L'homophobie dans le sport : où en sommes-nous ?

un article écrit par Alice Billia

A l’occasion de la finale de la coupe du monde de rugby en France, N.O.U.S vous proposons d’en apprendre plus sur les discriminations que les personnes LGBTQIA+ peuvent vivre au quotidien dans le milieu sportif, et les solutions mises en place pour y mettre un terme.

Chants et banderoles à caractère homophobe pendant les matchs, vocabulaire et remarques désobligeantes utilisés par les sportifs…etc., le monde du sport n’est pas à jour quand il s’agit des discriminations vis-à-vis de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. En mai 2023, plusieurs joueurs de Ligue 1 et de Ligue 2 avaient refusé de porter le maillot aux couleurs de l’arc-en-ciel dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Selon une enquête Ipsos menée en juin 2022, plus de ¾ des Français.es et des personnes LGBTQIA+ considéraient le milieu sportif professionnel et amateur comme homophobe et 73% des personnes LGBTQIA+ ont déjà été témoin d’un comportement homophobe ou transphobe dans le milieu sportif.

L’homosexualité est taboue dans le monde du foot, mais aussi dans le sport en général.

Qu’ils soient amateurs ou de haut niveau, les sportifs préfèrent souvent ne pas révéler leur homosexualité par peur d’être mal vus par le public, abandonnés par les sponsors ou jugés et isolés par les membres de leur équipe. Si l’acceptation de l’homosexualité dans le sport diffère selon les pays, la plupart des sportifs n’arrivent souvent pas à pratiquer en raison de leur orientation sexuelle. En 2004, le footballer amateur Yoann Lemaire est renvoyé de son équipe après avoir publiquement révélé son homosexualité. Il était le premier joueur en France à le faire. Pour l’instant, Olivier Rouyer est le seul footballer professionnel français à avoir publiquement révélé son homosexualité (et il était à la retraite…).

Banderole homophobe lors d’un match entre Montpellier et Nantes en janvier 2023

Cette homophobie est souvent implicite et passe par le vocabulaire utilisé : des insultes amicales, des allusions homophobes, des blagues. C’est dans les sports collectifs que l’intégration est la plus difficile : le regard des autres occupe une place primordiale et les contacts physiques fréquents entre les joueurs mènent à des altercations et/ou des propos insultants envers les personnes LGBTQIA+. Selon l’enquête citée plus haut, 67% des personnes LGBTQIA+ pratiquant un sport d’équipe ont déjà été visées par un comportement homophobe ou transphobe et 15% ont arrêté le sport à la suite de ces comportements.

Manuel Picaud, co-président des Gay Games (évènement sportif inclusif se déroulant tous les 4 ans, voir plus bas) explique : « le sport est basé sur le culte de la performance, de la virilité et du patriotisme. Tout ce qui pourrait apparaître comme une faiblesse est mis de côté pour ne pas prendre des coups ». L’homophobie y est presque une culture, de par les représentations, les normes, les valeurs et les pratiques sportives. On produit et reproduit une vision de la masculinité dont les homosexuels sont exclus. D’après le sociologue français Philippe Liotard, on ne se rend pas compte de l’homophobie dans le sport car il est lui-même homophobe et ne perçoit donc pas les problèmes qui s’y posent. L’homophobie y est intériorisée. La Fédération Sportive LGBT+ explique sur son site internet : « [le sport] peut être l’affirmation du plus fort, parfois même la domination du plus fort, domination qui peut entraîner des dérives virilistes et masculinistes, dérives qui elles-mêmes engendrent le sexisme et les LGBT phobies ». La question de la virilité est au cœur du problème : les femmes sportives lesbiennes subissent également de l’homophobie, mais d’une manière générale leur identité sexuelle est mieux acceptée et plus assumée. Lors des Jeux Olympiques de Rio en 2016, une cinquantaine de sportifs avaient fait leur coming-out, principalement des femmes venant de sports individuels.

En France, un grand nombre d’associations et d’évènements sportifs œuvrent pour faire changer les mentalités.

