Guillaume Guégo ( 1893 - 1960 )
Quartier maître à l’entrée en guerre
Second maître en 1918
Guillaume Guégo n’a que six ans quand son père Guillaume disparaît le 29 mai 1899. Trop jeune pour s’imprégner des souvenirs de celui qui aura totalisé dix-huit campagnes à Terre-Neuve et deux à Islande, Guillaume n’en va pas moins perpétuer une longue tradition familiale tournée vers les métiers de la mer. Au mois de mai 1908, alors qu’il vient tout juste d’avoir quinze ans, il part au Havre avec son frère Louis, de dix-neuf ans son aîné, dans l’espoir de trouver un embarquement. Louis, dont la spécialité de maître voilier l’a amené à naviguer par deux fois, en 1901 et 1904, sur le quatre mâts Émilie Siegfried, réussit à inscrire son frère comme mousse sur ce bateau. La carrière au long cours de Guillaume débute ainsi par deux voyages successifs qui le mèneront dans le Pacifique, via le mythique passage du cap Horn.
Émilie Siegfried est sous le commandement de Charles Pollès de Tréguier. C’est un navire qu’il connaît bien puisqu’il y a été élève officier quelques années plus tôt. Pour l’occasion, sa femme Eugénie est notée sur le rôle d’équipage comme occupant la fonction de femme de chambre.
Le bateau appareille avec un chargement de blé à destination de Sydney et doit charger ensuite du nickel à Thio en Nouvelle Calédonie pour le voyage retour. Aucun incident notable n’est signalé pour ce premier voyage.
Une partie de l’équipage de l’Émilie Siegfried pose sous la dunette devant l’objectif de T.H. Hilton, photographe de San-Francisco. Sur ce cliché, pris à l’été de 1909, Guillaume Guégo est debout à droite. Il fait partie des plus jeunes du bord. Parmi ces marins, quatre vont disparaître au cours d’une tempête sur la route du retour, dont le porteur de la maquette.
Pour son deuxième embarquement, Guillaume Guégo devient novice sur un rôle d’équipage qui comprend 27 hommes. Il embarque le 29 janvier 1909. Après une première escale à Glasgow en février, l’Émilie Siegfried passe l’équateur le 05 mars et met neuf jours au mois d’avril pour franchir le Cap Horn. Le voyage aller se termine début juillet à San Francisco.
Cette escale 1, très longue, va être l’occasion pour certains de déserter le bord, pratique assez courante à l’époque. Les matelots Roussel et Picantin quittent le navire en juillet. Normalement débarqué le 09 juillet, le maître d’hôtel James Daley est remplacé par Albert Trabach qui déserte à l’escale suivante, Portland (Orégon), avec le matelot Bardican. Ces défections représentent une vraie préoccupation pour le commandant Pollès qui doit maintenir un effectif de marins compétents, capables d’assurer la bonne marche du navire. La route par le cap Horn n’est pas de tout repos et les manœuvres sur ces bateaux peuvent s’avérer très dangereuses. Le voyage retour va en apporter la preuve.
Le 20 janvier 1910, alors qu’il navigue dans la tempête au beau milieu de l’océan Atlantique à 300 milles dans le N.O. de l’île Florès (Açores) par 42° Nord et 37° Ouest, l’Émilie Siegfried va perdre quatre marins au cours d’une manœuvre en pleine nuit. Les matelots Hippolyte Roudot, Pierre Collet, Albert Pierre et Franck Edwards (celui-ci est engagé à la dernière escale de Portland pour remplacer un déserteur) vont être emportés par une lame sur le gaillard d’avant.
Voici les témoignages du bord :
« Je me rendais pour serrer le grand-foc quand une lame a déferlé subitement et m’a envoyé rouler depuis l’avant du gaillard jusqu’au mât de misaine. Quand je me suis relevé, je n’ai plus revu Pierre Albert qui était occupé à serrer le grand-foc en compagnie de Roudot et Collet. J’ai aussitôt crié un « homme à la mer » ayant entendu Roudot crier en disparaissant. » déclare Jean Bivic matelot.
Dorade Albert, matelot, confirme avoir vu Roudot, Collet , et Pierre aller serrer le grand-foc et ne plus les avoir revus.
