Articles / Tempête de 1863

Le 11 novembre 1863, une tempête mémorable.

Le publicateur des Côtes du Nord*, dans son n° 46 du 14 novembre 1863, évoque l’ouragan qui a balayé la baie de Saint-Brieuc faisant de très nombreux dégâts : « Durant la tempête, un convoi de chemin de fer venant de Rennes a dû s’arrêter, la locomotive ne faisant que patiner. On a été obligé d’abandonner sur la route, le train et les voyageurs et de venir prendre une seconde locomotive à Saint-Brieuc. Ceci peut donner une idée de la violence du vent. C’est sur le littoral du Nord de la Bretagne qu’a eu lieu le plus grand nombre de sinistres. Si cette tempête avait eu lieu de nuit, il ne fut peut-être pas revenu un seul des 150 marins montant les bateaux pêcheurs de notre baie ».

Tempête de secteur nord au phare du Rocher à l'Aigle

Un terrible drame en baie de Saint-Brieuc

Ce sombre présage aurait pu se révéler juste. En effet, sur ordre du Commissaire de l’inscription maritime Le Vicaire, l’inspecteur des Pêches, Laloyer et le Syndic des gens de mer du Légué Bouguet se sont rendus sans délai au hâvre de Sous-la-Tour ce 11 novembre 1863 afin de porter secours aux bateaux en détresse et de faire connaître l’étendue des désastres causés par l’ouragan. Le 12 novembre, ils notent dans leur rapport :

« 28 bateaux pêcheurs du Légué sortaient à 7 heures du matin pour se rendre sur les lieux de pêche, le vent était alors Sud-Ouest bonne brise ; vers 9 heures du matin, il fraîchit et le vent, toujours de la même partie, à 11 heures, passa au Nord-Ouest tempête. Les bateaux étaient mouillés le long de la côte entre la Pointe du Roselier et celle de Pordic, plusieurs chassant sur leurs ancres, et poussés au large, la mer devenant de plus en plus grosse, voulurent appareiller.

La violence du vent emporta leurs voiles. Etant ainsi dépourvus de tout, treize de ces bateaux furent jetés sur les bancs, six du côté de Hillion et sept sur les grèves de Cesson ; dans le nombre de ces bateaux trois sont perdus totalement avec leurs équipages. Le bateau de Plouëzec, le Saint-Riom, n° 485 de pêche, a eu un homme emporté par un coup de mer, à la Pointe du Roselier. Ce marin se nomme Le Polés Yves ».

Au matin de ce jour fatidique, l'apparence du temps donne confiance aux marins qui n'hésitent pas à sortir. Une bonne brise ne pose pas de problème en baie de Saint Brieuc, qui plus est orientée sud ouest. Les ris sont pris quand le vent commence à fraîchir et tous les bateaux s'emploient à rester près de la côte. Mais le rapport évoque une bascule de vent au nord ouest inattendue par sa rapidité et sa force. Dès lors, la situation devient compliquée pour la flottille qui se retrouve piégée par la marée descendante, la hauteur d'eau ne permettant plus de revenir au Légué.

Un lourd bilan

Le rapport continue en énumérant les pertes subies.

"Noms des bateaux qui se sont perdus avec leurs équipages :

  • AUTOMNE : l'équipage est composé ainsi qu'il suit : Poulain Jean-François, Patron ; Urvoy Mathurin, matelot ; Desbois François, matelot ; Redon Mathurin, mousse.
  • SAINT-PIERRE : Maximi Pierre, Patron ; Maximi Louis, matelot ; Maximi Auguste, novice ; Eouzan Jean-Marie, mousse.
  • L 'UTILE : LacIef Jean, Patron ; Rouault Mathurin, matelot ; Rouault Casimir, mousse et Laclef Mathurin, novice.

