Les femmes, premières victimes e la crise environnementale

article par Alice Billia et Astrid Comte

L'association N.O.U.S vous propose un article sur la place des femmes et des filles face au réchauffement climatique avec un focus sur les migrations climatiques et environnementales! 

C’est prouvé : les femmes sont les plus touchées par le réchauffement climatique. Déplacements, violences sexistes et sexuelles, inégalités, risques sanitaires… Les problèmes qu’elles subissent lors des catastrophes environnementales sont de tous genres. Des mesures spécifiquement axées sur leurs besoins deviennent urgentes. Cela concerne aussi celles qui dirigent : une plus grande présence des femmes dans les processus décisionnels aurait un impact plus que positif dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« La crise climatique n’est pas neutre en termes de genre ». Cette phrase du responsable Climat du Bureau des Affaires Humanitaires de l’ONU Greg Puley prononcée à l’occasion de la COP 26 en 2021 est plus que jamais d’actualité. Le 12 décembre dernier s’est terminée la 28ème Conférence des Parties qui a accueillie plus de 80 000 personnes à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis. Entre Bilan Mondial, objectif de 1,5° et énergies fossiles, un thème crucial était également présent au sein des discussions : celui de l’impact du réchauffement climatique sur les femmes et les filles du monde. Avec la crise climatique, leurs droits reculent et les inégalités s’aggravent.

Les pays ruraux sont les plus touchés

Ce sont dans les régions rurales et les pays en développement que les inégalités hommes femmes se ressentent le plus. Les normes patriarcales présentes font que ce sont les femmes qui portent les responsabilités familiales. Elles doivent subvenir aux besoins de leurs familles en travaillant la terre, en fournissant l’eau et la nourriture. Elles dépendent beaucoup de ces ressources naturelles, éléments qui sont sensibles aux aléas climatiques. Au Botswana par exemple, les femmes consacrent trois fois plus de temps à la collecte d’eau que les hommes. En cas d’épisodes de sécheresse ou de canicule, 56 % des filles parcourent de plus grandes distances pour aller chercher l’eau.

Ces responsabilités les empêchent de chercher refuge et d’émigrer quand survient une catastrophe. Les femmes sont plus susceptibles de protéger les membres de leur foyer, et ce au détriment de leur propre sécurité, lors d’une catastrophe climatique. Cela les rend plus vulnérables au danger et aussi moins mobiles.

D’une manière générale, les changements climatiques aggravent la vulnérabilité des femmes. Dans les pays en développement, leurs situations sont déjà difficiles et leurs droits précaires. La crise environnementale favorise la violence familiale, les agressions sexuelles et les viols ainsi que la traite des personnes.

Victimes de ces inégalités de genre, elles possèdent moins de moyens pour se protéger face à une catastrophe, mais aussi moins de moyens pour rebondir une fois cette catastrophe passée.

Les femmes représentent 70 % des personnes vivant dans la pauvreté dans le monde. Et ce même en régions urbaines où 40 % des ménages les plus pauvres ont une femme pour cheffe de famille. Selon un rapport d’ONU Femmes, le changement climatique pourrait plonger jusqu’à 158 millions de femmes et de filles en plus dans la pauvreté d’ici à 2050.

Mais ce ne sont pas que les pays en développement qui vivent cette situation. Les sociétés occidentales voient aussi le réchauffement climatique aggraver les inégalités et les dangers envers les filles et les femmes. En Espagne, des chercheurs ont démontré que le taux de féminicides augmentait de 40 % en cas de vagues de chaleur.

Une santé des plus vulnérables

En cas de catastrophe climatique, le risque de décès est 14 fois plus élevé pour les femmes que pour les hommes. En tant que mères potentielles, les femmes et les filles font face à des défis bien particuliers face au réchauffement climatique. La dégradation de l’environnement a des conséquences graves sur leur santé, notamment pendant la grossesse et la maternité. Plusieurs études scientifiques démontrent que la crise environnementale augmente le taux de mort fœtale, de prématurité et de pré éclampsie (maladie hypertensive et rénale qui survient pendant la grossesse). Lors de fortes chaleurs, le risque de maladies vectorielles augmentent et atteint plus gravement les femmes enceintes.

Les catastrophes climatiques détruisent les installations médicales spécialisées, entraînant manque d’accès à la contraception, accouchements risqués dans des contextes indécents et non médicalisés et absence d’hygiène menstruelle. L’absence de protections hygiéniques propres peut entraîner des infections graves pour les femmes en situation de vulnérabilité.

En novembre dernier, l’OMS, l’UNICEF et le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) ont appelé à une action urgente en faveur de la protection de la santé des mères, des enfants et des nouveau-nés. Les trois organisations soulignent notamment l’absence de considérations liées à la santé maternelle et infantile dans les plans de réponse à la crise climatique.

Le réchauffement climatique entraîne aussi une propagation plus importante des maladies. Les femmes étant les premières à s’occuper des malades, elles sont donc les plus exposées.

