Sport et transidentités

L'accueil des personnes transgenres par les fédérations sportives 

La place des personnes transgenres dans le sport : de Mark Weston à Renée Richards

par Salomé Cadon et Alice Billia

Partie 1 : L'accueil des personnes transgenres par les fédérations sportives  (par Salomé Cadon)


Le débat sur la place des personnes transgenres dans le sport ne date pas d’hier, bien que certains évènements et polémiques l’aient remis sur le devant de la scène ces derniers temps. En 2022, la nageuse transgenre Lia Thomas est devenue la championne universitaire américaine du 500 yards nage libre. Cependant, plutôt que de féliciter la jeune femme, les débats se sont portés sur l’égalité des chances dans le sport. En effet, quatre ans plus tôt, Lia concourrait encore dans la catégorie homme. Beaucoup comparent alors ses résultats dans les deux catégories, et considèrent sa performance et sa victoires illégitimes, à cause de sa transidentité. Elle n’est pas la seule à avoir reçu une pluie de critiques après une victoire en tant que femme transgenre, Alana McLaughlin, combattante de MMA, s’est heurtée à la même situation lors de sa victoire en septembre 2021 contre Céline Provost, une femme cisgenre.

Ces cas ne sont pas isolés, loin de là, mais souvent la transphobie dans le monde du sport va bien plus loin que la seule critique d’inconnus sur les réseaux. En effet, certaines fédérations incluent dans leur règlement, des règles discriminantes et freinant l’accès au sport de haut niveau aux personnes transgenres. Prenons l’exemple de la Fédération Internationale de Natation (FINA), qui a décidé de créer une catégorie spécifique pour les athlètes femmes transgenres, avec l’argument que « Chacun d'entre nous doit toujours, dans les limites des principes d'équité, garantir l'inclusion de tous les individus quelle que soit leur orientation de genre ». Pourtant, cette décision ne revient qu’à exclure les personnes transgenres des compétitions traditionnelles, en plus de mettre encore une fois les femmes à l’écart, puisque la compétition masculine reste ouverte à tous.

Cependant, certaines fédérations ne dissimulent même pas leur décision d’exclure les athlètes transgenres féminines, comme c’est le cas pour la Fédération Internationale d’Athlétisme, qui a pris un virage politique majeur le 23 mars dernier. Elle a décidé d’exclure les femmes transgenres des compétitions féminines internationales, les désignant comme « les athlètes transgenres hommes et femmes ayant connu une puberté masculine ». Cette décision transphobe mais aussi misogyne, ne concernant que les compétitions féminines, voudrait s’expliquer par une envie de « protéger les compétitions féminines » et « d’assurer l’égalité des chances entre les athlètes ». Pourtant, il suffit de s’intéresser un peu aux règlements et aux contrôles auxquels se plient les athlètes transgenres à chaque compétition pour comprendre que ces arguments ne servent qu’à dissimuler la transphobie des fédérations et à la faire accepter par l’opinion publique.

Certaines fédérations ont pris le chemin de l’inclusion, comme la Fédération Française de Rugby et la Fédération Française de Hand. Ces dernières acceptent les personnes transgenres dans les compétitions nationales, mais selon certains critères. Comme la plupart des institutions sportives dans ce cas, elles se basent sur le taux de testostérone dans le sang pour assurer l’équité entre les joueuses cisgenres et transgenres. En effet, la testostérone d’avoir des os plus gros et plus denses, une masse de muscles plus importante, plus de globules rouges ou encore une taille supérieure à celle d’une femme cisgenre, autant d’éléments qui peuvent fournir un net avantage dans certains sports.

Lors d’un traitement hormonal, la testostérone produite naturellement par les femmes transgenres est bloquée et son taux descend petit à petit au cours du traitement, arrivant à un niveau égal, voir même inférieur à celui d’une femme cisgenre. Les avantages apportés par l’hormone disparaissent alors en grande partie, la masse musculaire diminue, tout comme la force. Néanmoins, cette réglementation reste problématique et contestée par de nombreuses athlètes transgenres. Tout d’abord, toutes les personnes transgenres ne sont pas sous traitement hormonal ou sous bloqueurs de testostérone, environ 20% des personnes transgenres ne le sont pas et ces dernières ont l’interdiction de participer aux compétitions. De plus, le critère de la testostérone reste incertain et discriminatoire, notamment pour les personnes hyperandrogines avec un fort taux de testostérone. Pour finir, même les femmes cisgenres ont un taux qui varie énormément, selon le lieu de vie, l’alimentation, l’état de santé, l’âge, le niveau d’activité physique, l’heure dans la journée ou encore le cycle menstruel. Même entre les genres, les taux peuvent suffisamment varier pour que les données d’un homme cis et d’une femme cis se chevauchent.