Trois hommes du bateau l'Amédée-Alfred échoué sur les grèves de Langueux se sont noyés en voulant se sauver à la nage : Urvoy Pierre, patron, Urvoy Mathurin et Rouault Jean-François, mousses. Rouault Louis et Lagadeuc n’ont pas quitté le bateau qui a été jeté à la côte et ont pu se sauver.

On trouve également à la côte des débris du bateau pêcheur l'Espérance de Paimpol monté de 5 hommes d'équipage.

En résumé, il est sorti 28 bateaux :

  • 16 sont rentrés plus ou moins avariés
  • 5 pouvant être relevés
  • 4 sont brisés
  • 3 sont perdus corps et biens avec 16 hommes d'équipage

Plus un bateau de Plouëzec perdu corps et biens avec 5 hommes et 1 homme enlevé d'un coup de mer à bord du bateau le Saint-Riom.

Les cadavres des 4 premiers ont été trouvés sur la grève et transportés en lieu de sûreté. Il est de notre devoir Monsieur le Commissaire, de vous signaler l'admirable dévouement des hommes de la patache des douanes de Sous-Ia-Tour, en sauvant avec leur canot, dans une mer affreuse et au péril de leur vie, les équipages de cinq bateaux formant un effectif de 24 hommes.

Mardi dernier on a recueilli en mer, le cadavre d’un marin que l’on suppose être de la commune de Plouëzec. Il a été envoyé au Portrieux, dans l’espoir qu’il serait reconnu par quelqu’un. Six des cadavres de la commune de Plérin, si cruellement frappée dans le sinistre du 11 de ce mois, n’ont pas encore été trouvés.

De ce nombre sont ceux de Jean Laclaie fils, de Matelin Lorvault et de son fils, tous faisaient partie de l’équipage du bateau l’UTILE. Parmi les cadavres rejetés par la mer se trouve le cadavre d’un jeune mousse portant encore un bandeau noué sur le front. On présume que ce pauvre enfant s’est bandé les yeux pour ne pas voir les approches de la mort.

Vendredi de la semaine dernière, a eu lieu à Plérin, au milieu d’une immense affluence, une de ces tristes cérémonies qui laissent un souvenir ineffaçable au cœur de ceux qui y assistent. Cinq cercueils étaient là, dans la nef et aux chants funèbres se mêlait le bruit des pleurs et des sanglots. Le lendemain samedi, toute la population rendait encore les derniers devoirs à trois de ses concitoyens ».

La rage de vivre ou l’extraordinaire courage de Jean Tanguy, novice sur l’AUTOMNE.

Un autre rapport relate les circonstances du sauvetage de Jean Tanguy, seul rescapé de l'Automne:

"Un des novices du bateau l’AUTOMNE dont le reste de l’équipage a péri, a montré dans ce naufrage, un courage et une persévérance extraordinaire. Le jeune Tanguy Jean, novice, âgé de 17 ou 18 ans, ayant vu sombrer au milieu de la baie le bateau qu’il montait, a bravement accepté cette position désespérée et s’est mis à nager en se débarrassant le plus qu’il a pu des vêtements qui gênaient ses mouvements.

Il était éloigné de tous côtés de plus d’une lieue de la côte, où la mer venait se briser en quelques endroits avec une violence extraordinaire. Tanguy ne désespérera pas, néanmoins, de pouvoir se sauver.

Deux bateaux poussés par la tempête, et ne gouvernant plus, passèrent à peu de distance de lui et lui jetèrent vainement quelques brasses de filin, emporté aussitôt par la mer. Le premier de ces bateaux après l’avoir dépassé, voulut faire demi-tour pour le recueillir mais l’écoute de misaine se rompit par la force du vent et le bateau fut en un instant, porté par la lame, à une grande distance.

Les hommes qui le montaient ne purent que crier à Tanguy : « Courage ! Courage ! » Tanguy ne put que les remercier de la main et ce geste sembla, à tous, un adieu éternel. Au milieu des débris qui couvraient la mer, le jeune naufragé eut le bonheur de rencontrer un aviron dont il se saisit et qui lui servit à se défatiguer un peu.

