Carter G Woodson et le Black History Month

un article par Astrid Comte et Lili Baccou

En ce mois de février, le monde célèbre comme chaque année le Black History Month. N.O.U.S vous proposons un récap sur l'histoire de cette célébration et son principal créateur : Carter G. Woodson.

Le rapport 2019 de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, publié en juin 2020, comporte une focalisation sur le racisme anti-noir. Il reprend notamment le constat effectué dans le rapport de 2018, selon lequel les personnes noires constitueraient une des minorités parmi les plus touchées par les discriminations, tout en étant paradoxalement parmi les minorités les plus acceptées dans les sondages sur la tolérance vis-à-vis des minorités. Il affirme que « l'ampleur du racisme anti-Noirs est dénoncée depuis longtemps par les associations défendant ces minorités - associations noires, afro-féministes, africaines, afro-caribéennes tout comme par les associations universalistes mobilisées dans la lutte contre le racisme ». Il cite l’enquête Trajectoires et Origines (TeO), qui porte sur les descendants d’immigrés établis en France, qui indiquerait que les descendants de Subsahariens ont 1,3 fois plus de risque de subir des traitements inégalitaires ou des discriminations que la « population majoritaire » et que les Noirs, aux côtés des Maghrébins, subissent plus de discriminations que le reste de la population.

En décembre 2022, Le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination raciale (Cerd) se dit "préoccupé" par "la persistance et l'ampleur des discours à caractère raciste et discriminatoire en France, notamment dans les médias et sur internet". Au terme de l'examen périodique de la politique de la France envers ses minorités, les experts indépendants du Cerd ont émis une série d'observations et recommandations. Ils s'inquiètent du "discours politique raciste tenu par des responsables politiques", à l'égard de certaines minorités, en particulier les Roms, les gens du voyage, les personnes africaines ou d'ascendance africaine ou nord-africaine.

On assiste plus généralement, à une montée de l’extrême droite en Europe avec la montée de pensées anti-immigration, concernant majoritairement les migrants venus d’Afrique. Ces mouvances alimentent le racisme anti-noirs.

Chaque année en février se déroule le Black History Month, ou Mois de l’Histoire Noire en français, qui commémore l’histoire de la diaspora africaine. Cette célébration est le fruit du travail d’un homme : l’historien Carter G. Woodson.

Né en Virginie en 1875, Carter G. Woodson est le fils de parents nouvellement affranchis, cela fait seulement 10 ans que le treizième amendement de la Constitution des Etats-Unis abolissant l’esclavagisme et la servitude involontaire a été signé. Ses parents n’ont jamais appris ni à lire ni à écrire mais il se battra pour obtenir une éducation. Il travaille dans la ferme familiale et dans les mines de Virginie-Occidentale  jusqu’à ses 20 ans, âge auquel il parvient enfin à aller au lycée. Il poursuit ensuite ses études à l’étranger avant d’obtenir un doctorat en histoire à l’Université de Harvard. Il est l'un des premiers universitaires à étudier l'histoire des Afro-Américains et est surnommé le « Père de l'histoire des Noirs ».

Carter G. Woodson s’insurge contre l’invisibilisation des accomplissements des personnes noires dans le monde. Dans une société raciste qui leur donne une image éloignée de la réalité et néglige leurs contributions, il travaille sans relâche pour faire connaître la richesse de leur histoire. L’objectif de Woodson était que le monde connaisse la complexité de la vie historique des personnes d’origine africaine.

Carter G. Woodson (1875 - 1950)

En 1915, aux Etats-Unis, on fête le cinquantième anniversaire de l’émancipation des personnes asservies à la fin de la guerre de Sécession. Le 9 septembre, Woodson fonde aux côtés du pasteur Jesse E. Moorland l'Association for the Study of African American Life and History, à sa création : Association for the Study of Negro Life and History. La mission officielle de l’ASALH est de « promouvoir, rechercher, préserver, interpréter et diffuser des informations vers la communauté mondiale sur la vie des Noirs, leur histoire et leur culture ». Avec un soutien et des fonds limités, Woodson et ses collègues lancent une exposition inédite sur l’histoire et les réalisations des personnes noires lors de l’Exposition of Negro Progress de 1915, un évènement organisé à Chicago pour célébrer l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Ils créèrent également la première revue universitaire sur le sujet, aujourd’hui connue sous le nom de The Journal of African American History.

L'ASALH en 1936

La deuxième semaine de février 1926, L'ASALH lance une nouvelle initiative : la Negro History Week, ou semaine de l'histoire des Nègres. Cette semaine est choisie en raison de la coïncidence des anniversaires d'Abraham Lincoln le 12 février et de Frederick Douglass le 14 février, deux dates célébrées par les communautés noires américaines depuis la fin du XIXème siècle.

L'objectif initial de la manifestation était de coordonner l'enseignement sur les contributions des afro-américains dans les écoles primaires, les lycées, les établissements universitaires, mais aussi la presse, les clubs de femmes, et les revues savantes des États-Unis. La première Negro History Week reçoit un accueil mitigé, même si elle est soutenue par les départements d'Éducation en Caroline du Nord, au Delaware, en Virginie-Occidentale et à Baltimore et Washington.

Selon Carter G. Woodson, l'enseignement de l'histoire des Noirs est essentiel à la survie physique et intellectuelle des Noirs dans la société.

« Pour justifier l’injustice faite aux personnes noires, des individus ont recours à des mensonges malveillants en affirmant que nous sommes une race inférieure qui n’a jamais développé de civilisation. Pendant la Negro History Week, l’attention est attirée sur les personnes noires dans toutes les régions du monde, afin de montrer que leur travail, même celui réalisé lorsqu’elles étaient réduites en esclavage, ne doit pas être méprisé »

, écrivait il en 1945.

