Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies1 ;
Qui ne les eût à ce vêpre2 cueillies
Chutes à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries
En peu de temps cherront toutes flétries
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame3 ;
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle4.
1 épanouies
2 ce soir
3 la pierre du tombeau
4 pendant que vous êtes belle
Pierre de Ronsard (1524-1585) est une figure emblématique de la Renaissance française et un membre de la Pléiade, un groupe de poètes réunis autour de Joachim du Bellay, qui avait pour objectif de renouveler la langue française et d'égaler les grandes littératures antiques. Ce poème, intitulé Je vous envoie un bouquet, est un sonnet extrait de Sonnets pour Hélène (1578), écrit pour Hélène de Surgères. À travers cette œuvre, Ronsard exprime un thème cher à la Renaissance : la fuite du temps (carpe diem), exhortant à profiter des plaisirs présents, notamment l’amour, avant que la beauté et la vie ne s’effacent.
Le poème délivre un message universel : il met en garde contre le caractère éphémère de la beauté et de la vie humaine. Ronsard invite la femme aimée à savourer l’amour et la jeunesse tant qu’ils existent, car le temps est inexorable et conduit inéluctablement à la mort.
Première strophe : "L’offrande florale et l’éphémère"
Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies ;
Qui ne les eût à ce vêpre cueillies
Chutes à terre elles fussent demain.
Ronsard offre un bouquet de fleurs cueillies le soir (vêpre). Ces fleurs, proches de leur flétrissement, symbolisent la fragilité et la brièveté de la vie humaine. Le poète commence son parallèle entre les fleurs et la beauté féminine.
Deuxième strophe : "La fragilité de la beauté humaine"
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries
En peu de temps cherront toutes flétries
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Ici, Ronsard renforce la comparaison entre les fleurs éphémères et la beauté de la femme. Il rappelle que la jeunesse et la beauté ne sont que temporaires et destinées à disparaître rapidement.
Troisième strophe : "La fuite du temps"
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame ;
Le poète insiste sur l’inexorabilité du temps : ce n’est pas le temps qui passe, mais les humains qui disparaissent. La mort, évoquée par la "lame" (pierre tombale), attend chaque être humain.
Quatrième strophe : "L’appel à l’amour"
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle.
Ronsard conclut par une exhortation : la beauté et l’amour n’existent que dans la vie. Il invite donc la femme à aimer et à profiter du présent tant qu’elle est belle et vivante.
Forme poétique : Le poème est un sonnet, composé de 14 vers répartis en deux quatrains et deux tercets.
Type de vers : Ce sont des alexandrins, c’est-à-dire des vers de 12 syllabes, ce qui ajoute de la grandeur et de la régularité au poème.
Rimes :
1er quatrain : rimes embrassées (ABBA)
main (M) - épanies (F) - cueillies (F) - demain (M)
2e quatrain : rimes embrassées (ABBA)
certain (M) - fleuries (F) - flétries (F) - soudain (M)
1er tercet : rimes croisées (ABAB)
Dame (F) - allons (M) - lame (F) - parlons (M)
2e tercet : rimes plates (CC)
nouvelle (F) - belle (F)
Alternance des rimes masculines et féminines :
Les rimes respectent l’alternance entre rimes masculines (terminées par un son plein, ex. main, certain, soudain) et rimes féminines (se terminant par un "e" muet, ex. épanies, cueillies, fleuries). Cette alternance renforce la musicalité et l’équilibre sonore du poème.
Richesse des rimes :
main/demain (suffisantes)
épanies/cueillies (pauvres)
certain/soudain (pauvres)
fleuries/flétries (suffisantes)
Dame/lame (suffisantes)
allons/parlons (suffisantes)
nouvelle/belle (suffisantes)
Analyse de la richesse des rimes :
Les rimes les plus fréquentes dans ce poème sont suffisantes. Par exemple, main/demain et Dame/lame sont des rimes suffisantes, où les sons finaux sont proches mais non identiques. Les rimes comme épanies/cueillies et certain/soudain sont des rimes pauvres, car elles ne partagent qu'un seul son vocalique final, ce qui diminue la richesse sonore. Il n'y a pas de rimes riches (qui comportent une correspondance plus étendue entre les sons), ce qui donne un effet de fluidité et de simplicité à la composition, tout en conservant une harmonie sonore dans le poème.
