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Le phare de la Pointe-à-l'Aigle

Depuis 1857, une belle tour en granite, le phare de la Pointe à l’Aigle en Plérin, orne l’entrée du port du Légué. Il facilite aux bateaux la navigation de nuit dans le fond de la Baie de Saint-Brieuc et l’accès en sécurité au port.

Entre 1917 et 1924 - des enfants jouent sur la grève devant le phare...

Et aujourd’hui, en regardant vers le large…

Pour arriver de nuit au port du Légué :

Du large, on s’emploiera à repérer le feu scintillant rapide de couleur verte du phare de la Pointe-à-l’Aigle (portée 8 miles), qui est le dispositif majeur du système de signalisation maritime pour l’entrée au port. Passant à proximité de la bouée « le Légué » (feu blanc à éclats : 1 court, 1 long, période de 12 secondes) située à 0.5 mile nautique de la Pointe-à-l’Aigle, on pourra faire cap sur le phare, puis emprunter en approche le chenal balisé lumineux pour passer le phare et le feu du brise-lames Nord-Ouest du port de commerce (feu scintillant rapide rouge, portée 4 miles). Il conviendra ensuite de poursuivre sa navigation dans le chenal balisé jusqu’à l’écluse à vitesse réduite et le plus souvent en faisant bien attention au sondeur ; de jour comme de nuit, il n’y a pas en effet toujours beaucoup trop d’eau pour entrer au port …

Mais n’allons pas plus en avant et restons en à la Pointe-à-l’Aigle.

Dans le sud Est de la carte SHOM ci-dessus, le phare marquant l’entrée du Légué porte les indications suivantes : VQ.G.13m8M : il s’agit d’un feu scintillant rapide continu, de couleur verte (Very Quickly Green), la hauteur du phare par rapport au sol est de 13 mètres et sa portée lumineuse est de 8 miles nautiques (14,82 km).

Toponymie

Le site a été appelé dans un premier temps « la Roche à l’œil », la désignation « Pointe-à-l’Aigle » semble plus récente et d’une signification pouvant donner lieu à débat.

Le Chevalier Charles Mazin, Ingénieur du roi, dans son ouvrage de 1756 sur les ports La Côte de Bretagne depuis Lancieux jusqu'à Pordic, indique (p.86) :

« La pointe de la Roche à l’Œil est de l’autre côté de la rivière du Légué, apposé à celle de Cesson ; c’est partie en ce lieu que se déchargent les marchandises qui viennent par mer à Saint Brieux ; il y a au plein de l’eau, dans les grandes marées, jusqu’à 25 à 26 pieds de hauteur d’eau. » (de 8.1 à 8.5 mètres)».

Dans son ouvrage, Notions historiques sur le littoral des Côtes-du-Nord (1832), François-Marie-Guillaume Habasque citait lui la Pointe-à-l’Aigle et en proposait une explication :

« De la Pointe-à-l’Aigle ainsi nommée, dit-on, parce qu’un aigle s’y abattit, je ne sais en quelle année, pendant un hiver des plus rigoureux, l’on découvre une vaste étendue de mer... ».

Mais il faut reconnaitre que le propos est faiblement argumenté.

Par une note du 20 août 2007, Jacques Guéguen, de l’association Patrimoine maritime de Dahouët, apporte son avis :

« … il existe en gallo maritime un mot AY (‘aire’) qui peut très bien convenir car signifiant ‘banc de sable’ (exemple les ay ou aires du Verdelet) et qui serait plus vraisemblable que la présence de ce volatile inconnu de la région et peu spectaculaire en cas d’intrusion.

Pointe de l’Ay ou Pointe de l’Aigle ??? Il ne serait pas impossible que ce mot Ay que l’on prononce aussi Aire (du scandinave Eyri banc de sable) ait porté à une confusion avec l’aire de l’aigle…. ».

Le projet de construction

L’administration des Ponts et Chaussées porte le projet de phare à partir au moins de l’année 1851.

Dans une note au Préfet du 12 décembre 1851, l’Ingénieur en Chef présente ce projet. Il concerne l’édification d’un phare de 4e ordre ayant un double objet : baliser l’entrée du Légué et permettre ainsi l’accès au port à toute heure du jour ou de la nuit (selon marées), et aussi permettre aux navigateurs en tout point de la baie de St Brieuc, avec le concours du phare de l’île Harbour, de pouvoir tracer sa route pour rentrer au port.

