Articles / Patrimoine bâti / L'immeuble Besnard
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L’immeuble de Henri Besnard de Kerdreux (1789 - 1864)
Si l’on part du « Pont de Pierre », nous trouvons l’immeuble d’Henri Besnard de Kerdreux, visible sur les plans cadastraux de 1847. Henri Besnard naît à Plessala le 10/03/1789. Après avoir acheté en 1844 des terres communales au lieu dit Kerdreux à Plessala, il ajoute cette référence à son état civil et devient Henri François Besnard de Kerdreux. Très impliqué dans la vie locale, il est élu conseiller général du canton de Plouguenast de 1833 à 1848.
À la suite de son mariage en 1811 avec Jeanne Rouxel de Villeféron, fille de François Rouxel de Villeféron (1756-1842), il acquiert des terrains agricoles au Légué appartenant à celui-ci, au lieu dit le "Bergement". Les Rouxel ont étendu leur emprise foncière sur le Légué grâce aux revenus du commerce maritime et de la pêche à Terre-Neuve. Cette alliance avec cette famille de notables ne fera que renforcer sa position dominante dans le monde des affaires et va lui permettre de se lancer, sans doute conseillé par son beau-père, dans l’aventure terre-neuvienne.
Le recensement de 1836 nous indique que la famille Besnard, composée de trois personnes, dispose d’autant d’employés à son service. Le petit-fils, Henri (1842- ? ), également armateur, hérite de la maison en 1882 au décès de sa mère et la garde jusqu’en 1890 avant de la revendre à un autre armateur du Légué, Jacques Merlin. Propriété de la communauté des religieuses du Saint-Esprit de 1899 jusqu’en 2024, ce bâtiment a fonctionné en clinique psychiatrique. En 1914, un chirurgien et deux docteurs y travaillent. Pendant de nombreuses années, il sera désigné par les habitants du Légué sous le nom de la « Clinique ».
Il achète en Angleterre son premier bateau de 21 mètres, le « Deux Frères » avec lequel il va conduire quatre campagnes à Terre-Neuve. Nous sommes en 1824 et la pêche à la morue est promise à un bel avenir. L’armement Besnard va profiter de ces conditions favorables pour accroître sa flotte. Au vu de cette première expérience réussie, il passe commande de deux bateaux neufs. Pour le premier, un brick de 24 mètres, il s’adresse à un chantier de Caen en 1825. Le « Jeune Henry », nom donné sans doute en référence à son fils Henri né en 1812, fera 27 campagnes à Terre-Neuve mais il terminera naufragé près de Cadix en février 1853 après avoir livré sa marchandise en Méditerranée. Pour le second, le « Jeune Marie », l’année suivante, il fait appel cette fois à un constructeur du Légué. Ce brick de 22 mètres aura également une longue carrière avant de se perdre dans la baie de Carmarthen près de Bristol en janvier 1854.
Naufrage du « Jeune-Marie » :
« Nous apprenons le naufrage du brick la "Jeune-Marie", capitaine Quémard, du Légué Saint-Brieuc, appartenant à M. Besnard père, qui a eu lieu dans la nuit du 17 janvier, dans la baie de Carmarthen près de Tenby, canal de Bristol (Angleterre). Ce navire, parti de Landerneau sur lest, le 14 janvier, pour se rendre à Llanelli où il devait prendre un chargement de charbon de terre, a été jeté au plein, à 1,2 lieue du rivage, pendant une brume très épaisse. L'équipage a pu se sauver dans la chaloupe et atterrir peu de temps après sur la côte Anglaise, où il a été reçu par un agent consulaire qui l'a fait rapatrier. Le navire est entièrement perdu ; une partie des effets de l'équipage seulement a pu être sauveté ».
Un peu plus tard, en 1829, le « Saint-Pierre », également construit au Légué, va compléter l’armement. Il fera 19 voyages à Terre-Neuve avant de faire naufrage lui aussi, près de Camaret en 1848.
C’est avec ces trois bateaux que Henri Besnard va asseoir son entreprise. Il faudra attendre 1837, soit huit ans plus tard, pour voir deux nouveaux entrants dans la compagnie, l’ « Auguste » et le « Trois sœurs ». Il reste fidèle aux constructeurs locaux. Le charpentier Dominique Ruellan lui livre un brick dans les standards de l’époque, 24 m 37 de long, 6 m 80 de large pour un tirant d’eau de 4 m 94 et Louis L’Hôtellier une goélette de 23 mètres.
Le « Trois Sœurs » fera naufrage le 7 octobre 1857 sur la côte de Biarritz au cours d’un voyage entre Bordeaux et Saint-Sébastien. Il effectue du cabotage avec un chargement de balles de farine. Par temps de brume, le capitaine François Druel confond Saint-Sébastien avec Biarritz. Le bateau talonne et se désagrège. L’équipage est sauvé par un bateau venu de terre.
