Articles / Portraits / Le Gualès de Mézaubran / Un notable briochin

Le notable 

Nous avons consacré un chapitre à l'armateur. Au fur et à mesure que sa notoriété grandit, le vicomte est sollicité de toutes parts pour entrer dans un conseil d'administration, une société... une commission... Ce qu'il accepte de bonne grâce, mais pas pour faire de la figuration, comme en témoignent nombre d'articles de presse. 

Fonctions diverses 

Nous nous contenterons d'énumérer quelques unes de ces fonctions relevées dans les Annuaires, édités chaque année par l'imprimeur Francisque Guyon. Ce sont les précurseurs de nos annuaires téléphoniques. M. Guyon en fait la publicité dans Le Publicateur des Côtes du Nord, où il énumère le contenu « le personnel des administrations préfectorale, religieuse, maritime, militaire, les communes avec le nom des maires, curés et instituteurs, la population par ordre alphabétique, les bureaux de poste (…) ». 

De 1897 à 1899, Alain Le Gualès figure sur la liste des armateurs de Plérin avec Rouxel, Benjamin, Thomas et de Kerjégu ; il fait aussi partie de la Société de Secours aux familles des marins naufragés de la Baie de Saint-Brieuc. Nous relevons encore que notre armateur siège à la Société de bienfaisance, société d'assurance des marins pêcheurs - La Prévoyante. Le but de cette société est de rembourser aux pêcheurs la « valeur des bateaux perdus à la suite d'évènements de mer, à condition qu'ils aient versé d'avance une prime d'assurance représentant 1 % de la valeur du bateau ». Durant ces années, il est aussi secrétaire, avec M. Pradal, de la Société hippique des Côtes-du-Nord. Dans l'Annuaire de 1922, il figure parmi les trois armateurs de la ville de Saint-Brieuc. De plus, il porte une nouvelle casquette, celle d'administrateur à la Banque de France. Par contre, en 1927, il reste le seul armateur et ne paraît plus dans ces diverses sociétés. Cependant il figure toujours en tant qu'administrateur de la banque. 

Administrateur d'une conserverie 

Sur la rive du Légué, côté Saint-Brieuc, existe une usine de conserves de viandes à destination de l'armée, près du bassin à flot. Il semble qu'elle périclite et, en 1897, il est fait appel à la compétence de Le Gualès pour redresser la situation. La Société bretonne de conserves est reconnue par l'autorité militaire pour la bonne qualité de sa production. Durant l'année 1901, une inspection diligentée par le ministre de la Guerre, donne entière satisfaction dans tous les domaines : propreté, excellence des procédés de fabrication, de la qualité du bétail. Pourtant, au mois de décembre, les actionnaires se prononcent, « après de vives discussions » sur la liquidation de la société. Malgré le redressement amorcé depuis que Le Gualès a accepté la responsabilité d'administrateur délégué, ce dont « il est vivement remercié », le déficit devient trop important. M. Prudhomme, banquier à Saint-Brieuc, et M. R. Rouxel sont nommés liquidateurs. « Cette usine faisait vivre un nombre important d'ouvriers et contribuait au maintien des cours élevés des bestiaux dans toute notre région » nous dit Le Moniteur des Côtes du Nord. Nous verrons des avis dans la presse, concernant cette vente, comme celle-ci en 1902. L'usine, vendue par adjudication, ne trouve preneur qu'en 1907. Madame Cotillard, habitant rue Saint-Michel à Saint-Brieuc, l'acquiert pour la somme de 56 500 francs.

Avis de vente par adjudication paru dans le Moniteur des Côtes du Nord, le samedi 7 juin 1902 

Forges et laminoirs 1

La société des Forges et Aciéries s’établit derrière la gare, boulevard Carnot, sur d’anciens terrains marécageux. L’entreprise, spécialisée dans la fabrication des aciers, avait été constituée en 1872 par Ernest Carré-Kerisouet (1832-1877), propriétaire des forges du Vau Blanc à Plémet et par Jean Allenou (1818-1880), maître des Forges du Pas, à Lanfains. Saint-Brieuc est choisie pour les facilités de transport : la ligne de chemin de fer et la proximité du port du Légué. La nouvelle usine est bénie, le 26 novembre 1874, par Mgr David, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier. Les premiers ouvriers avaient été détachés de l’usine du Vaublanc. Une expansion rapide à la fin du XIXe siècle: les forges fournissent des fers laminés, de l’acier fondu mais aussi des câbles, rails et fers à chevaux pour les chemins de fer, l’industrie d’armement et l’agriculture. L’entreprise connaît une expansion rapide et emploie 150 à 185 ouvriers à la fin du XIXe siècle, avant de connaître, en 1900, un long arrêt provoqué par la concurrence des usines du nord et des problèmes de gestion.