En 1929, le Journal of Negro History constate que tous les États avec une importante population afro-américaine ont organisé des événements liés à la semaine et que des églises y participent également. Des clubs d'histoire des Noirs sont également créés et certains maires en font une fête officielle. Selon l’historien, Jeffrey Aaron Snyder, la semaine n’était pas seulement consacrée aux réalisations historiques : elle célébrait également le talent artistique actuel des hommes et femmes noirs dans la musique, la littérature et l’art.

Woodson mourut en 1950, mais son héritage lui survécut : la diffusion de l’histoire pour laquelle il s’était tant battu continua, et alimenta par la même occasion le mouvement de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis dans les années 60.

Carter G. Woodson dans sa maison à New York

Et ce, notamment au sein des Freedom Schools, écoles alternatives gratuites conçues pour contrer l’enseignement de mauvaise qualité dispensé par les systèmes scolaires inégaux des États du sud du pays, où l’histoire noire devient un élément essentiel de l’enseignement.

L'expansion de la semaine de l'histoire des Noirs est d'abord proposée par le leader des Black United Students de la Kent State University en février 1969. La première célébration du mois de l'histoire des Noirs a ainsi lieu à l'université l'année d'après, en février 1970.

En 1976, dans le cadre du bicentenaire des Etats-Unis, le mois de l'histoire des Noirs est officiellement reconnu par le gouvernement américain. Le président Gerald Ford appelle les Américains à « saisir l'opportunité d'honorer les réussites trop souvent ignorées des Noirs américains dans tous les domaines à travers notre histoire ».

Le mois ne s’est pas arrêté à la reconnaissance aux Etats-Unis, il a depuis connu de nombreuses avancées dans le monde.

Cela a d’abord commencé au Royaume-Uni qui a célébré pour la première fois le mois de l’histoire des Noirs en 1987. Cette internationalisation a été possible en grande partie grâce à l’action de Akyaaba Addai-Sebo. Ce journaliste a voulu apporter son aide au mouvement anti-racisme et anti-colonialisme de l’autre côté de l’Océan Atlantique. Il a ainsi conçu une célébration annuelle des contributions africaines et des descendants africains à l’Histoire du monde.

Au Canada, le mois de l'histoire des Noirs est reconnu depuis décembre 1955, quand la députée noire Jean Augustine a fait voter une motion sur la reconnaissance des Noirs à la Chambre des communes du Canada. La première célébration a eu lieu en février 1996. En 2008, une motion reconnaissant les contributions des Afro-américains à l'histoire et à la culture du Canada pendant la célébration du Black History Month est adoptée.

En France, à Bordeaux, un premier Black History Month est organisé en février 2018 par l'association Mémoires & Partages. Après le Covid-19, l'association relance l'événement en 2022, autour du personnage de Joséphine Baker. Il se déroule alors dans plusieurs villes du pays (Bordeaux, Paris, Le Havre, Bayonne, La Rochelle), et également en Guadeloupe pour la première fois.

En 2020, sept pays d’Afrique ont célébré le Black History Month du 1er au 29 février 2020, à l’initiative de l’afro-caribéenne Mélina Seymour à travers son ONG internationale Africa Mondo, en collaboration avec des organisations de la société civile. C'est la première année durant laquelle cet événement se déroule sur le continent africain avec l'implication de la société civile, des associations, des acteurs culturels et économiques, des chercheurs, des historiens et des autorités. Plus de 500 personnes ont participé à la cérémonie d’ouverture le 1er février en présence des autorités, des têtes couronnées, des chefs religieux, des présidents d’organisations de la société civiles etc.

Manifestation à l'occasion du Black History Month

Le mois ne fait pourtant pas que des heureux, et ne signifie pas pour tous.tes une grande avancée. Après l'élection de Barack Obama, il y a eu des débats aux États-Unis sur la pertinence de ce mois commémoratif, autant du côté des Noirs que celui des Blancs. En particulier, Morgan Freeman a déclaré : « Je ne veux pas d'un Mois de l'Histoire des Noirs. L'Histoire des Noirs c'est l'Histoire Américaine”. Freeman pense que le racisme perdurera tant que les gens s'identifieront par rapport à leur couleur de peau/race.

Ces réflexions font écho au récurrent débat français autour de l'universalité, d’une absence de race mais qui entraîne aussi parfois le déni d’un quelconque racisme. Chaque personne peut avoir son propre avis sur le sujet, faudrait il ou non supprimer le Mois de l’histoire des Noirs ? C’est en tout cas l’objectif premier avec lequel il s’est autant développé. Ce mois ne sert qu’à apporter une visibilité à des personnes qui en ont été privées. Il a contribué grandement au fait qu’aujourd’hui cette invisibilisation a grandement reculé par rapport au siècle dernier.

Merci à Astrid Comte et Lili Baccou pour cet article !

Sources :

https://www.blackhistorymonth.org.uk/

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2023/02/black-history-month-pourquoi-le-mois-de-fevrier-commemore-lhistoire-des-personnes-noires

https://www.history.com/topics/black-history/black-history-month

https://www.history.com/news/the-man-behind-black-history-month

Image d’en-tête : https://www.bu.edu/ssw/black-history-month/

Image 1 : https://www.britannica.com/biography/Carter-G-Woodson

Image 2 : https://www.blackpast.org/african-american-history/association-study-african-american-life-and-history-brief-history/

Image 3 : https://www.nytimes.com/2024/02/01/realestate/black-history-month-woodson.html

Image 4 : https://www.nytimes.com/2023/03/08/nyregion/black-asian-american-studies-nyc.html