Mentionnés précédemment, les Gay Games se sont déroulés pour la première fois en France en août 2018. Leur objectif est de lutter contre les stéréotypes et les discriminations en faisant participer des athlètes de tous niveaux et de toutes orientations sexuelles : ils rassemblent plus de 10 000 sportifs originaires de 90 pays différents et concourant dans 36 disciplines. Manuel Picaud qualifie ces jeux « d’évènement le plus inclusif au monde ». Le but de ce genre d’évènements – qu’ils soient locaux, nationaux ou même internationaux, est de rendre compte de l’homophobie et des discriminations présentes dans le monde du sport. S’associer avec des structures sportives et des institutions publiques permet d’éviter l’aspect éphémère de ces évènements et d’agir en profondeur pour mettre un terme au problème.

Participants Anglais lors de la cérémonie d’ouverture des Gay Games en 2002 à Sydney (Australie)

En France, il existe des associations sportives inclusives permettant aux sportifs LGBTQIA+ de pratiquer sans gêne. On peut prendre l’exemple de l’association de rugby Les Coqs Festifs qui sont soutenus par la Ligue Nationale de Rugby (LNR) et qui reçoivent des subventions de la Ville de Paris, ce qui leur permet d’être assez visible dans l’espace public. En vue du mondial de rugby cette année, l’association a lancé la Pride Rugby Cup, un tournoi de rugby dédié à la lutte contre l’homophobie où des équipes françaises et internationales gay-friendly se rencontrent. Le projet réunissait notamment les fédérations françaises et internationales de rugby (World Rugby), la LNR ainsi que le ministère des Sports et de l’Egalité. Les Coqs Festifs étaient déjà à l’origine du projet « Plaquons l’Homophobie » en 2020, aussi soutenu par la LNR et divers partenaires. Lors d’un sondage réalisé à cette occasion, 75% des joueurs professionnels affirmaient que faire son coming-out était difficile en rugby, milieu où la masculinité virile est très forte. La France a tout de même œuvré pour faire taire ces préjugés : la Fédération Française de Rugby est la première fédération sportive française à inclure des athlètes transgenres dans son règlement, allant à l’encontre de World Rugby qui exclues les personnes transgenres de ses compétitions.

Dans le cadre de la Coupe du Monde cette année, les différentes instances du rugby (World Rugby, la FFR, la LNR, l’Etat, le Comité d’Organisation de la Coupe) se sont réunies le 17 mai à Saint-Denis pour parler de leur programme de lutte contre l’homophobie « Rugby is My Pride », un programme de lutte contre les discriminations envers la communauté LGBTQIA+ dans le rugby. Le programme prévoyait notamment un sommet le 11 octobre dernier sur ce thème ainsi que des spots de sensibilisation diffusés dans les stades.

logo de l'association Les Coqs Festifs

Réunion à Saint-Denis dans le cadre du programme « Rugby is My Pride » 

La lutte contre l’homophobie dans le sport se fait par la prévention et la sensibilisation, mais aussi par le biais de la loi qui défend contre ses discriminations.

L’Union Européenne inclut dans ses textes plusieurs normes relatives à l’inclusion dans le sport. Dans sa Charte Européenne du Sport révisée en 2011 et dans son Code d’Ethique Sportive révisé l’année d’avant, il est stipulé qu’aucune discrimination ne sera tolérée au sein des activités sportives ni dans l’accès aux infrastructures sportives. En 2012 est créé l’Accord Partiel Elargi sur le Sport (APES), une plateforme de coopération intergouvernementale entre les autorités publiques des Etats Membres, les fédérations sportives et les ONG. Son but est de rendre le sport plus éthique et plus inclusif. C’est l’APES qui coorganise la même année la conférence d’Utrecht, conférence ayant pour but de faire le point sur l’homophobie et la transphobie dans et par le sport, axé surtout sur la jeunesse. L’Accord publie un « manuel de bonnes pratiques » qui donne des exemples de projets montrant l’engagement du Conseil de l’Europe dans la lutte contre l’homophobie dans le milieu sportif.

