Articles / Patrimoine bâti / L'école d'hydrographie
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L’ÉCOLE D'HYDROGRAPHIE DE SAINT-BRIEUC
Face au développement de la navigation maritime et dans la nécessité d’accompagner ce développement et d’en assurer la sécurité, l’État a décidé dès le 17e siècle avec Richelieu de mettre en place un enseignement de la navigation maritime. Mais c’est avec Colbert, et à partir de sa grande ordonnance de la marine d’août 1681 « Voulons que dans les Villes Maritimes les plus considérables de nôtre Royaume, il y ait des Professeurs d’Hydrographie, pour enseigner publiquement la navigation » que la formation maritime commence à se développer véritablement. Les écoles d’hydrographie ainsi créées formaient de façon théorique les marins souhaitant commander des bâtiments naviguant au commerce (pendant longtemps une expérience à la mer préalable de plusieurs années a été requise).
Création de l’école de Saint-Brieuc
L’intérêt des autorités locales pour la création d’une école d’hydrographie dans la ville de Saint-Brieuc remonte au moins à l’année 1786 avec le mémoire adressé le 7 juin par le maire de Saint-Brieuc au Maréchal de Castries, Ministre de la Marine. Dans sa réponse du 10 août 1781, le Commerce maritime de Versailles informe la Communauté municipale de la venue prochaine à Saint-Brieuc d’examinateurs hydrographes chargés de l’examen des jeunes navigateurs ; il est précisé qu’ils seront également missionnés pour regarder conjointement avec la ville ce projet de création d’une école. Il est indiqué aussi que la Ville de Saint-Brieuc devra y contribuer financièrement compte tenu des avantages dans cette réalisation. Par la suite tout au long de l’existence de l’école, l’administration de la Marine reviendra sur cette dernière position.
Sous la révolution, la loi relative aux Écoles de Marine du 10 août 1791 est venue acter la création de 34 écoles d’hydrographie au plan national.
À la suite de cette loi du 10 août 1791, M. Thévenard, ministre de la Marine, intervient sur ce point par lettre auprès du Conseil municipal de Saint-Brieuc. Les différentes autorités locales (Conseil Municipal, Conseil Général, Directoire du District de Saint-Brieuc) s’activent. Un local est trouvé : la salle d’instruction de la nouvelle école sera installée au collège du Paradis (à l’emplacement du Musée actuel), dans la salle du 1er étage sur la chapelle. Ce local sera muni de tables. Enfin, Jacques Curo, le premier professeur, est recruté par un concours du 23 décembre 1791.
Localisation
Si l’école semble avoir ensuite fonctionné tout le 19e siècle, nous n’avons retrouvé sur les décennies suivantes que peu de trace de sa localisation après son installation initiale au collège (à noter que dès 1792, le collège s’installe à l’emplacement du collège Anatole Le Braz actuel). Il apparait cependant que l’école a séjourné rue de la Gare, s’est installée provisoirement rue Cordière (rue reliant la place du 74e R.I. au boulevard Charner, à proximité du rond-point de la Croix Mathias) et demeurait en 1894 au 5, Place d’Orléans où elle est restée quelques années (la place d’Orléans est maintenant la place du 74e R.I., devant l’emplacement de l’ancienne clinique Jeanne d’Arc).
En 1902, l’école se trouve au 11, rue des Jardins (toujours à Saint-Brieuc). La rue des Jardins est l’actuelle rue Alsace Lorraine.
En 1906, à nouveau rue des Jardins, mais au numéro 45 (ce numéro est actuellement occupé par l’arrière du cinéma le Club 6).
En 1908, la Chambre de Commerce et d’Industrie des Côtes-du-Nord émet le vœu, adressé au ministre, que soit construit pour l’école d’hydrographie de Saint-Brieuc, un local plus hygiénique et mieux adapté aux besoins de l’enseignement maritime que celui qu’elle occupait alors (elle émet également le vœu de la création d’un cours préparatoire aux examens de mécanicien de la marine marchande).
En 1910, l’insuffisance des locaux de la rue des Jardins est actée selon un rapport de M. Armand Waron au Conseil municipal le 19 août : « Ces locaux sont tout à fait défectueux tant au point de vue de l’hygiène (cube d’air très insuffisant pour le nombre d’élèves) que des exigences nouvelles de l’enseignement maritime (nécessité de posséder une terrasse pour les observations astronomiques de jour et de nuit ». Un plan est formé : la ville fera construire de nouveaux locaux avec rez-de-chaussée, étage et terrasse ; elle contractera un emprunt sur 30 ans au Crédit foncier pour le financer et demandera au Ministère le paiement d’un loyer équivalent au montant des remboursements. Mais le Ministère discuta cette proposition et cela prit un peu de temps. Au final, si le plan fut globalement retenu, le montant des annuités demandé au Ministère devra être revu à la baisse. Sur proposition à nouveau de M. Waron, le Conseil Municipal décide le 19 août 1911 d’engager alors un emprunt de 30 000 francs remboursable sur 30 ans par annuités de 1 400 francs.