Le second capitaine fait les recherches à bord et déclare n’avoir pas retrouvé les trois marins.
En ce qui concerne Franck Edwards, le Capitaine Charles Pollès déclare : « Au moment du changement de quart de quatre heures du matin, après avoir appelé et cherché vainement le nommé Franck Edwards dans toutes les parties du navire, nous avons constaté sa disparition du bord. Nous supposons que, se trouvant alors sur le gaillard, il a été enlevé par une lame qui a déferlé subitement, emportant d’ailleurs trois hommes occupés à serrer le grand-foc ».
Dans le questionnaire du procès verbal, les circonstances de l’accident sont décrites par le Capitaine Pollès:
-Y avait-il des navires en vue ? À quelle distance ?
« Il n’y avait pas de navire en vue »
-Étiez-vous en vue des côtes ? À quelle distance ?
« Je me trouvais par L=42°N et G=37°O »
-Quel était l’état de la mer ?
« La mer était devenue subitement énorme »
-Quelle était la vitesse du navire ?
« Le navire filait environ 5 nœuds »
-Pouvez vous dire quelle était la direction du courant ?
« La direction du courant devait être Est ».
-Quels moyens ont été tentés pour sauver l’individu disparu ?
« Gouverné au plus près serré et mis en cape le plus vite possible, tout le monde sur le pont, sitôt que j’ai su qu’un homme était tombé à la mer, afin de faire le moins de route possible, espérant le retrouver au jour. Après délibération avec les officiers et l’équipage, nous avons tous jugé qu’il était impossible de se servir des embarcations de sauvetage vu l’état de la mer. Le temps était couvert et pluvieux. Lancé deux bouées de sauvetage ».
-Pensez vous qu’il ait pu échapper à la mort ?
« Je ne pense qu’il ait pu échapper à la mort ».
-Se sont-ils fait des blessures en tombant à la mer ?
« Je ne puis affirmer qu’il s’est fait des blessures en tombant à la mer »
-Des circonstances physiques de santé ou de constitution pouvaient-elles augmenter ou diminuer les chances de sa mort ?
« Le matelot Roudot Hippolyte était très fort et très énergique.
Le matelot léger Collet Pierre était très fort et très énergique.
Le novice Pierre Albert était très fort et très énergique.
Le matelot léger Edwards Franck était très fort ».
Ces évènements resteront gravés dans la mémoire de Guillaume Guégo.
Le bateau accoste le 01 février à Dublin.
Après un voyage d’un an, Guillaume rentre chez lui, au lieu dit le Carrain à la Ville Ains. Il frappe à la porte mais sa mère ne lui ouvre pas tout de suite, elle ne reconnait pas la voix de celui qui est passé sans transition de l’adolescence à l’âge adulte.
À l’issue de ce voyage, Guillaume décide de s’engager dans la marine nationale.
L’Émilie Siegfried sous voiles. Dessin de Wilton
Caractéristiques : L : 95m ; l : 13m80 ; Creux : 7m50 ; Port en lourd : 3850 t
L’Émilie Siegfried
Le quatre-mâts barque en acier Émilie Siegfried est lancé au Havre le 29 novembre 1898 pour le compte de l’armement Brown et Corblet qui le garde jusqu’en 1910. Acheté par la Société des Voiliers de Nouméa (Paris), puis par la Cie Navale de l'Océanie (Paris) qui le renomme Sainte Marguerite, le bateau est finalement propriété de l’armement Bordes en 1912 qui lui donne son dernier nom, Blanche. Ce voilier avait une réputation de bon marcheur, atteignant facilement les quatorze nœuds. Il fera une traversée Glasgow - Thio en 74 jours et un retour vers le Havre en 95 jours.
L’histoire de l’Émilie Siegfried est marquée par deux évènements importants. Au cours de son premier voyage, une mutinerie éclate à bord à l’initiative du lieutenant. Seul le second capitaine et quelques marins soutiennent le commandant Jasseau. Accusés d’avoir commis des actes de sabotage, 14 hommes d’équipages et le lieutenant sont arrêtés à leur arrivée en Nouvelle Calédonie.
Le 19 septembre 1917, le bateau croise la route du sous-marin allemand U151 à 300 miles de la Rochelle. Après un combat de presque trois heures, il est envoyé par le fond. Le capitaine Louis Baillieux et 17 hommes d’équipage périssent.