Trois associés vont fonder les Forges et Laminoirs .

Le 14 avril 1908, une nouvelle entreprise, la Société des Forges et Laminoirs de Bretagne est fondée dans les locaux des anciennes aciéries. Son créateur, Gustave Vaucouleurs, originaire du nord de la France, est directeur des Forges et Laminoirs de Breteuil (Eure). Il s’associe avec l’armateur briochin Alain Le Gualès de Mézaubran (1860-1933) et l’ingénieur Charles MeunierSurcouf (1869-1956), pour fonder les Forges et Laminoirs de Bretagne. Durant la Grande Guerre, l’entreprise travaille pour l’industrie militaire avant de revenir, au début des années 20, au laminage du fer et de l’acier et à la production de matériel agricole.

 1 Article du Télégramme - Saint-Brieuc ( 22/08/2016)

Quelques années plus tôt (1901), La Gualès fera une demande de concessions de mines de houilles, schistes bitumeux, anthracite, lignite ou pétrole dans les communes de Cléder-Cap-Sizun, Plogoff, Pont Croix, Audierne et Goulien. Sa demande sera rejetée.

Membre de la Chambre de Commerce 

Alain Le Gualès, représente les armateurs du Légué à la Chambre de commerce. Il siège dans la commission qui concerne le port : envasement, grue, éclairage, vétusté de certaines installations, la compagnie des chemins de fer qui va de la gare de Saint-Brieuc au Légué... Ses requêtes trouvent très souvent un écho favorable parmi les autres membres de la Chambre. Le président sollicite alors le préfet pour qu'il intervienne auprès du ministre des Travaux publics ou du Commerce, si nécessaire, ou auprès d'Harel de la Noë, l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. La séance du 6 février 1899 commence par le procès-verbal de la réunion précédente. (...) « Pour le Légué Saint-Brieuc, des explications ont été échangées avec M. Jourde, sous-chef de l'exploitation ( ) M. Huet et MM. Le Gualès de Mézaubran et Prud'homme intéressés à l'établissement d'un quai à bestiaux à la gare du Légué (...J. Il sera construit par la Cie (de chemin de fer), mais les frais s'élevant à 5 000 francs seront payés par Le Gualès de Mézaubran et la Sté de conserves ». Le 13 novembre 1907, la réunion concerne l'entretien insuffisant du chenal d'accès à l'écluse du Légué. La Chambre prie le président, Ernest Huet, de transmettre à l'ingénieur en chef, « en l'appuyant, une réclamation de M. Le Gualès de Mézaubran au sujet de l'envasement progressif du chenal qui rend difficile l'accès du bassin aux navires d'un certain tonnage ». En décembre, rien n'est encore fait ! La moindre amélioration sera toujours durement acquise. Nous en avons pour preuve la séance du 25 août 1909 : « nécessité d'une prompte intervention en vue du remplacement des portes du bassin à flot et de son envasement ». Le président est chargé « de tenter de nouvelles démarches encore plus pressantes (…) », ce qui laisse supposer qu'il y en a eu bien d'autres ! M. Thomas, armateur au Légué joint « ses réclamations à celles de M. Le Gualès de Mézaubran au sujet du délabrement des portes du bassin à flot (...) ». Harel de la Noë répond le 22 septembre : « le curage du chenal est prévu l'an prochain ». Pour en faciliter l'accès, la cale de carénage et les quais seront « dégagés et nettoyés un peu ». Quant aux portes, l'adjudication a lieu le 4 octobre, mais les travaux prennent beaucoup de retard… Le 14 décembre 1912, on peut lire dans la presse que, pendant la séance de la Chambre de commerce, le président a donné connaissance d'une lettre ouverte de Le Gualès. Il l'a rédigée en tant que président du Syndicat des armateurs et marins bretons. Il fait connaître l'indiscipline « pour ne pas dire l'anarchie » qui règne dans la marine marchande française, et le déplore vivement. La Chambre prend une délibération pour demander « qu'une loi juste et sévère rende aux commandants de nos navires de commerce l'autorité qu'ils n'ont plus à bord ». Le 21 décembre, les lecteurs apprennent qu'une délégation du syndicat, menée par l'armateur s'est rendue au ministère de la Marine. En prévision de la séance du 5 novembre 1913, il a envoyé, la veille, une longue lettre au président, le priant de la communiquer aux membres présents. Elle sera également reproduite dans la presse. La raison en est une circulaire du ministre du Travail concernant les enfants présents dans les chantiers, usines et ateliers. 