Il peut être relevé qu’élu en tant que conseiller municipal en 1909, A. Waron deviendra maire en 1919 et sera aussi député des Côtes-du-Nord de 1924 à 1928 ; il bénéficie aujourd’hui toujours d’une certaine notoriété pour l’importante collection de cartes postales qu’il a réalisées.
En 1911, l’école se situe de façon provisoire au 9, rue de Villiers-de-l’Isle-Adam (quartier Saint-Michel).
En novembre 1912, les travaux de la nouvelle école débutent rue Abbé Josselin, près de la place Saint-Michel. Ils doivent être achevés pour le 1er juin 1913 (les délais seront respectés). L’architecte est Victor Le Guen, connu par ailleurs pour son action politique : conseiller municipal en 1912 à Saint-Brieuc, conseiller général en 1919 et député des Côtes-du-Nord de 1921 à 1932. Noël Travadel est retenu en tant qu’entrepreneur général.
Diplômes et étudiants des écoles d’hydrographie
L’ordonnance de Colbert de 1681 indique : « Aucun ne pourra cy-après être reçu Capitaine, Maitre ou Patron de Navire, qu’il n’ait navigué pendant cinq ans, et n’ait été examiné publiquement sur le fait de la Navigation, et trouvé capable par deux anciens Maitres en présence des Officiers de l’Admirauté, et du Professeur d’Hydrographie, s’il y en a dans le lieu ». Les trois appellations désignent le commandant d’un navire.
En 1817, deux nouveaux brevets apparaissent :
Capitaine au long cours
Maître au cabotage
Le titre de capitaine concerne plus spécifiquement la navigation au long cours et celui de Maitre étant réservé à la navigation au cabotage.
En 1893/1896 :
Disparition provisoire du brevet de capitaine au long cours au profit des brevets suivants :
capitaine de 1re classe de la Marine Marchande
capitaine de 2e classe de la Marine Marchande
Ils disparaîtront en 1896 avec retour au brevet unique de capitaine au long cours.
En 1893 :
Création du Diplôme d'Élève de la Marine Marchande se préparant dans les Écoles d'Hydrographie. Alors qu'autrefois les candidats capitaine au long cours ne pouvaient entrer qu'à 25 ans à l'École pour préparer leurs épreuves théoriques et pratiques, il est estimé plus profitable de faire passer plus jeune la partie théorique de l'examen de capitaine au long cours en la sanctionnant par un diplôme.
Autre avantage, la durée de formation scolaire de capitaine au long cours est ainsi portée à deux ans.
La presse de la deuxième partie du 19e siècle et du début du 20e siècle informe régulièrement ses lecteurs de l’admission ou des résultats à l’école d’hydrographie.
Parmi les différents articles ou entrefilets, il peut être relevé :
En 1890, l’avis relatif à l’ouverture des cours pour l’année 1890-91 rappelle les conditions pour passer les examens : être âgé de 24 ans accomplis au 1er juillet de l’année de l’examen et justifier de 60 mois de navigation effective accomplis depuis l’âge de 16 ans sur des bâtiments français dont 30 mois au moins de navigation au long cours pour les candidats au brevet de capitaine au long cours, les 30 autres mois pouvant être effectués au long cours ou au cabotage.
Carte de la rade de Brest et la presqu'île de Crozon - 1779
En 1892, il est indiqué que les cours de cabotage ouvriront le 12 septembre à l’école d’hydrographie et que les candidats désireux de passer l’examen de pêche en Islande seront mis en mesure de satisfaire aux conditions du programme. Pour se présenter il faut 5 voyages en Islande dont 2 comme officier. Les matières exigées sont :
Gréement—Manœuvre—Sextant—Latitude—Variation—Problèmes de point estimé—Calcul de marées.
Les candidats étaient invités à s’inscrire à Saint-Brieuc au bureau de la Marine avant le 15 novembre, l’examen devant avoir lieu vers le 1er décembre.
En 1893, les cours débutent le 2 octobre et il est précisé que le succès aux examens de théorie pour les grades de capitaines de la marine marchande confère le droit de n’accomplir qu’un an de service militaire à bord d’un bâtiment dans une section spéciale (à l’époque, la durée de droit commun du service militaire obligatoire était d’un à trois ans, selon le résultat d’un tirage au sort).
En 1904, il est signalé que le Docteur du Bois Saint-Sévrin donne quelques cours sur les soins à donner à bord aux malades et blessés. Cours ouverts, au-delà des élèves de l’école d’hydrographie, aux capitaines, patrons et seconds des navires en armement pour Terre-Neuve ou Islande.