Originaire de Dunkerque, François Druel, 31 ans cette année-là, n’apparaîtra plus sur les rôles d’équipage de l’armement Besnard.
Rapport du capitaine Druel :
Je soussigné François Druel, capitaine de la goélette nommée « Trois sœurs », jaugée 105 Tx 88, appartenant au port de Saint-Brieuc, déclare être parti le 2 courant de Bordeaux avec un chargement de farine pour Saint-Sébastien, avoir navigué sans évènement remarquable jusqu’au 4 octobre vers midi qu’il eut connaissance de la terre avec de la brume et fit route toute l’après midi avec beau temps, qu’avec la brume de nuit il arriva près de terre avant les feux allumés ; qui, ne reconnaissant ni la terre de l’ouest ni celle de l’est alors qu’il se croyait à l’entrée de Saint-Sébastien, il ne s’aperçut de son erreur que par le phare de Biarritz, mais trop tard pour chercher à doubler les rochers qui se trouvaient tribord et bâbord, la mer étant très houleuse et le temps étant devenu très orageux avec de la pluie et des éclairs ; qu’il mouilla alors les deux ancres par huit brasses d’eau (environ 13 mètres), fila cinquante quatre brasses (88 mètres) d’une chaîne et quarante brasses (65 mètres) de l’autre, ne pouvant filer davantage à cause des récifs, qu’une embarcation étant venu de terre pour recueillir l’équipage, il a dû abandonner le navire qui, couvert à chaque instant par la lame, talonna vers onze heures du soir et vint peu après à la côte sur la plage de Biarritz, son petit fond entièrement ouvert, les panneaux, pavois et tout ce qui était sur le pont enlevé. En foi de quoi, il a dressé le présent rapport qu’il certifie sincère et véritable.
Bayonne, le 07/10/1857
Les années suivantes, l’armement Besnard continuera son développement avec l’acquisition de nouveaux bateaux, achetés neufs ou d’occasion. Il pourra ainsi aligner huit bricks pour la pêche à Terre-Neuve entre 1845 et 1847 ce qui représentait plus de 400 hommes d’équipage. Sa confiance dans les constructeurs locaux ne faiblit pas. Les constructeurs Ruellan et L’Hôtellier vont se partager les commandes de bricks dont les tailles varient entre 24 et 29 mètres. Le « Courrier du Nord » (1838), l’ « Amélie » (1839), le « Cygne » (1844), le « Jules » (1847), le « Henri » (1852) et le « Frédéric »(1859) seront construits à l’emplacement de ce qui est l’actuelle place de la Résistance. Le « Frédéric » fera naufrage près de Bréhat en 1879 au cours d’un voyage retour de Cadix avec un chargement de sel. Par chance, l’équipage pourra être sauvé. Acheté en 1840 à son beau-père, le « Trois Sœurs » construit au Légué en 1816 et le « Céleste » (1838) en provenance de Granville complètent la liste.
Naufrage de l’ « Amélie » en 1842 :
Sept navires terreneuviers étaient à l'ancre dans le havre de la Scie : l'« Amélie » et la « Concorde », la « Louise » et le « Père de Famille », du port du Légué ; le « Ponantais » , l'« Angélique » et l'« Éole », du port de Binic. Depuis leur arrivée sur les lieux de pêche, ils s'appuyaient sur les mêmes amarres et avaient essuyé plusieurs coups de vents sans avoir la moindrement souffert.
Le 29 septembre, le vent souffla de l'E.N.E. ; passant brusquement au N.N.E., il se déchaîna avec une affreuse violence. Toutes les précautions commandées par la prudence furent prises. Le lendemain, 3o, la tempête était encore plus terrible, et croissait de plus en plus ; le havre offrait déjà un aspect épouvantable. Les bateaux de pêche, arrachant leurs tangons, se heurtaient violemment sur le rivage ; les toiles des cabanes étaient déchirées en lambeaux et emportées au loin, et les oiseaux qui cherchaient un refuge à terre se brisaient dans les agrès des navires et tombaient morts sur le pont.
À 7 heures du soir, le brick l' « Amélie » était à la côte, et de tous les navires du havre, la « Louise » seule ne traînait pas ses ancres. Cependant, l' « Angélique » avait peu déplacé et on conservait quelque espoir de la sauver ; mais bientôt l'ancre du N.E. chassa. Le navire n'étant plus maintenu que par le câble N.O. vint se ranger le long du brick l'« Amélie » et courut les mêmes dangers. Le câble N.O. fut largué dans l'espoir que l'ancre N.E. halerait l'« Angélique » un peu au large. L'effet prévu se manifesta un moment, mais presqu'aussitôt une épouvantable rafale déplanta entièrement l'ancre du N.E. et le navire vint le derrière presque dans le vent : sa perte fut dès lors inévitable. L'« Angélique », traînant ses deux chaînes sur lesquelles il y avait encore trois ancres, ne tarda pas à heurter le navire l’ « Éole » qui talonnait depuis quelque temps, pour aller ensuite tomber sur la « Concorde » qui était déjà échouée. Dans ce dernier choc, les mâtures des deux navires eurent également à souffrir.
