore ensemble. Le souper est savouré d'une traite, et nous prenons bien vite la direction du sommeil. Dans une salle de classe que l'on peut qualifier sans peine de bondée...

Quand on part avec des Malagasys, l'aventure prend toujours une tournure originale. Au moment d'arriver au lycée à Moramanga, aucune consigne n'a été donnée. Il n'y a pas de programme. Juste d'immense moments de vide jusqu'au lendemain matin, quand on partira pour Analamazoatra et Andasibe. Mais ça non plus on ne sait pas quand c'est. Et pourtant, comme d'hab', la magie fait son oeuvre. Le souper cuit un jour. Personne ne se plaint, tout le monde s'occupe. Et quand on voit des gens se balader avec une assiette, on se dit que c'est le moment d'aller chercher la sienne.

Et ça marche ! Enfin, presque, on a tout de même droit à quelques belles surprises... Je m'explique. On est mardi 16 avril. Aucune heure de réveil n'a donc été donnée. Mais à 4h00, certains élèves décident que c'est l'heure ! Les lumières sont allumées, ça proteste à tout va, les lumières s'éteignent. Apparemment la majorité n'était pas d'accord avec cette initiative matinale. A 5h00 c'est bon, le soleil est levé, tout comme nous. On se rend au lieu de la cuisine, pour se rendre compte que les autres chambres (comprendre, salles de classe) ont déjà mangé. Oui, Faniah a en fait décidé de se lever à 2h00 et a préparé le déjeuner. Tout est normal. Bon, en fait ce n'est pas vrai que tout le monde a déjà mangé. Certains profs sont toujours en train de dormir... Je me gratte la tête, y aura-t-il un repas officiel ou est-ce que la matinée est en train de partir en freestyle ? Trop de questions sans réponses pour un si bon matin. Mais dans le doute mieux vaut manger maintenant...

Finalement l'école se réveille au compte-goûte, et plus ou moins tout le monde a mangé quand nous partons...à 9h00. Pour ce qui est de l'efficacité on se rebriefera. Mais au moins les taxis-brousse sont chauds, nous on est prêts, et les lémuriens nous attendent ! Enfin, à ce qu'il parait... Dommage cependant, le parc national d'Analamazoatra lui ne nous attendait pas. L'information de notre arrivée à 106 personnes n'a pas passé entre le bureau central où j'avais fait les démarches à Tana, et les guides du parc. On reste un moment à l'accueil, on trouve des solutions à grands renforts de coups de téléphones, mais on finit par s'en sortir. Enfin, on finit surtout par entrer en fait, et la nature sauvage nous ouvre tout grand ses portes !

C'est merveilleux de voir tous ces élèves parcourir la forêt, chercher les lémuriens et se questionner sur la multitude de plantes les entourant ! Les explications fusent à gauche à droite, les indris-indris jouent un peu à cache-cache mais nous finissons par les trouver. Tout comme les Golden Sifaka, les lémurs marrons et les autres habitants des lieux !

Le lendemain, désireux d'ajouter une couche (et remarquant que le budget est encore plutôt large), je propose qu'après notre rapide présentation de la mine d'Ambatovy, nous repartions pour Andasibe et la réserve villageoise V.O.I.M.M.A. Les guides sont au taquet, nous voyons de nouveaux lémuriens mais aussi des tas de plantes médicinales, des arbres sacrés, des caméléons, des serpents... Ce petit aller-retour bonus valait clairement la peine !

L'aventure touche cependant gentiment à sa fin. Après une bonne ration de riz dégustée dans une cabane de la réserve, nous prenons le chemin du retour. Direction Imerinkasinina...mais le tout en chanson ! Cette fois, les élèves ne s'arrêtent pas une seule seconde, ils enchaînent les tubes du moment et les chants religieux dans un par coeur sans faute ! De quoi donner à la route un sentiment épique et une saveur inoubliable.

A destination, les au revoirs se font comme d'habitude très rapidement. On ne change pas la culture malagasy. Mais quand Sako se retourne vers moi pour me remercier du voyage, je vois dans ses yeux un bonheur beau à voir. J'ai bien l'impression que ces trois journées exceptionnelles vont perdurer longtemps dans de nombreuses mémoires.