Comparaison : "Et, comme fleurs, périront tout soudain."
Compare la beauté humaine à des fleurs éphémères.
Personnification : "Le temps s'en va."
Le temps est décrit comme un être animé qui "s’en va".
Métaphore : "étendus sous la lame."
La "lame" symbolise la pierre tombale ou la mort.
Anaphore : "Le temps s'en va, le temps s'en va."
Répétition pour insister sur la fuite du temps.
Exclamation : "Las !"
Exprime un sentiment de regret face à l’inéluctabilité du temps.
Hyperbole : "Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle."
Exagère l’oubli après la mort.
Allitération : "Chutes à terre elles fussent demain."
Répétition du son [t] pour imiter la chute des fleurs.
Symbole : Les fleurs représentent la jeunesse et la beauté.
Injonction : "Pour ce aimez-moi."
Invitation directe à aimer.
Le poème traite du carpe diem : il appelle à profiter des plaisirs de l’amour et de la vie avant que la beauté et l’existence ne s’éteignent sous l’effet du temps.
Dans ce sonnet, Ronsard nous rappelle la fragilité de la vie humaine et l’importance de savourer l’instant présent. Son message, inscrit dans l’humanisme de la Renaissance, transcende les siècles et reste universel. En mêlant une réflexion philosophique sur la fuite du temps à une déclaration d’amour, il illustre parfaitement la richesse de la poésie de la Pléiade.
Pierre de Ronsard, poète de la Renaissance et membre de la Pléiade, est l'un des écrivains majeurs de cette époque. Ce poème, extrait des Sonnets pour Hélène, se situe dans une tradition littéraire appelée carpe diem, qui invite à profiter du moment présent, surtout quand il s'agit de la jeunesse et de la beauté. À travers cette poésie, Ronsard adresse un message de temporalité et de fragilité : la beauté est éphémère et doit être vécue intensément avant que le temps ne l'emporte. L'image centrale du poème est celle de la fleur, symbole de la jeunesse et de la beauté, qui se fane inévitablement sous l'effet du temps et de la mort.
Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies ;
Qui ne les eût à ce vêpre cueillies
Chutes à terre elles fussent demain.
Ronsard commence par une image de tendresse et d'attention : il offre un bouquet de fleurs qu'il a personnellement cueillies, et le fait en précisant que ces fleurs sont à leur apogée, "épanies". Cependant, l'évocation de cette image florale ne se limite pas à la beauté immédiate de la nature, mais sert également à introduire une réflexion sur la fragilité de cette beauté. Si ces fleurs ne sont pas cueillies à ce moment précis, elles tomberaient par terre le lendemain. Cela souligne l'idée de la fugacité du temps et de la beauté, qui, bien qu'intenses, sont vouées à se faner rapidement. Le terme "vêpre", qui fait référence au crépuscule, symbolise un moment de transition, de fin, où la lumière du jour s’éteint, tout comme la beauté humaine finit par se ternir.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flétries
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Dans cette strophe, Ronsard utilise l'image du bouquet pour expliquer à sa bien-aimée que la beauté humaine, bien qu'elle soit "fleuries", est forcément vouée à se faner. L'adjectif "fleuries" renvoie à l'épanouissement de la beauté, mais il met aussi en lumière sa nature éphémère, car la fleur finit toujours par se faner. Ronsard insiste sur la rapidité de ce processus en affirmant que "en peu de temps", la beauté se fanera. L'expression "tout soudain" accentue la brutalité de cette disparition, qui se produit de manière inattendue et sans retour. L’idée sous-jacente ici est que la beauté ne dure pas, et le poète invite ainsi sa bien-aimée à profiter de sa jeunesse tant qu’elle dure, avant que la vieillesse n’arrive.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame ;
Dans cette strophe, Ronsard introduit plus explicitement la notion de temps, en répétant "le temps s'en va", ce qui accentue l’idée que le temps est implacable et que rien ne peut l’arrêter. La répétition de cette idée renforce la certitude de l’inéluctabilité du passage du temps. Cependant, le poète rectifie cette première affirmation en disant que ce n’est pas le temps qui disparaît, mais bien nous-mêmes, les êtres humains, qui sommes destinés à disparaître. L’utilisation du verbe "nous en allons" évoque la mortalité humaine et la fuite du temps qui est liée à cette fin. Le terme "lame" est une métaphore de la mort (représentée par la faux du déssicateur), suggérant que la mort viendra inévitablement. Le poète nous rappelle ainsi que notre vie est courte et que la mort attend chacun de nous, tout comme le temps, qui ne fait que s’échapper.