L'« Angélique » trouva sous la quille un fond de rocher. Tous les navires au plein se heurtaient violemment les uns les autres et se brisaient réciproquement.
Le « Ponantais », qui avait longtemps résisté sur ses ancres, avait encore l'espoir d'échapper au désastre commun ; mais sur les trois heures de l'après midi, il chassa sur son ancre de N.-E, et il dut céder à la violence de la tempête. Il tomba en travers sur les navires amoncelés à la côte. Prenant l'« Éole » par tribord, après lui avoir fait beaucoup de mal, le « Ponantais » fut s'appuyer sur la « Concorde » échouée et coulée, et sur le « Père-de-Famille » qui talonnait. Cette position dura jusqu'à la fin du mauvais temps.
Enfin, vers les quatre heures de l'après-midi, il ne fut plus possible de franchir les pompes de l'« Angélique » qui se défonçait sur les cailloux. Alors la grande chaîne passa par-dessous le navire qui s'amortit sur le fonds et se remplit d'eau jusqu'à la flottaison. Le côté de bâbord avait été brisé par l'« Éole » et les coutures du pont étaient ouvertes eu plusieurs endroits.
En résumé, trois navires ont été entièrement perdus, l'« Amélie », la « Concorde » et l'« Angélique ». L'« Éole », le « Père-de-Famille » et le « Ponantais » ont reçu des avaries qui ne les ont point empêchés de reprendre la mer. L'« Éole » est arrivé sur rade le 28 octobre. La « Louise » du Légué, armateur Denis, seule parmi tous les navires du havre de la Scie a tenu sur ses ancres. La perte éprouvée par notre baie dans cet ouragan ne peut encore être exactement appréciée, le montant des avaries de plusieurs na vires n'étant pas bien connu ; on l'évalue cependant à près de 300 000 frs qui tomberont à la charge de la compagnie d'assurances mutuelles de la baie de Saint-Brieuc.
Dans cette catastrophe, heureusement, aucun homme n'a péri et on n'a jusqu'ici connaissance d'aucune blessure sérieuse. Les effets des équipages ont tous été sauvés. Quelques navires de la baie ont quitté Terre-Neuve avec des provisions à peine suffisantes. On ne serait point sans inquiétude sur le sort des équipages, si les vents contraires devaient prolonger la traversée.
Naufrage du Cygne :
Le 18 octobre 1865 dans les parages des îles de Guernesey et Aurigny, plusieurs navires se sont perdus sur les récifs qui les entourent. Au nombre de ces navires se trouve le « Cygne » du Légué, capitaine Bertho armé par Vve Besnard. Ce navire, un des plus grands de la baie, était parti du Havre mercredi dernier, jour de l'affreuse tourmente pour rentrer au port. Il s'est perdu corps et biens. Il avait assure-t-on 13 hommes d'équipage.
En parallèle, la famille Besnard investit dans la pêche côtière. En 1842, quatre lougres de 8 à 10 mètres sont commandés aux chantiers du Légué : le « Saint-Jean », « Saint-Luc », « Saint-Marc » et le « Saint-Mathieu ». Cette pratique, assez courante, répond à un souci de diversification des activités.
Cette même année, naît Henri Besnard, troisième du nom. Il sera le dernier armateur de la lignée. Suite au décès de son père en 1862 suivi deux ans plus tard par son grand père, il reprend les rênes de l’entreprise épaulé par sa grand-mère Jeanne dont le nom apparaîtra un temps sur les registres d’armement.
Mais cette prise de pouvoir intervient au moment où la pêche à Terre-Neuve amorce son déclin de manière inéluctable. Les armateurs du Légué expédient encore 25 bateaux en 1864 pour seulement 15 l’année suivante.
Malgré tout, Henri Besnard commande en 1874 deux bateaux à Saint-Malo, le « Jeune Marie » et la « Mauve ». Si la « Jeune Marie » participe encore à quelques campagnes à Terre-Neuve, la « Mauve » est affectée au cabotage et l’Islande.
Dix ans plus tard, l’armement Besnard ne figure plus sur les registres d’armement.
Sans atteindre l’ampleur de l’armement Rouxel de Villeféron, la famille Besnard de Kerdreux s’imposera tout au long du 19e siècle comme un acteur incontournable du commerce maritime au Légué.
De cette réussite, il ne reste plus que cet imposant immeuble.
En 1882, Henri Besnard, adepte du yachting, achète aux enchères un côtre de 10 mètres construit six ans plus tôt à Binic. « Élisa » devait certainement trouver son mouillage devant la maison familiale comme ici.
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