La parole des femmes

Les femmes étant en première ligne, elles n’ont pas pour autant un accès suffisant aux ressources pour mener à bien des actions pour le climat. Cette inégalité entre les hommes et les femmes se ressent dans l’accès aux processus décisionnels. Les femmes sont peu incluses aux prises de décisions et aux projets de gestion de l’environnement. Lors de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique en 2022, 37 % des membres des délégations étaient des femmes et elles n’ont eu droit qu’à 29 % du temps de parole.

Lors des conférences mondiales sur le climat, les droits des femmes ne sont pas assez représentés. Leur parole n’est pas assez entendue. Les femmes étant les premières touchées par le réchauffement climatique, il serait logique qu’elles aient accès aux processus décisionnels permettant d’élaborer des solutions adaptées à leurs besoins.

Cet inégal accès aux ressources se ressent aussi sur le plan agricole dans les régions plutôt rurales. Selon un rapport d’Oxfam en 2021, les femmes assurent 60 à 80 % de la production agricole dans les pays en développement mais ne gagnent que 10 % du revenu total et possèdent seulement 2 % des terres.

Dans les pays en développement, on voit émerger de plus en plus d’initiatives respectueuses de l’écologie et initiées par des femmes. Dans les pays du Sud, des coopératives de femmes spécialisées dans les cultures vivrières se développent tandis que les hommes sont plus à l’initiative de cultures céréalières ou d’exploitation, types de cultures nocives pour l’environnement. Selon la présidente d’ONU Femmes France Céline Mas : « Cette avancée dans l’autonomisation des femmes est une condition essentielle de la lutte contre le réchauffement climatique. En luttant contre la crise environnementale et en leur donnant plus de place dans ce mouvement, de vraies avancées peuvent être obtenues sur la pauvreté et les inégalités ».

Du changement ?

« Les droits des femmes et des filles doivent être au centre de l’action climatique » disait Sima Bahous, directrice exécutive d’ONU Femmes lors de la COP 28. Dans le cadre de la conférence était organisée une journée de l’égalité des sexes axée sur le leadership des femmes dans la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris et leur capacité à peser sur des décisions relatives à la sauvegarde du climat. Parmi les pays présents à la conférence, 68 se sont engagés à mettre en œuvre des transitions énergétiques sensibles au genre et à renforcer le leadership et la participation des femmes et des filles.

Mais il existe toujours une grande injustice subie par les femmes, et d’une manière générale par les personnes en première ligne de la crise climatique. Beaucoup d’ONG et d’associations humanitaires exhortent les décideurs et chefs d’États à se concentrer sur les besoins spécifiques des femmes et des filles dans leurs réponses à la crise climatique.

Allons plus loin :
Parlons des migrations environnementales climatiques de manière plus générale, et de leur sous-catégorie les migrations climatiques concernant les sécheresses, les inondations et les tempêtes.

Avec le changement climatique global, on observe une augmentation mais aussi une intensification de ces phénomènes climatiques extrêmes engendrant des migrations de plus en plus conséquentes. Les pays du Sud sont les plus impactés, les côtes indiennes et d'Asie du Sud-Est plus particulièrement et risquent même de devenir inhabitables. C’est le cas du Bangladesh.

Une question juridique

La multi causalité des déplacements, compliquent autant la qualification de la migration environnementale que la mise en œuvre d'instruments juridiques de protection, par exemple la création du statut de réfugié climatique.
L’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) définit ainsi "toute personne ou groupe se déplaçant de manière temporaire ou non, contrainte ou volontaire, avec pour motif un changement environnemental soudain ou progressif" comme un migrant environnemental. On considère aujourd'hui ces migrants comme des “déplacés climatiques” puisque la migration n’est pas forcément volontaire mais qu'ils ne sont pas face à un danger immédiat comme les réfugiés.

Cette absence de statut juridique maintient donc les migrants environnementaux, notamment les femmes et les enfants dans la précarité.

Un phénomène global

D’autre part, on sous-estime largement l'ampleur de ce phénomène puisque les migrations climatiques ne sont quantifiées qu'à la suite de catastrophes climatiques. Par exemple, lorsqu'une sécheresse pousse plusieurs milliers de personnes à partir de chez elles sur plusieurs années, voire une décennie, cela n'est pas considéré comme une migration climatique mais plutôt comme un exode rural ou autre. En ce sens, nous ignorons totalement l'étendue des migrations environnementales.

Si rien n’est fait, d’ici 2050, 2.8% des populations d’Afrique subsaharienne, d'Asie du sud et d’Amérique Latine devront être déplacées représentant plusieurs dizaines de millions de personnes : on prévoit 200 millions à 1 milliard de “réfugiés climatiques” d’ici à 2050. Ces flux importants alimentent la peur des crises migratoires des pays du Nord, amenant à une recrudescence de l’extrême droite au détriment des populations vulnérables, cette inaction ou ce refus d'action pourrait même provoquer une crise humanitaire mondiale.

