Marie Alphonse KOHLER 1 ( 1870 - 1942 )
Né à Guebwiller - Haut Rhin - Alsace, le 7 décembre 1870 de François Joseph Kohler et de Madeleine Félicité Amélie Herrgott, il aurait pu être allemand mais son père en 1872 a fait faire un acte d’option de nationalité2 pour que ses enfants gardent la nationalité française.
C’est donc à ce moment que la famille s’exile dans le Nord où le père François Joseph travaillera comme contremaître de peignage (traitement des fibres textiles), et résidera jusqu’à son décès en 1915 à Roubaix.
Marie-Alphonse, après avoir travaillé comme courtier dans l’entreprise Dumortier3 (huiles) à Roubaix, s’installe comme industriel à Tourcoing.
Il se marie en 1895 avec « Marie Leontine Algoet » une jeune femme belge avec qui il aura quatre enfants, deux garçons (Maurice Alphonse et Georges Auguste Joseph) et deux filles (Marguerite Léontine et Magdeleine Félicité Amélie).
Entreprise Dumortier à Roubaix
En 1914, il quitte le Nord pour le port du Légué à Saint-Brieuc, port qu’il connaît bien puisqu’il est propriétaire d’un brick goélette « La Léontine » 4 ex « Clio ». Il installe sa famille dans un « chalet » (manoir) le « Cottage » 5 à Cesson - Saint-Brieuc et monte une usine de phosphate, succursale de celle de Roubaix. Elle se situe sur le bassin à flot près de la voie ferrée.
Le "Cottage" sis rue de la Mardelle à Cesson
Au début de la guerre, il part rejoindre le dépôt du 1er colonial à Aixe-sur-Vienne ; d’où il ne tarde pas à être renvoyé dans ses foyers et rejoint donc les siens. Mais les autorités militaires le réclament, si la première fois il a rapidement bénéficié d'un sursis, cette deuxième fois, il contacte un ami M.Dard (briquetier à Cesson) qui le désigne pour une usine de la Haute-Vienne à Aixe sur Vienne.
Cependant M. Kohler reste à Saint-Brieuc pour s’occuper de son commerce d’engrais qui fonctionnait bien. Avec la complicité de son ami Dard, il explique que son entreprise travaille pour l’armée à la fabrication de munitions (grenades) ; il en fait la demande auprès du ministère et obtiendrait deux ouvriers dont son fils Maurice, Alphonse né en 1895 à Roubaix (décédé à Marseille en 1971).
Maurice Alphonse
C’est donc ici qu’apparaît le fils Maurice, Alphonse, et qui est incorporé au 48e Régiment d’Infanterie de Guingamp avant d’être affecté à la 31e compagnie stationnée à Plestin les Grèves ; il est donc dans le service armé. Grâce à M. Dard, il est muté à l’usine Cusson de Châteauroux dans le service auxiliaire et en 1915, M. Kolher père obtient que son fils soit muté dans son usine de munitions pour l’y aider. Mais rapidement et suite à une inspection du contrôleur de la main d’œuvre, Maurice doit rejoindre le 48e R. I.. En effet, l’usine ne produirait pas de grenades contrairement à ce qui était prévu lors de la demande au Ministère.
Le père et le fils refusent. La gendarmerie se rend à Cesson pour s’informer de ce qu’il est advenu des deux hommes ; sans réponse, le 9 janvier 1916 le parquet ouvre une information. Les deux hommes sont arrêtés quelques jours plus tard à Paris malgré que le père ait pris un nom d’emprunt « Ravon ». Ils sont emprisonnés le temps du procès pour désertion.
Le conseil de guerre, présidé par le commandant Maquet, commissaire du gouvernement retient les chefs d’accusation suivants :
1 – Maurice Kohler, le fils, est accusé de refus d’obéissance en état de guerre pour n'avoir pas obtempéré en novembre et décembre 1915 aux ordres réitérés de M. le Lieutenant Morin.
2 – Marie Kohler, le père, est accusé de complicité.