Il reste un long chemin à faire avant d’accéder à un sport bien plus inclusif, que ce soit pour les personnes transgenres mais aussi pour les personnes LGBTQIA+ en général et même pour les femmes en général, dans un milieu encore très misogyne. Mais le combat continue, porté et soutenu par de nombreuses associations comme la WPATH (World Professional Association for Transgender Health), la commission fédérale CADET (Commission Anti-Discrimination et Egalité de Traitement), l’association Au-delà du genre ou encore les associations OUTrans et Acceptess-T.  


Partie 2: La place des personnes transgenres dans le sport: de Mark Weston à Renée Richards (par Alice Billia)


La Fédération Internationale d’Athlétisme a mis en vigueur le 23 mars 2023 une politique visant à exclure des catégories féminines les athlètes transgenres ayant eu une puberté masculine, catégories que la fédération entend « protéger » selon son président Sebastian Coe. Les athlètes transgenres hommes et femmes pouvaient jusque-là participer aux épreuves mais en régulant leur taux de testostérone pendant au moins 12 mois avant de concourir. La fédération considère les preuves que les femmes transgenres n’ont pas d’avantages physiques sur les femmes cisgenres insuffisantes. Le règlement a aussi été durci à l’égard des athlètes intersexes, des décisions qui déçoivent les associations sportives de défense LGBTQI+. 

Si les Jeux Olympiques sont ouverts aux personnes transgenres depuis 2004, de nombreuses personnalités ont affirmé leurs identités transgenres bien avant. C’est à travers 3 portraits que nous allons les découvrir.


Mark Weston

 Né au début du 20e siècle, Mark Weston, est l’un des premiers athlètes ouvertement transgenres. Avant son opération en 1936, il était l’un des meilleurs athlètes britanniques des années 20 dans les catégories femmes : champion national du lancer de javelot et de disque en 1929, titré au lancer de poids en 1925, 1928 et 1929, il termine également 6e dans la catégorie lancer de pois à 2 mains lors des Jeux Mondiaux féminins en 1926. Une fois son genre, son sexe et son nom modifiés, Mark Weston se retire des compétitions et arrête complètement le sport pour devenir masseur. Quelques mois après son opération, il se marie et aura 3 enfants avec son épouse. Il confiera plus tard qu’il se sentait de genre féminin jusqu’à sa participation aux Jeux Mondiaux de Prague en 1928, jeux au cours desquels il réalise qu’il est un homme et ne se sent pas légitime de concourir dans les catégories féminines.


Mark Weston et sa femme en 1936

Zdeněk Koubek

A la même époque que Weston, Zdeněk Koubek était un athlète transgenre tchèque de grande renommée. Il atteint son premier record d’athlétisme à l’âge de 19 ans en 1932 et en obtiendra 5 de plus peu de temps après. En 1934, il obtient 2 médailles aux Jeux Mondiaux féminins de Londres et y bat 2 records du monde. La même année, il devient quintuple champion de son pays en 100m, 200m, 800m, saut en longueur et saut en hauteur en catégories féminines. En raison de son excellente performance, ses comportements considérés comme masculins et sa nature non-genrée, des rumeurs courent sur la possibilité qu’il ne soit pas une femme : une requête anonyme sera même déposée pour que Zdeněk subisse une inspection médicale afin de vérifier qu’il ne mente pas sur son genre. Il quitte le sport en compétition peu de temps après et révèlera dans une biographie de 20 parties, The World Record Woman, que le genre féminin qui lui a été attribué à la naissance est le mauvais et comment cela l’a affecté toute sa vie. En 1936, il part 6 mois aux Etats-Unis pour se faire opérer et légalement changer son nom en Zdeněk Koubek.