Le navire quitta La Pallice pour l’Australie le 12 Septembre 1917.
Voici le récit du second capitaine Ollivier.
« Quitté la rade à la remorque de l’« Entreprise » qui nous laissa à l’entrée du pertuis d’Antioche, escorté par une canonnière, deux torpilleurs et un patrouilleur. Nous faisions partie d’un convoi de trois voiliers, le second étant le 4-mâts HELENE, capitaine Le Layec, et le troisième l’ ASIE, capitaine Berthoud, qui faisaient route vers le Chili.
Le 19, à 300 milles des côtes, sommes attaqués par un sous-marin. Après un combat qui dura deux heures trente, au cours duquel nous tirâmes cent quatre vingt coups de canon, le sous-marin cessa le feu et nous contourna par bâbord. Nous nous rendîmes compte qu’il se plaçait sur notre avant, à grande distance, pour éviter le feu de nos pièces. Nous approchions du plus près tribord amures, et l’une après l’autre, nos pièces, masquées, ne pouvaient plus atteindre l’ennemi. Le capitaine décida alors de cesser le feu.
Il fit appeler tout l’équipage sur la dunette où il était resté pendant tout le combat et prit l’avis de tous. À l’unanimité il fut décidé d’amener le pavillon pour éviter des pertes de vies inutiles et certaines si nous continuions à combattre un ennemi que nous ne pouvions atteindre. Nos pièces ne protégeaient pas l’avant du navire.
Amené le pavillon à mi-drisse et mis à l’eau deux baleinières en les laissant le long du bord amarrées avec une longue bosse, armées chacune par quatre hommes, prêtes à recevoir l’équipage lorsque l’ordre d’évacuation serait donné. Envoyé un message T.S.F. pour prévenir le sous-marin, mais celui-ci plonge et disparaît.
L’équipage se trouvait au complet sur la dunette avec le capitaine. Sur ordre du capitaine, j’ai quitté mon poste un instant pour aller détruire le journal de bord et me trouvais dans la machine lorsque j’entendis des cris :« une torpille! une torpille !».
À peine avais-je mis les pieds hors du compartiment machine qu’une explosion formidable se produisit. La torpille avait coupé le navire en deux, entre le grand mât et le mât d’artimon. Je me précipitai sur le gaillard et me jetai à l’eau, atteignant la baleinière au moment où le navire disparaissait dans les flots. La baleinière de bâbord avait disparu sous les débris du gréement avec tous les hommes qui tentaient d’y prendre place. Je m’occupai à recueillir ceux qui surnageaient et se débattaient parmi les débris flottants. Je pus ainsi en sauver dix, ce qui faisait 15 rescapés en me comptant moi-même et les quatre hommes qui armaient l’embarcation. Malgré toutes mes recherches, je ne vis aucun cadavre de nos malheureux compagnons, déchiquetés et engloutis au moment de l’explosion. Il était environ 15h00. Nous avions trois blessés. Le sous-marin fit surface, mais ne s’attarda pas car le trois-mâts nantais MARTHE MARGUERITE était en vue. Il fit route sur lui pour le couler. (Nota : il s’agissait d’un petit-trois-mâts des Antilles, de 588 tx, appartenant à l’armement Fleuriot). Nous fîmes route vers les côtes de France. Le 20 apparut un thonier, mais qui s’écarta aussitôt, craignant un piège. Le 23, sans vivres, épuisés par quatre jours de nage, nous rencontrâmes la canonnière AUDACIEUSE qui nous recueillit et nous donna tous les soins que nécessitait notre état. Le 24, elle nous débarquait à La Pallice, où je présentai le jour-même tous les hommes aux autorités maritimes.