Un enjeu toujours plus important

Par ailleurs, les sécheresses à venir compromettent également l’agriculture vivrière, or, en Afrique subsaharienne la moitié de la population en dépend, les crises de subsistance présagées seraient catastrophiques. D’autre part, des conflits autour des ressources en eau pourraient évoluer en guerre ouverte, on pensera à la situation autour du plateau du Golan.

Les populations prises au piège

Enfin, il faut nous intéresser aux “populations prises au piège” qui ne se déplacent pas ou qui ne le peuvent simplement pas, on parlera le plus souvent d’une incapacité financière à se déplacer qui profite aux réseaux de passeurs. Néanmoins cela peut aussi être lié à une incapacité physique, lors de graves sécheresses comme au Burkina Faso, les hommes et les jeunes migrent vers les grandes villes laissant sur place des vieillards, des femmes et des enfants incapables de subvenir à leurs besoins dans un paysage désormais aride et infertile. Ces populations prises aux pièges sont en réalité les plus vulnérables et doivent devenir une source d’inquiétude pour la communauté internationale au même titre que les populations migrantes. Ce sont elles qui sont la source des migrations illégales, irrégulières et dangereuses. 

Le rôle des grandes puissances

En ce sens, il faut prévoir les migrations et offrir les moyens de se déplacer aux populations qui en ont le plus besoin. La plupart des migrations environnementales s’effectuent au sein d’un même pays ou dans un pays frontalier, l’inquiétude des pays du Nord et particulièrement des pays européens est irrationnelle puisqu’une crise humanitaire et migratoire massive ne peut survenir qu’à la suite de leur inaction continue. 

Sans oublier que les migrations environnementales concernent aussi les pays développés, aux Etats-Unis, on assiste aux déplacements de populations suite aux ouragans et aux incendies à répétition…

En savoir plus : Si le sujet du traitement préventif des migrations climatiques vous intéresse, vous pouvez vous renseigner sur la géographie prospective et ses scénarios de développement.

Sources:

Image d’en-tête: “Les femmes, actrices essentielles dans la lutte contre le réchauffement climatique, entre autonomisation et accès à la gouvernance” - ONU Femmes https://www.onufemmes.fr/nos-actualites/2020/7/17/les-femmes-actrices-essentielles-dans-la-lutte-contre-le-changement-climatique-entre-autonomisation-et-acces-a-la-gouvernance

“Les femmes dans le contexte des changements climatiques” - ONU https://www.un.org/fr/chronicle/article/le-femmes-dans-le-contexte-des-changements-climatiques

“Ces femmes qui luttent pour le climat” - Greenpeace https://www.greenpeace.fr/ces-femmes-qui-luttent-pour-le-climat/

“Face au changement climatique, les femmes en première ligne” - Les Echos https://www.lesechos.fr/weekend/planete/face-au-changement-climatique-les-femmes-en-premiere-ligne-1915543

“Quel est le rapport entre égalité des sexes et changement climatique ?” - Climate Promise https://climatepromise.undp.org/fr/news-and-stories/quel-est-le-rapport-entre-egalite-des-sexes-et-changement-climatique

“Inégalités climatiques : les 1% les plus riches émettent autant de C02 que deux tiers de l’humanité” - Oxfam France https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/inegalites-climatiques-les-1-les-plus-riches-emettent-autant-de-co2-que-deux-tiers-de-lhumanite/

“A la COP28, les femmes et les défenseurs du climat unis pour le changement” - ONU https://news.un.org/fr/story/2023/12/1141262

“COP28 : bilan des engagements pour le financement du climat et du développement, la santé mondiale et l’égalité femmes hommes” - Focus 2030 https://focus2030.org/COP28-bilan-des-engagements-pour-le-financement-du-climat-et-du-developpement

“Les femmes sont les premières victimes de la crise climatique, selon la COP26” - ONU https://news.un.org/fr/story/2021/11/1108212

“Pourquoi les femmes sont particulièrement vulnérables aux évènements climatiques extrêmes” - Le Monde https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/24/climat-les-femmes-particulierement-vulnerables-aux-evenements-extremes_6196272_3244.html

“COP27 : pourquoi les femmes sont-elles plus touchées par le réchauffement climatique ?” - TV5 Monde https://information.tv5monde.com/terriennes/cop27-pourquoi-les-femmes-sont-elles-plus-touchees-par-le-rechauffement-climatique

“Pourquoi le réchauffement climatique impacte déjà la santé hormonale des femmes” - TV5 Monde https://information.tv5monde.com/terriennes/pourquoi-le-rechauffement-climatique-impacte-deja-la-sante-hormonale-des-femmes-2678180

“World Migration Report 2022” - IOM UN Migration https://worldmigrationreport.iom.int/wmr-2022-interactive/

“D’ici à 2050, le changement climatique risque de contraindre 216 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays” - La Banque Mondiale https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/09/13/climate-change-could-force-216-million-people-to-migrate-within-their-own-countries-by-2050

“Prospective des migrations internationales à l’horizon 2050” - Fondation Maison des Sciences de l’Homme https://www.fmsh.fr/sites/default/files/files/Prospective-2020-4%20Dumont-Bravo%20(2).pdf