En France, le gouvernement a mis en place en 2020 un plan d’action pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBTQIA+ : pratiquer le sport de manière inclusive et respectueuse en constitue l’une de ses priorités. Le ministère des Sports opère une politique de prévention des discriminations depuis plusieurs années, politique qui passe notamment par la sensibilisation et la formation des éducateurs, des pratiquants et des dirigeants et par la modification des règlements sportifs pour prendre en compte les identités de genre. En 2021, le ministère mandate une étude pour dresser un bilan des discriminations dans les enceintes sportives et identifier des actions permettant de les prévenir. La même année, il constitue un groupe de travail regroupant des associations, des chercheurs, des sportifs, des dirigeants…etc. pour traiter de l’inclusion des personnes trans dans les clubs sportifs. Selon David Foltz, le conseiller de la ministre des Sports française, les grands évènements sportifs – tels que les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à Paris prochainement, sont l’occasion de faire évoluer le débat sur ces sujets.

La France a certes bien avancée pour l’inclusion LGBTQIA+, mais il reste encore du chemin à faire : le 16 mai 2023, l’association SOS Homophobie relevait dans son rapport annuel une hausse de 28% des agressions physiques homophobes en 2022. Encore dernièrement, plusieurs matchs du Championnat de France de football avaient donné lieu à des chants homophobes.

Le prochain enjeu pour la France en matière d’inclusion sont les Jeux Olympiques de Paris l’année prochaine. Le comité d’organisation affirme son engagement de lutte contre les discriminations LGBTQIA+ en ouvrant notamment une « Maison des Fiertés » lors de l’évènement.

Merci à Alice Billia pour cet article !


Sources des images:

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Sources du texte:

https://www.coe.int/fr/web/sport/tackling-homophobia-in-sport#:~:text=Conform%C3%A9ment%20aux%20normes%20europ%C3%A9ennes%20relatives,l'acc%C3%A8s%20aux%20infrastructures%20sportives.

https://information.tv5monde.com/international/lhomosexualite-dans-le-sport-un-sujet-encore-tabou-29816

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/cp-prevention-des-lgbtphobies-dans-le-sport-17-05-2021

https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/a-paris-des-clubs-de-sport-lgbt-pour-se-sentir-en-securite_60057288.html

https://rmcsport.bfmtv.com/football/homophobie-pourquoi-le-sport-a-un-probleme-a-regler_AV-201909160376.html

https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/equipe-de-france/harcelement-propos-sur-le-racisme-et-l-homophobie-les-dossiers-qui-plombent-la-presidence-de-noel-le-graet-a-la-fff_5411338.html

https://tetu.com/2023/05/17/17-mai-sport-lgbt-pride-rugby-cup-contre-homophobie-mondial-2023-france/#:~:text=En%20ce%2017%20mai%202023,2023%2C%20afin%20lutter%20contre%20les

https://www.youtube.com/watch?v=9TRdaFFqs8o

https://www.ladepeche.fr/2021/05/16/temoignage-ouissem-belgacem-etre-gay-ou-etre-footballeur-jai-du-choisir-9548914.php#:~:text=En%20France%2C%20un%20seul%20joueur,pas%20parler%2C%20une%20th%C3%A9matique%20enfouie

https://actu.fr/ile-de-france/saint-denis_93066/lutte-contre-l-homophobie-le-rugby-veut-montrer-l-exemple-pendant-la-coupe-du-monde-2023_59617531.html

https://www.sports-lgbt.fr/perceptions-et-experiences-de-lhomophobie-et-de-la-transphobie-dans-le-sport-et-attentes-pour-lutter-contre/

https://www.leparisien.fr/sports/selon-lipsos-77-des-francais-jugent-les-milieux-sportifs-professionnels-et-amateurs-homophobes-07-09-2023-ZROHAH7NGRDRVMDWP5ZLGHM2XI.php

https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/10/14/homophobie-dans-les-stades-les-instances-du-football-et-le-ministere-des-sports-lancent-une-serie-de-mesures_6194459_3242.html

https://www.ouest-france.fr/jeux-olympiques/comment-les-jo-de-paris-2024-luttent-pour-linclusion-des-personnes-lgbtqia-871c2eb8-f491-11ed-9208-e33b7057b8d1