3 – Maurice est accusé de désertion à l’intérieur en temps de guerre pour n'avoir pas rejoint le 48e régiment.
4 – Marie est accusé de provocation à cette désertion.
5 – Maurice est accusé d’avoir contrevenu aux prescriptions de la loi Dalbiez de 1915 en donnant de fausses informations sur sa situation à l’autorité militaire.
6 – Marie n’ayant pas rejoint l’usine qui lui a été désignée est accusé d’abandon de poste.
7 – M. Dard est accusé de port illégal d’uniforme d’officier d’administration, de faux en écriture en classant Maurice Kohler comme auxiliaire, d’usage de faux et d’avoir abusé de son autorité en mettant en sursis Marie Kohler le père.
Lors du jugement, il fait état :
* par Me Malapert, défenseur, que M. Kohler n’était pas anti patriotique puisque dès 1914, alors qu’il était encore dans le Nord, il avait mis à la disposition des autorités sa voiture, mais un fraudeur, un bluffeur…
* par Me Leboucq que le fils n’a jamais reçu d’ordre formel de rejoindre son régiment.
* par le Président : que le fils est supérieur à son père, il apparaît comme le « deus Ex Machina »… Il avait d’ailleurs écrit une lettre à sa mère lors de son départ vers Paris « Quant au présent, n'aie crainte. Ils ne me boufferont pas, je suis trop indigeste. En conséquence, ne t'en fais pas, bouffe bien, bois bien, dors bien et ne braie pas ».
Si les échanges sont parfois vifs pendant le procès entre l’accusation et la défense ; il semble que l’accusation ait eu du mal à fournir les preuves nécessaires, en effet le jugement laisse sceptique car les peines sont faibles au vu des accusations.
Le jugement :
M. Dard est condamné à 2 mois de prison avec sursis
Marie-Alphonse Kohler, le père, a été condamné à 1 an de prison sans sursis
Maurice Kolher, le fils, a été condamné à 2 ans de prison avec sursis.
Les engrais :
Marie Alphonse Kohler n’en n’avait pas fini avec la justice puisque quelques années plus tard, en 1920, il porte plainte contre M. Nivet et M. Martin pour propos calomnieux en rapport avec ses engrais ; il sera débouté et les deux opposants sont amnistiés.
En mars 1922, il est condamné pour fraude commerciale sur les engrais tant au niveau de la nature, que de la composition et du dosage par le Tribunal de Grande Instance de Saint-Brieuc qui le condamne à 15 jours de prison et 1 000 fr d’amende. En appel en juin, la Chambre des Cours d’Appel confirme ce jugement.
Quelques mois plus tard le récidiviste est condamné à 1 mois de prison et 1 000 francs d’amende pour une autre fraude sur ses engrais.
Un camion de l'entreprise avec les Kohler, Alphonse et Maurice.
Jean-Luc HUET
Remerciements : à M. Claude Kohler pour son aide
Notes :
1 - Marie Alphonse à l’État Civil mais se faisait appeler Alphonse,
2 - Le traité de Francfort du 10 mai 1871 signé avec l’Allemagne prenait en compte le problème de la nationalité des Alsaciens-Lorrains, en prévoyant la faculté pour « les sujets français, originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entend[aient] conserver la nationalité française » « de transporter leur domicile en France et de s'y fixer », « moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente », possible jusqu'au 1er octobre 1872. L’option est donc un acte administratif permettant aux Alsaciens-Lorrains de conserver la nationalité française de naissance ou de prendre la nationalité allemande.
3 - Il y travaillait en 1895 à la naissance de son fils Maurice.
4 – Un autre article sera mis en ligne sur l’histoire de la « Léontine »,
5 - Cette demeure existe toujours aujourd’hui, elle est situé au 43 rue de la Mardelle et se nomme « Le Cèdre ».
Sources :
Ouest-Éclair
Bulletin des réfugiés du département du Nord
Le petit parisien
Généanet
Pierre Perrin