En 1905, Maître Lemarchand, bâtonnier de l’ordre des avocats, donne des conférences sur le droit maritime et la police de la navigation. Des cours d’anglais sont également organisés. (L’ensemble de ces cours seront également donnés les années suivantes).
En 1908, un avis précise que les jeunes gens désireux de suivre les cours préparatoires à l’examen théorique de capitaine au long cours sont invités à revoir sérieusement avant leur arrivée, l’arithmétique pratique, le calcul algébrique et les deux premiers livres de géométrie ; ils feront bien en outre, de faire des exercices de style et d’orthographe, la composition française étant éliminatoire à l’écrit, pour toute note inférieure à 11 sur 20.
En 1910, compte tenu des nouveaux programmes et de l’examen d’admission aux écoles d’hydrographie qui supposent de très sérieuses connaissances en mathématiques, il est signalé l’ouverture en janvier à l’école Baratoux d’un cours spécial préparatoire à l’école d’hydrographie. Les cours, gratuits, sont assurés par un professeur de l’école normale et deux professeurs de l’école Baratoux.
Le tableau ci-dessous permet d’apprécier, de façon globale, le développement de l’enseignement à l’école d’hydrographie.
Enfin le détail des résultats, donné ici pour l’année 1909, montre la multiplicité des examens préparés :
Carte de la Manche - Service Hydrographique de la Marine - 1913 - AD14
Des menaces, une fermeture temporaire et la fermeture définitive de l’école d’hydrographie de Saint-Brieuc en 1932.
En 1886, une première menace sur l’école
Par mesure d’économie mais peut-être aussi en réponse à des interrogations sur l’intérêt de l’État à financer des écoles formant des marins pour le Commerce, l’amiral Théophile Aube, Ministre de la Marine, annonce en 1886 la suppression, pour la fin de l’année scolaire (1887), de 6 écoles d’Hydrographie, dont en Bretagne : Paimpol, Saint-Brieuc et Vannes. Le conseil municipal de Saint-Brieuc propose alors de prendre en charge le coût de la location des locaux et d’assurer chauffage et entretien. Cette initiative est saluée par le Ministre par un courrier rendu public en mars 1887, mais celui-ci aimerait bien que la ville s’occupe aussi de la rémunération de l’enseignant et il préconise l’emploi d’un professeur retraité afin d’en réduire le coût. Il n’était pas cependant dans les intentions du conseil municipal de municipaliser entièrement l’école. Les discussions ultérieures semblent avoir abouti, l’école poursuivant ses activités avec un professeur appointé par l’État.
Il peut être relevé que cette prise en charge des frais des locaux de l’école n’avait sans doute été que peu appréciée par le conseil municipal. En effet, en 1894, le maire, Charles Baratoux, proposait au conseil municipal de supprimer le crédit de 590 Francs qui était alloué pour le loyer et les frais d’école, les autres villes ne donnant rien et les frais étant alors laissés à la charge de l’État. Cette proposition a été adoptée.
Deux fermetures temporaires
Au début de la guerre 1914-1918, l’école est fermée par suite de la mobilisation de son professeur.
En mars 1919, Ferdinand Buisson, commissaire aux Transports maritimes et à la Marine marchande, décide de la fermeture de l’école de Saint-Brieuc.
Alain Le Gualès de Mézaubran, conseiller municipal mais aussi le plus important armateur maritime de Saint-Brieuc, saisit d’un vœu ses collègues du conseil municipal concernant le rétablissement de l’école d’hydrographie. Ce vœu sera adopté :
« Pourquoi avons-nous eu tant de capitaines de Saint-Brieuc et des environs à commander nos plus beaux paquebots ? À cause, en partie, de notre école d’hydrographie. Les familles des jeunes gens de Saint-Brieuc et des environs voyant cette école à leur porte, la fréquentation de celle-ci sans frais, avec les gros avantages qu’on peut retirer en entrant dans la carrière maritime, décident ceux-ci à se faire marins. Si donc la ville de Saint-Brieuc a de sérieux avantages à demander le maintien, et même le développement de son école d’hydrographie, le pays, la France entière y a également un gros intérêt. Je suis convaincu que ce n’est pas le caprice de M. Buisson qui prévaudra. »
L’école pourra être réouverte sur décision du Ministère pour la rentrée 1919-1920, après le départ de M. Buisson.
Il peut être noté qu’en 1920, l’appellation « école d’hydrographie » disparait. Par un décret du 28 novembre 1920, des écoles nationales de navigation maritime (ENNM) sont créées dans 12 ports français dont Saint-Brieuc.