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle.
Dans cette dernière strophe, Ronsard termine sur une note d’urgence. Il affirme que lorsqu’ils seront morts, il n’y aura plus de place pour l’amour, et il n’y aura plus de "nouvelle" des amours dont ils parlent. Cela renvoie à l’idée que l’amour, tout comme la beauté, est éphémère et qu'il faut en profiter avant que la mort ne mette fin à tout cela. Le poète appelle sa bien-aimée à l’aimer, à vivre pleinement cet amour, tant qu'elle est encore belle et que la jeunesse est encore présente. Cette strophe renforce l’urgence du message central du poème : l'amour et la beauté doivent être vécus avant qu’ils ne disparaissent avec le temps.
Le poème est un sonnet, une forme poétique composée de 14 vers répartis en deux quatrains et deux tercets. Il est écrit en alexandrins, c'est-à-dire des vers de 12 syllabes, ce qui confère au texte une grande régularité et une majesté, caractéristiques de la poésie de la Renaissance. En ce qui concerne la structure des rimes, les deux quatrains présentent des rimes embrassées (ABBA), tandis que les deux tercets suivent respectivement un schéma de rimes croisées (ABAB) pour le premier tercet et de rimes plates (CC) pour le deuxième. L’alternance des rimes masculines et féminines, qui sont typiques de la poésie classique, renforce la musicalité du poème. Les rimes masculines (ex. main, certain, soudain) se terminent par un son plein, tandis que les rimes féminines (ex. épanies, cueillies, fleuries) se terminent par un "e" muet, ajoutant de la douceur et de l’harmonie à la composition. En ce qui concerne la richesse des rimes, la plupart des rimes du poème sont suffisantes. Par exemple, main/demain et Dame/lame sont des rimes suffisantes, où les sons finaux sont proches mais non identiques. Les rimes comme épanies/cueillies et certain/soudain sont considérées comme pauvres, car elles ne partagent qu'un seul son vocalique final, ce qui diminue la richesse sonore du poème. Il n'y a pas de rimes riches, celles qui offrent une correspondance plus précise entre les sons, mais cela n’affaiblit pas la musicalité du texte. Au contraire, cette simplicité des rimes contribue à un effet de fluidité et d'équilibre, en harmonie avec le ton élégiaque et méditatif du poème.
Ce poème de Ronsard est une invitation à profiter de la jeunesse et de la beauté avant qu’elles ne disparaissent, comme les fleurs qui se fanent rapidement. À travers l’image de la fleur, il explore le thème de la fugacité du temps et de l’inexorable déclin de la beauté. La répétition du passage du temps et de la mort dans le poème renforce cette idée de finitude, tout en appelant à un "carpe diem" où l’amour doit être vécu pleinement tant qu’il est encore possible. Le poème exprime ainsi une vision tragique de la beauté et de la vie, mais aussi une incitation à savourer chaque instant avant qu’il ne soit trop tard.