Après avoir, pendant plus de deux heures, lutté avec un courage surhumain contre la mer la plus monstrueuse qu’on ait vue depuis longtemps dans notre baie, Tanguy, dont la tête commençait déjà à se troubler, se voyant près des côtes de Morieux, après avoir été promené dans diverses anses de la baie, fit un suprême effort et put enfin atterrir sur le sable.

Il était à bout de ses forces, presque entièrement nu, le reste de ses vêtements l’ayant abandonné, dans la lutte désespérée qu’il venait de soutenir. Ce fut avec peine qu’il parvint à découvrir une maison ; il s’y rendit et reçut un accueil hospitalier.

La conduite, que Tanguy a tenue, dans cette mémorable journée, décèle une âme vigoureusement trempée."

Souscription pour les victimes de la tempête du 11 novembre 1863

Dans son rapport du 27 juillet 1873 adressé au Préfet, le rédacteur, Paul Charpentier, fait le point concernant la commission chargée de la souscription recueillie il y a dix ans pour les victimes de la tempête du 11 septembre** 1863 (baie de Saint-Brieuc). Elle a chargé, le 30 mai dernier, une sous­-commission composée de : MM. le Commissaire de l'Inscription Maritime, Gautier du Mottay, Maire de Plérin, Denis, ancien Maire de Plérin, de procéder à la répartition de la somme réalisée 5 393 francs.

"Cette somme a servi au paiement des dettes aux constructeurs de navires, fournisseurs de voiles et de filets, au paiement des contributions et de loyers.

La plupart des veuves cultivent un petit coin de terre qu'elles tiennent à ferme. Le fermage a été payé. À l'une nous avons acheté une vache, à une autre deux petits porcs, leur créant ainsi un revenu pour l'hiver.

En visitant leurs maisons, nous avons fait réparer les toitures pour garantir nos familles du mauvais temps et là où nous n’avons trouvé ni couverture, ni draps de lit, nous leur en avons procurés, ainsi que des chemises que nos ouvrières ont confectionnées. Tous ces objets ont été marqués à leur nom à l'encre indélébile. Presque tous ont reçu un vêtement d'hiver, les mousses ont eu un équipement de mer.

Une de ces veuves n'a rien voulu recevoir. Elle est cependant à peine vêtue et elle a soixante huit ans. Parmi ses enfants, l'un d'eux l'a recueillie en 1863 et subvient à tous ses besoins depuis dix ans. C'est à lui qu'elle désire que la somme entière soit remise à son retour d'Islande et soit affectée à lui acheter une part de bateau de pêche. Ce dévouement est vraiment touchant.

Pour plusieurs familles, il nous restait un peu d'argent, nous l'avons employé à l'achat de une ou deux perrées de froment qui assureront la subsistance d'une partie de l'hiver, tel est l'emploi que nous avons fait du reliquat de la souscription de1863."

La société d'assurance sur la vie des marins

Toujours dans son rapport, Paul Charpentier fait part de son inquiétude sur le dénuement complet dans lequel la tempête a plongé subitement tant de familles :

"...Cette situation fait regretter que les marins de nos côtes, si souvent éprouvés par les sinistres, n'aient pas la prévoyance d'assurer leur famille contre les risques de la mer. La société d'assurance sur la vie des marins existe cependant. Il serait bon de la faire connaître et de la faire passer dans les mœurs de nos pêcheurs avec l'aide de personnes généreuses qui pourraient stimuler l'épargne en leur promettant de déposer à leur nom une somme de dix fois plus forte."

La société d’assistance Maritime de la Baie de St Brieuc verra le jour en 1865.

Gilles ROT

* Journal créé en 1836 par Charles Le Maoût, pharmacien de son état

** On notera que 10 ans plus tard, la tempête du 11 novembre a eu lieu en septembre !!