Articles / Sloughi
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Un caboteur au précieux chargement
Manœuvre d'accostage à Tréguier
Parmi les bateaux qui fréquentèrent le port du Légué, il y en a un qui laissera un souvenir marquant ne serait ce que par la nature de sa cargaison transportée, propre à attirer les convoitises. Voici le témoignage de Lionel Rat:
"Petit garçon je rêvais de devenir explorateur, un vrai, pas comme Tartarin de Tarascon. Plus âgé, entre neuf et dix ans, j’ai revu mes périlleux projets à la baisse, je suis devenu marin. Deux navires ont marqué mon enfance: Le «Sloughi»* qui accostait très souvent au Légué et à Tréguier pour arroser nos ports en vins d’Algérie, et l’autre navire, le « SS France », mais c’est une autre histoire.
Gamin, je suis monté par chance deux fois à bord du « Sloughi », qu’un bon nombre de briochins ont connu. En le voyant partir de la place de la douane, j’aurais aimé être à bord, à la barre, aller au-delà de l’horizon, malheureusement je n’ai jamais navigué dessus. Ce n’est que cinquante ans plus tard que j’ai fait cette recherche sur ce navire immatriculé à Casablanca, Maroc. Je me souvenais des bouteilles à étoiles avec de jolis noms: « Vieux Jacques », « Père Benoît », « Vieille treille », achetées à l’Économique. Ci-dessus, la seule photographie que j’ai trouvée avec l’aide de mon frère Didier montre le « Sloughi » à Tréguier."
Pour le « Sloughi », tout commence à Plestin Les Grèves, nous y retrouvons les frères De Kergariou (derniers armateurs de Plestin les Grèves) Ils étaient les propriétaires du château de Lasmae et du quatre-mâts « Capitaine Guyomard » qui assurait à partir de 1945 le transport de vin d’Algérie vers les ports de la Méditerranée et les ports Bretons. Le quatre-mâts fit naufrage le trente et un décembre 1947 au large des côtes espagnoles et aurait coûté la vie à son équipage Plestinais. Il sera remplacé sur cette ligne par le « Sloughi ».
Le "Sloughi" amarré à son poste avant le pont tournant.
Le déchargement du vin dans des camions
source: https://histoirederobien.blogspot.com/2021/04/lentreprise-guevel-et-rio-negociants-en.html
Le « Sloughi » a été construit en 1947 suite à une commande de l’armée Allemande aux chantiers navals de Blainville (Caen)….en 1944! Cette commande de dix navires citerne devait servir à ravitailler les troupes de l’Africa Korps. En 1945, seuls huit des dix navires seront terminés. Ensuite, deux iront à la Marine Nationale Française, les autres à la Marine Marchande, le « Sloughi » à la Navale Chérifienne de Navigation Casablanca au Maroc. Il sera mis en service en 1948. En 1958, après l’indépendance du Maroc, la société devient marocaine. La construction se termine fin 1947 au chantier naval de Caen à Blainville (Calvados) pour la Navale Chérifienne de Casablanca. Affecté au transport de vin, le bateau est en acier avec six compartiments étanches, deux panneaux de cale et deux mâts de charge. Il est équipé de deux moteurs Sulzer de 1400 cv à 300 tours/mn (7 cylindres) avec deux arbres d’hélices pouvant lui donner une vitesse de 12 nœuds. D’un tonnage brut de 1100 tonnes (579 net), il fait 68 m 90 de longueur pour 9 m 44 de large et 4 m 30 de creux (verticale au milieu du bateau, du dessus de la quille au livet du pont!).
En 1948, le Maroc a vu se créer un grand nombre de petites sociétés attirées par des placements lucratifs dans l’exploitation de navires citernes. En 1953, il ne restera plus que sept pinardiers en service dont le « Sloughi », ceci est dû à la chute du trafic et la concurrence d’autres pays producteurs.
Dans les années trente, la Bretagne ne produisait pas beaucoup de vin, si ce n’est en Loire-Inférieure mais après les années cinquante, les Bretons en consommaient beaucoup, et du vin fort. Les vins d’Oran, Mostaganem 13- 14° sont coupés avec ceux d’Alger et de Constantine. Le Mascara fait 20° et plus. En 1963, le trafic du port du Légué était de 255 519 tonnes. Pour l’import (société Guével et Rio), le vin arrivait en bonne place avec les hydrocarbures, ensuite le maërl et le bois. L’export ne représentait que 17 000 tonnes .
Après trente quatre ans d’existence, ce vétéran est arrivé à Briton Ferry (Sud Ouest de l’Angleterre ), le vingt et un octobre 1978, pour succomber sous les chalumeaux d’un chantier naval de démolition.
Voici une anecdote trouvée sur le net au sujet du « Sloughi »…..à vérifier:
« ….. du pinardier qui s’était échoué au fond de la baie de St-Brieuc, à quelques encablures du port du Légué. En quelques minutes, le « Sloughi », c’était le nom du bateau qui ramenait un vin de Sicile, plus explosif que du pétrole raffiné, s’était retrouvé entouré de plusieurs centaines de personnes qui, armées de bidons, de jerrycans, de lessiveuses, attendaient que la coque cédât et délivrât son précieux liquide. Hélas ! les vieilles tôles tinrent bon et le barrage anti-pollution spontané rentra bredouille à la maison.! »
* lévrier arabe
Le Sloughi s'échoue dans le chenal en face de l'hôtel Printania. Avec malice, le correspondant du Ouest-France s'interroge: "...serait-ce dû à l'insuffisance de la profondeur du chenal ?..."
Lionel RAT