Zdeněk Koubek en 1935

Renée Richards

Après avoir joué au tennis en amateure pendant plusieurs années, et ce tout en exerçant la profession d’ophtalmologue, Renée Richards entreprend secrètement une opération en 1975 pour changer de sexe. Elle commence alors une carrière professionnelle de tenniswoman. Mais en 1976, un journaliste la perce à jour et le public apprend tout de son identité transgenre : la Fédération de Tennis des Etats-Unis lui refuse le droit de concourir à l’US Open. Renée Richards porte l’affaire devant la Cour Suprême et gagne son droit de continuer à jouer. Elle atteint par la suite le 20e rang mondial de la Women’s Tennis Association en 1979 et sera finaliste de l’US Open de 1977 en double-dames, tout cela avant d’abandonner le tennis en 1982 pour reprendre son métier d’ophtalmologue. Elle publiera une autobiographie, Second Serve, adaptée en téléfilm en 1986.

Renée Richards en conférence de presse

Il est intéressant de voir comment les médias de l’époque traitent les situations de Weston et de Koubek, avec des Une comme « où allons-nous si maintenant hommes et femmes peuvent changer de sexe aussi aisément que de chemises ? », « les transformations de sexe continuent d’être à la mode ! » (Paris Soir), ou dans Le Petit Journal : « serait-ce une épidémie ? ». Si les personnes transgenres subissent de nos jours des discriminations, le 20e siècle était tout aussi dur, voire peut-être même pire. Ces 3 athlètes ont arrêté le sport après avoir révélé être transgenre, ce qui est révélateur de la pression sociale de l’époque, et notamment dans l’univers sportif. L’histoire de Renée Richards apporte heureusement un peu d’espoir : elle réussit à se battre pour faire accepter son identité par la justice et continue pendant plusieurs années sa carrière de tenniswoman.

Ces athlètes ne sont pas les seuls à avoir courageusement affirmé leur identité de genre, d’autres athlètes ont aussi participé à l’émergence d’un monde sportif de plus en plus ouvert, comme la danseuse polonaise Sophie Smetkowna, ou plus récemment le champion de triathlon Chris Mosier et la cycliste Rachel McKinnon.


Sources :

 

https://information.tv5monde.com/terriennes/competitions-sportives-et-transidentite-quelle-place-pour-les-athletes-femmes-transgenres

 

https://www.ouest-france.fr/sport/athletes-transgenres-dans-le-sport-ou-en-est-on-selon-les-disciplines-11967610-f12e-11ec-87d0-35a1f71d923f

 

https://www.larotonde.ca/6-athletes-trans-ont-marque-monde-sport/

 

https://www.makingqueerhistory.com/articles/2019/5/30/zdenk-koubek

 

https://www.liberation.fr/sports/2019/01/05/1936-vague-de-changement-de-sexe-chez-les-sportives_1700733/

 

https://www.lepoint.fr/sport/athletisme-les-athletes-transgenres-exclus-de-la-categorie-feminine-23-03-2023-2513282_26.php

 

https://www.radiofrance.fr/franceinter/cinq-questions-sur-la-decision-d-exclure-les-femmes-transgenres-des-epreuves-feminines-d-athletisme-2613811

 

https://news.google.com/newspapers?nid=1955&dat=19360528&id=FOUxAAAAIBAJ&sjid=zuIFAAAAIBAJ&pg=4530,6010974

https://www.francetvinfo.fr/sports/handball/l-inclusion-des-personnes-transgenres-dans-le-sport-en-france-malgre-des-discriminations-toujours-presentes-les-choses-evoluent-dans-le-bon-sens_4661441.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/25/inclusivite-ou-equite-le-sport-face-au-dilemme-des-athletes-transgenres_6147236_3232.html

https://www.liberation.fr/sports/athletisme-les-personnes-transgenres-qui-ont-connu-une-puberte-masculine-seront-bannies-des-competitions-feminines-20230323_KSOAKJ5BXVBTBBXF6JVHFWTLAM/

https://www.vojomag.com/news/luci-revoit-sa-reglementation-pour-les-athletes-transgenres/

https://www.francetvinfo.fr/sports/rugby/rugby-les-transgenres-autorises-dans-les-competitions-par-la-ffr_4626977.html

https://www.slate.fr/story/232511/femmes-trans-ont-elles-avantage-competitions-sportives


 

Sources images :

 

(1)   https://fr.wikipedia.org/wiki/Mark_Weston_%28athl%C3%A8te%29

(2)   https://www.liberation.fr/sports/2019/01/05/1936-vague-de-changement-de-sexe-chez-les-sportives_1700733/

(3)   https://www.eurosport.fr/tennis/les-grands-recits/2018/renee-richards-un-homme-est-une-femme_sto7736176/story.shtml