Fermeture définitive de l’école
En 1932, les cours sont arrêtés au 1er juin et une décision ministérielle du 21 novembre vient acter la suppression de l’école de navigation maritime de Saint-Brieuc. Les locaux seront réutilisés par la Ville pour permettre une extension des activités de l’école primaire Baratoux. Cette fermeture s’est déroulée a priori sans contestation remarquable.
Les professeurs de l’école d’hydrographie.
De nombreux professeurs ont pu se succéder à l’école de Saint-Brieuc. Deux d’entre eux ont accédé à une notoriété particulière.
Le premier professeur, Jacques Curo qui, s’il avait été nommé par le Roi en 1791, allait s’avérer un républicain convaincu (en bas d’article, accès à un article ANNEXE concernant J. Curo).
Et Dubois, qui en 1891 commit, comme le titrait le journal l’Armorique, « l’horrible crime de la rue de la gare ». Il avait en effet assassiné son épouse, ses deux enfants et s’était donné la mort à suivre.
Ce terrible crime fut abondamment relaté et commenté dans toute la presse de l’époque. Nous nous contenterons de reprendre ici, sans donner bien sûr une quelconque valeur à son argumentaire excusatoire, la lettre qu’il destina à un journal parisien :
« Monsieur le directeur,
Je viens de tuer femme et enfants, et je me suiciderai tout à l’heure. Faites donc savoir dans votre journal que le métier de professeur d’hydrographie est un bagne, nos élèves sont beaucoup trop âgés. Ajouter qu’on devrait toujours laisser aux fonctionnaires l’avancement auquel ils ont droit, il faudrait respecter les droits acquis, ce que l‘on n’a pas fait pour les professeurs d’hydrographie.
DUBOIS Professeur d’hydrographie à Saint-Brieuc »
À côté de l’école d’hydrographie de Saint-Brieuc.
Au-delà de notre école, quelques éléments du contexte local :
À Saint-Brieuc, formation préparatoire à l’école navale par l’école Saint-Charles et autre :
L’école d’hydrographie formait les marins du commerce. À Brest, une école navale formait ceux de la marine nationale. En 1886, la presse locale fait état des résultats du premier cours de marine organisé à l’école Saint-Charles pour le concours d’entrée à l’école navale : 4 élèves autorisés à accéder aux épreuves orales sur les 6 qui se sont présentés. En 1898, sur les 13 élèves présentés par l’école Saint-Charles, 5 sont définitivement reçus. En 1903, sur les 60 candidats reçus au concours de l’école navale, 6 avaient bénéficié du cours préparatoire de l’école Saint-Charles.
En 1923, le diocèse communiquait sur la mise en place d’une nouvelle école dans la rue Saint-Benoit offrant, entre autres, des préparations pour la marine : écoles de navigation, mécaniciens de la Flotte et sous officiers de Brest.
À Saint-Brieuc, création d’une école de pêche et de navigation à Cesson :
En 1932, la presse locale s’est faite l’écho des premiers résultats de la toute jeune école de Cesson : tous les candidats à l’examen de patron de pêche ont été reçus. Trois pour la session de janvier et 13 pour celle d’avril. Absence d’information depuis pour cette école cependant.
À Paimpol :
Une deuxième école d’hydrographie (puis école nationale de navigation maritime en 1920 et école nationale de la marine marchande en 1958) existait dans le département des Côtes-du-Nord, à Paimpol. Elle a existé pendant plus de 160 ans., avant de fermer ses portes en 1986, victime de la baisse des équipages maritimes français. Ses locaux sont actuellement occupés par le Lycée professionnel maritime.
Et aujourd’hui :
À ce jour, la formation des officiers de la marine marchande et des ingénieurs du domaine maritime est assurée dans l’un des 4 établissements de l’École Nationale Supérieure Maritime, école créée en 2010 avec la fusion des quatre écoles nationales de la marine marchande alors existantes (Marseille, Le Havre, Nantes et Saint-Malo). Elle délivre un diplôme d’ingénieur.
Mai 2025 Bernard GUEGUEN
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Annexe :
Jacques CURO, premier professeur d’hydrographie à Saint-Brieuc à la fin de la royauté et pendant la première république :
Article paru dans le Républicain des Côtes-du-Nord du 15 janvier 1913
Sources :
- Documentation presse locale ancienne : Pierre PERRIN.
- Écoles d’hydrographie, enseignement maritime et instruments nautiques, du XVIIIe au XXe siècle – Guy BOISTEL - https://journals.openedition.org/cahierscfv/2525?lang=en
- Histoire de l’enseignement maritime en France (Wikipedia)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27enseignement_maritime_en_France
Complément :
Article de Jacques GUEGUEN paru sur le blog de l’Atelier du Patrimoine Dahouétin :
L'école hydrographique de Saint-Brieuc - Atelier du Patrimoine Maritime de Dahouët