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L’affaire du "Baudouin"

et du maître-autel de la Motte

En 1778, François Robinot avait pensé trouver un bon complément de fret, de retour de Marseille, pour son bateau le Baudouin, capitaine Louis Le Roux, de Saint-Brieuc. Il s’agissait de ramener 19 caisses contenant un autel en marbre de Carrare, commandé par la trêve de la Motte-Loudéac. (1)

Notons ici qu’il avait baptisé son bateau du nom de Baudouin du Guémadeuc, seigneur de Pléneuf, maître des requêtes au Grand Conseil, à qui il faisait alors la cour. Baudouin sera le parrain de sa fille, Marie-Thérèse Armande, baptisée en 1779. 

Au lieu de gagner en droiture Le Légué, le capitaine Le Roux fit relâche à Guernesey pour se débarrasser d’une partie de sa cargaison… Il ne s’attendait, certes pas à ce que son bateau soit saisi et lui-même envoyé en prison le 21 août 1778. Pendant deux ans, l’autel de marbre resta bloqué à Guernesey, dans les magasins de Jean Wood, correspondant local de Robinot. Ce n’est qu’au début de novembre 1780 que Wood put l’expédier à Rotterdam, port neutre, d’où il fut ramené à Saint-Malo, par l’entremise du sieur Blaize-Maisonneuve… au frais de Robinot (1900 livres). 

Le général de la Motte-Loudéac refusa de prendre en charge ces frais. Dans l’hiver 1781, Robinot entame contre lui un procès devant l’Amirauté de Saint-Brieuc. L’affaire aurait pu se traiter à l’amiable, selon le vœu du curé de la Motte, mais Robinot avait voulu se placer en position de force. Il partit pour Paris en janvier 1782, afin de consulter un avocat au Conseil du Roi, maître Badin.

Il s’agissait d’invoquer la force majeure due à l’état de guerre.

De son coté, le général de La Motte fit appel à un des plus célèbres avocats de Saint-Brieuc, Besné de la Hauteville, que Robinot trouvera désormais face à lui dans bien des procès, argumentant avec efficacité, publiant des « Mémoires » et libellés féroces contre notre armateur (2).

Le 27 mars 1783, au moment où Robinot commence à éprouver quelques difficultés financières, du fait de la perte de trois de ses navires, Besné attaque, devant l’amirauté de Saint-Brieuc, le capitaine Le Roux, comme « coupable de fausse route et punissable de mort » et Robinot « de connivence avec les Anglais » (sic), pour avoir débarqué en 1778 des marchandises à Guernesey ! Il demande 2 000 livres de dommages et intérêts.

La guerre étant cas de force majeure, Robinot était protégé par un arrêt  du Conseil d’État du Roi du 26 juin 1778, suivant lequel le capitaine et l’armateur d’un navire pris par l’ennemi devaient être jugés par le Conseil du Roi… près duquel le parrain du bateau était maître des requêtes (3).

En même temps, Robinot essaye de récupérer le Baudouin et le Benjamin. L’article 21 du traité de Versailles (3 septembre 1783) mettant fin à la Guerre d’Indépendance d’Amérique, permettait aux armateurs français d’aller, eux-mêmes, plaider leur cause devant l’Amirauté de Londres. Robinot obtint du « Conseil des Prises » une lettre de recommandation pour l’ambassadeur de France en Angleterre. De son côté, le duc de Penthièvre, amiral de France l’encourage, par une lettre, à aller plaider lui-même son affaire à Londres.

L'autel de la Motte de nos jours

Photos : P.Saudreau

Aucun document ne nous permet d’affirmer que Robinot soit allé à Londres. L’action dut se dérouler par l’intermédiaire d’hommes de loi et de négociants correspondants. Mais il est sûr que s’il ne récupéra pas le Baudouin, déjà vendu par les Anglais, le Benjamin est de retour au Légué, d’où il repartira pour Terre-Neuve le 26 février 1784. 

« L’Évocation » de l’affaire du Baudouin devant le Conseil d’État, le 28 septembre 1783, provoqua la fureur de Besné qui sentait sa proie lui échapper. « Des libellés diffamatoires » (dixit Robinot) furent imprimés à Saint-Brieuc. Besné s’y pose en juriste pointilleux, défenseur des droits bretons. Il s’y élève contre les abus de « l’Évocation Royale ». Il y annonce une position politique à la veille et pendant la Révolution. 

Dans une « consultation destinée au public » (sic) imprimée le 10 décembre 1783, il traite Robinot de menteur, d’en avoir imposé au Roi : « Depuis longtemps, écrit-il, le sieur Robinot en impose en public sur l’affaire du général de la Motte », et d’ajouter avec quelques perfidies, se rapportant au procès pour rapt : « le sieur Robinot devrait être plus circonspect et renoncer au rôle de plaideur qui, jusqu’ici lui a si mal réussi »

Devant le Conseil du Roi, Besné demande le renvoi de Robinot devant l’Amirauté, sinon qu’il soit condamné à 10 000 livres pour les pauvres de Loudéac. De son côté, l’avocat de Robinot demande au général de La Motte, 20 000 livres de dommages et intérêts, 900 livres pour le transport de Rotterdam à Loudéac, et 663 livres pour « grosses avaries causées par l’autel aux cales du Baudouin ». Le montant des sommes demandées, d’une part et d’autre, montre que les deux parties exaspérées avaient quelque peu perdu la raison.

Le Conseil du Roi se prononça avec circonspection… et lenteur, d’autant plus que Robinot y était « suppliant » pour d’autres affaires. Le 8 mai 1787, il renvoie dos à dos Robinot et Besné. Robinot doit restituer les 19 caisses de l’autel. Le général doit payer le prix du transport prévu au contrat. Robinot est condamné aux dépens… Comme l’écrit M. Darsel, « l’opération se soldait, en fin de compte, par la perte sèche d’une grosse somme d’argent ». Cette perte s’ajoutait à bien d’autres… Deux mois plus tard, le 21 août 1787, Robinot dépose le bilan. 

Le 12 octobre 1788, le général en était réduit à s’inscrire pour 2 000 livres dans la faillite. Il charge un avocat à Saint-Malo, maître Jouanjean de le représenter, ou mieux, de récupérer, aux frais de Robinot, les « caisses contenant l’autel en bon état ». 

 

       Anne LE PECHON

Jean-Pierre LE GAL LA SALLE


(1) Trêve : paroisse annexe. Dans un bulletin paroissial datant de 1952, l’abbé L’Hôtelier précise que la commande initiale de l’autel fut faite par M. Cadoret en 1772. Celui-ci disparaît en juillet 1793 sans avoir vu l’autel installé! Des archives ne précisent l’existence de l’autel qu’en début 1797. Le temps d’attente fut long !! (note H.D.M.L.).

(2) - Le général, ou ensemble des membres du conseil de fabrique, est chargé de l’administration temporelle de la paroisse (note HMDL).

- Malo Henri Julien Besné, né à Dinan en 1744, futur accusateur public du département de 1790 à l’an VI. Dès 1780, il se déclare « ennemi de tous les abus contre lesquels il a écrit et publié ». Sa biographie reste à écrire. 

(3) Baudouin avait dû vendre sa charge en 1780. Il était alors interné au Château de Vincennes pour avoir publié un pamphlet contre le corps des maîtres de requêtes.