Quelques mois plus tôt, l'inspecteur du travail passant sur les quais constatait la présence de « jeunes gens âgés de moins de 18 ans qui travaillaient au déchargement du vapeur Saint Brieuc et traînaient des "cabrouets" 2 sur lesquels se trouvaient un sac de café ou une caisse de pommes de terre ». Il assiste à la même scène en octobre et dresse aussitôt trois procès-verbaux contre Le Gualès. Celui-ci comparaît devant le juge de paix, à Saint-Brieuc, et lui expose que « la loi était faite pour protéger l'enfant et non pour lui défendre de gagner sa vie avant 18 ans ». Il affirme qu'après l'avertissement de l'inspecteur, il les avait fait congédier. Cependant, il avait autorisé à les reprendre « sur leurs supplications et surtout celles de leurs pères et de leurs mères, trop heureux de voir leurs enfants gagner 2 à 3 francs par jour (...) ». Environ 200 femmes, en plus des 20 à 30 jeunes, travaillent sur les quais pour les maisons de commerce. Elles aussi sont concernées. « Si ces femmes et jeunes gens sont congédiés, c'est vouer à la misère un grand nombre de familles de Plérin et de Saint-Brieuc ». Dans sa plaidoirie, il suggère de demander au ministre du Travail une « application sensée et rationnelle de la loi sur le travail (...) ». Et le juge de paix, comprenant « le tort, la ruine que causerait son jugement condamnant Le Gualès» a décidé de remettre sa décision pour permettre de poser la question au ministre. À la fin de sa lettre il demande donc au président Huet de faire cette démarche. Le 8 décembre, le ministre du Travail répond, par l'intermédiaire du préfet, que le « comité consultatif des Arts et Manufactures a un projet de décret pour fixer la limite des charges pour les enfants et les femmes » 

2 Petite charrette à deux roues

De nombreux moyens techniques à disposition de l'activité portuaire sont visibles sur ce document, le cabrouet, la charrette, le train, et en arrière plan, la grue à charbon.

Ce décret verra effectivement le jour, les charges ne devront pas dépasser 60 kg pour des enfants âgés de moins de 18 ans. Ils pourront aussi utiliser des « cabrouets » au lieu de brouettes, jugées trop lourdes. Il existe une grue à vapeur au port du Légué pour le déchargement des bateaux. Le contrat qui lie la Chambre à une société, chargée de son exploitation, arrive à expiration. En séance du 31 octobre 1916, il est décidé de ne pas renouveler ce contrat. Alain Le Gualès « consent à exploiter la grue existante aux conditions actuelles3 jusqu'à la fin des hostilités ». Cependant, le 8 septembre 1917, il demande, au minimum, 25 % de relèvement du tarif d'exploitation. Le 20 octobre, le maire met à la disposition du préfet une salle « pour la réunion de la commission chargée d'examiner la gestion des taxes d'usages de la grue ». Le ministre du Commerce accepte, à la condition suivante : ce sera à lui de se procurer le charbon nécessaire au fonctionnement de la grue et il devra renoncer à tout recours vis-àvis de la Chambre de commerce. Par courrier, en date du 24 novembre 1919, Le Gualès informe la Chambre que « l'état de vétusté et les frais d'entretien, à sa charge, qui en découlent, font qu'il cessera l'exploitation au 1er décembre ». Nous apprenons, par la séance du 29 décembre, qu'une enquête d'utilité publique est « ouverte sur la mise en service au port du Légué par la Sté française Graigola-Marthyr», d'une grue. Le Gualès de Mézaubran, qui est membre titulaire, fait partie de la commission d'enquête du port en tant qu'armateur au Légué. En la séance du 22 janvier 1923, il figure dans le comité consultatif des ports du département pour tout ce qui concerne Le Légué. Nous ignorons à quel moment il quitte la Chambre de commerce de Saint-Brieuc. 

3 La grue en question est « une grue de déchargement privée avec obligation de service public (...) »

à suivre...

Henriette Herland