Le Palais Zarrouk devenu Palais beylical puis Beït al-Hikma, Académie des sciences, des lettres et des arts
Jean Ganiage (Les Origines du protectorat français en Tunisie (1861-1881), Publications de l'Institut des Hautes études de Tunis, PUF, Paris, 1959) relate dans leurs détails les origines et les séquelles de cette insurrection. La régence était traversée depuis quelques temps par des vagues de grogne. Les réformes à l’européenne et la réorganisation de l’administration étaient mal acceptées par la population. La politique financière du premier ministre Mustapha Khaznadar était décriée et la constitution d’insolentes fortunes par les favoris de la Cour source de mécontentement dans les corps caïdal. En parallèle, la frontière avec l’Algérie voyait les incidents se multiplier. En septembre 1863, le gouvernement décide d’étendre à toute la population, l’impôt de capitation (mejba) dont les habitants de Tunis, Kairouan, Monastir, Sfax et Sousse étaient jusque-là dispensés. Trois mois plus tard, son montant était doublé. La conséquence immédiate en a été un soulèvement des tribus d’abord et de la côte ensuite, un refus de payer le nouvel impôt et de très nombreux pillages. La répression fut terrible : « Zarrouk écrasait le Sahel d’une répression si féroce que le souvenir en demeurait vivace trente-cinq ans plus tard. Sous prétexte de prélever les impôts auxquels s’étaient soustraits les habitants pendant l’insurrection, de leur faire payer les frais du camp chargé de les soumettre, il écrasait de taxes et d’amendes un pays déjà épuisé par le pillage ». Il serait allé jusqu’à indiquer aux contribuables des prêteurs qui leur auraient permis de payer leurs taxes moyennant un taux d’intérêt de 40% par an. Des garants de ces prêts étaient désignés à leur insu et se voyaient réclamer ensuite, par les prêteurs, la somme due par leur village, jusqu’à complet épuisement de leurs ressources. Dans sa conférence à l'IPSI du 12 octobre 1973, Habib Bourguiba explique que « ces prêteurs faisaient saisir leurs récoles, séquestrer leurs biens, emprisonner leurs personnes». Monastir n’avait pas « pris, au soulèvement, une part aussi active que Msaken ou Kalaâ Seghira » mais avait « sympathisé avec les rebelles et refusé de lever des soldats pour appuyer l’armée beylicale » et avait « fermé ses portes lors du débarquement du général Slim (… qui) devait aller se recueillir au Mausolée de Sidi El Mazeri avant de regagner son bateau ». Zarrouk entendait bien faire payer cet affront aux monastiriens. Comme le mentionne Mohamed-Salah Mzali dans ses mémoires, Monastir a longtemps gardé la mémoire d’ « Ahmed Zarrouk, des exactions subies, des arrestations en masse, des confiscations ».
Khalifa Chater (Insurrection et répression dans la Tunisie du XIXe siècle : la mehalla de Zarrouk au Sahel. Publications de l’Université de Tunis, 1978) précise que Zarrouk ordonna notamment « l’arrestation de treize notables ; il se montra particulièrement violent avec le bach-mufi Mohammed el-Jeddi qui fut mis aux fers et torturé en public […]. Il arrêta le vice-caïd de Monastir Omar el-Mabrouk, […] révoqua la plupart des cheikhs du Sahel et distribua ces charges à ses créatures. Miftah Attia, serviteur zélé de Zarrouk fut nommé vice-caïd de Monastir ».
Il est à noter que selon Ridha Mabrouk (Au service d’autrui, Beït al Hikma, 2019), Omar el Mabrouk est le père du Hadj Ali Mabrouk qui racheta une partie du palais du Général Osman (dont Salah Mzali fut un proche collaborateur) et du domaine attenant. Les deux autres parties ont été rachetées par les frères Mohamed-Salah et Hassen Sakka. Il est également le grand-père de son homonyme Amor Mabrouk qui épousa Zoubeïda, fille du Général Osman. Ils sont les parents de Hedi Mabrouk, gendre directeur de cabinet du Général Saadallah avant de devenir ambassadeur à Paris et ministre des Affaires étrangères de la Tunisie indépendante.
Mohamed-Salah Mzali, dans ses mémoires, ajoute que « la dure répression exercée dans le Sahel par le Général Zarrouk devait lui assurer l'accession à un important gouvernorat puis au Ministère de la Guerre. »
Il ajoute « À son tour Ahmed Zarrouk a, en effet, connu la gêne, une gêne proche de la misère. Il est mort sans être parvenu à libérer sa propre maison, hypothéquée entre les mains des Bessis. »
A ce propos, dans un courrier adressé, en 1965, par M.-S. Mzali à Bourguiba, il ajoute : « Lors de son avènement en 1922, le bey Mohamed el Habib (père de Lamine bey) pauvrement installé à Douar Chott, emprunta le « Palais Bessis » tout proche afin d’y recevoir la délégation venue pour l’investiture. Comme le souverain s’y plaisait, le Gouvernement en fit l’acquisition pour la maintenir à sa disposition. Peu après, un décret autorisa le directeur des Finances, gestionnaire du Domaine, à en faire une donation gratuite au profit du patrimoine personnel du Souverain. Après plusieurs avatars (constitution habous, annulation du habous, retrait d’indivision, nouvelle constitution habous, déchéance) le palais, construit par Ahmed Zarrouk et maudit par les sahéliens, spoliés, a fait retour au Domaine de l’État en 1957. C’est l’ex-palais beylical de Carthage actuellement utilisé par l’Office national de l’artisanat. » Il est désormais le siège de Beït al-Hikma.