Je dois déclarer la belle conduite de notre capitaine, Monsieur Baillieux, qui dès le début du combat se porta sur la chambre de veille, à l’endroit le plus exposé, mais aussi le mieux placé pour diriger la manœuvre et régler le tir. Il a donné ses ordres méthodiquement et avec sang-froid jusqu’au dernier moment, où il fut jugé nécessaire de faire cesser le feu. »
Voici la liste des marins du BLANCHE disparus au cours du naufrage
BAILLIEUX Louis - Capitaine - 09/04/1877 - Saint Léonard
LE NOCH Armand - Lieutenant - 04/10/1876 - Paimpol
RIBOULET Emile - Maître - 18/05/1878 - Saint Briac
CHARRIER Augustin - Matelot - 31/12/1878 - Ile d’Yeu
THINEVEZ Michel - Matelot - 17/11/1898 - Dunkerque
KERVILES Jean - Matelot - 04/01/1880 - Kervillac
FRANCOIS Jules - Matelot - 02/02/1879 - Pléneuf
GUEGUAN Joseph - Matelot - 16/10/1872 - Belle Ile
CASTEL Jean - Matelot - 06/12/1871 - Pabu
OLLIVIER Guillaume - Matelot - 28/06/1877 - Penvénan
GALLAIS Désiré - Matelot léger - 11/03/1899 - Cardroc
ROUBICHON Jean - Novice - 11/03/1900 - Abbeville
FICHOU Marcel - Mousse - 08/08/1901 - Plouha
LE PORT Pierre - Quartier Maitre Canonnier -16/10/1886 - Arcachon
BARREAU Pierre - Canonnier - 18/05/1885 - Odanges
MOREAU Albert - Canonnier - 31/08/1895 - Sainte Radegonde
ALEES Ferdinand - Canonnier - Lorient
GIRERD Armand - Télégraphiste - 01/04/1894 - Rochefort
Blanche ex Émilie Siegfried navigue sous pavillon de l’armement Bordes à partir de 1912 . Les bateaux de la compagnie sont reconnaissables aux faux sabords peints sur la coque.
Nouveaux horizons, nouvelle vie pour Guillaume Guégo, il endosse l’uniforme de la « Royale » et fait ses classes sur le Tourville, navire de transport transformé en école de canonnage. Il fut présent, lui, le cap-hornier, sur le premier navire de guerre à passer le canal de Panama. Il participe à la première guerre mondiale à bord du Pothuau qui intervient en Méditerranée contre l’empire ottoman, alors allié de l’Allemagne. Au mois d’août 1916, le bateau se trouve devant Mersine en Turquie et bombarde durement la ville. En 1919, Guillaume Guégo vivra de l’intérieur les mutineries de la mer Noire à bord du croiseur cuirassé Waldeck Rousseau, mais sans en épouser la cause.
Il termine cette carrière sous les drapeaux en 1925 et revient au pays pour démarrer une nouvelle activité, cette fois-ci à la pêche côtière. Il fait construire un ketch de 11 mètres en association avec les frères Eouzan, bateau qu’ils garderont jusqu’en 1934. Passé ce temps à la pêche, il assistera sa sœur Marie, mareyeuse sous les halles de Saint Brieuc.
Certes, l’aventure « cap-hornière » de Guillaume Guégo fut brève, mais elle n’en fut pas moins intense comme le démontrent les témoignages présentés plus haut. Ensuite, l’existence de Guillaume, avec ses heurs et ses malheurs, fut en tout point comparable à celle de beaucoup de ses contemporains.
Construit à Carantec en 1926, République II, SB413, appartient en copropriété à Guillaume Guégo et aux frères Éouzan, François et Pierre. Après quelques péripéties relatives à la gestion du bateau, celui-ci sera vendu et partira à Trébeurden en 1934 pour le compte de Philippe Félix.
On le voit ici bout dehors rentré, trinquette soigneusement ferlée et le grand chalut à perche paré sur son bâbord.
André Guégo (fils de Guillaume) - Philippe Saudreau
Sources:
https://forum.pages14-18.com/
https://www.caphorniersfrancais.fr/
Cap-horniers français, tome 1, Mémoire de marins des voiliers de l’armement Bordes. Brigitte et Yvonnick Le Coat. Édition Le Chasse Marée.
1 au cours de cette longue escale, Guillaume Guégo eut l’occasion de se retrouver avec ses collègues dans les studios de Douglas Fairbanks. Les opérateurs eurent alors la mauvaise idée de lancer à la volée quelques dizaines de cigarettes que les marins s’empressèrent vivement de ramasser. Mais une bagarre générale faillit éclater quand l’équipage comprit que la scène était filmée.