La tourelle du phare sera établie sur un musoir circulaire relié à la terre par une jetée. Le tout de fortes dimensions en raison de la violence possible de la mer en cet endroit par vent de Nord-Est. La jetée sera arasée à hauteur des vives eaux d’équinoxe.

Certaines caractéristiques du projet ont pu donner lieu à discussions et évolutions, notamment le Ministre avait souhaité une économie (5 000 Francs sur un total de 34 000 F) en réduisant la longueur de la jetée à 10 m. Mais les utilisateurs du port demandaient une jetée de 18.50 m permettant de placer le feu sur le bord même du chenal du Gouët.

Ces arguments auront globalement prévalu, la jetée est en effet d’une longueur de 18 mètres.

Cette vue aérienne (Géoportail) situe le phare dans son environnement actuel à marée basse. Le Gouët ne passe plus au droit du musoir du phare (sur la gauche), et le débat sur les 10 ou 18.50 m n’aurait aujourd’hui plus grand sens.

Comme pour beaucoup de chantiers, celui du phare de la Pointe-à-l’Aigle a donné lieu à des imprévus. Le budget est cependant resté maîtrisé, des économies ayant aussi été réalisées. Ces dernières portaient sur la réduction des travaux de maçonnerie en raison de la conformation du terrain et de la roche ainsi que des travaux de la tourelle du phare qui a été réalisée à l’identique à celle de Binic mise en service en 1854. Par contre, les travaux de terrassement et de maçonnerie pour le chemin menant au phare se sont montrés plus importants et une chambre pour le gardien préposé au phare a été adjointe au magasin prévu initialement.

Présentation physique

Vue du dessus : le phare, la jetée et le bâtiment du gardien.

La jetée menant au phare a été construite avec une maçonnerie en granite (pierre de taille), dont le musoir circulaire reçoit la tourelle aux formes évasées à la base. La digue mesure 18 mètres de longueur avec une largeur de 2, 80 mètres.

Le phare a la forme d'une tourelle cylindrique, surmontée d'une plateforme entourée d'une balustrade en bronze, sur laquelle repose la lanterne contenant l'appareil d'éclairage. La tour est construite en pierre de taille (granite), avec une porte et une fenêtre donnant sur la jetée. Une autre fenêtre est placée sur la tourelle côté du Gouët.

En partie supérieure, la largeur de la jetée est de 2.80 m. La largeur du parapet (80 cm) y est inclus et celui-ci fait aussi 90 cm de hauteur. Côté mer, le phare est peint de couleur blanche, de l’autre côté les pierres sont brutes. La hauteur de la tour au-dessus du niveau de la jetée est de 13, 50 mètres. L'embase cylindrique de la tourelle a trois mètres de diamètre. Selon les sources, le feu est allumé depuis le 1er avril ou le 1er août 1857. Depuis 2014, la lampe à filament est remplacée par une diode électroluminescente. La portée du feu scintillant rapide de couleur verte a une portée de 8 miles nautiques (18.8 km).

Les signaux de marées

Depuis 1874, le mât du sémaphore du Roselier arborait, de jour comme de nuit, des signaux permettant de connaître localement l’état de la marée.

En début 1893, décision est prise de transférer ces signaux au Phare de la Pointe-à-l’Aigle.

Il est reconnu que le fanal rouge utilisé pour les signaux de marée de nuit ne perturbera pas la signalisation principale du phare (feu blanc fixe à l’époque). La prise en charge de l’installation et du fonctionnement des signaux sera assurée par l’administration des phares et balises. Et par conséquent, la subvention de 150 francs versée jusqu’alors à la chambre de commerce et d’industrie pour l’entretien et le fonctionnement des signaux au sémaphore du Roselier est supprimée.

Un plan de 1898 fait référence à une signalisation par pavillons à partir d’un mât ad hoc placé à mi-jetée.

La signalisation représentée indique ici la marée descendante.

Les cartes postales de l’époque représentent fréquemment ce mât à pavillons qui arbore ici le signal de marée montante. À noter qu’à l’étale, seul le pavillon rectangulaire avec la croix de St André reste hissé.

Aujourd’hui, une échelle à marée en dessous du phare, et du côté du large, indique la hauteur d’eau. Du moins, celle des plus hautes eaux, les autres ont disparu…

Le logement

Le bâtiment réservé au gardien comprend une partie privative avec une chambre et une cuisine et une partie professionnelle avec bureau et magasin. Il y a une petite cour sur l’arrière qui verra une extension et sur le côté un petit local annexe.

Cette vue du phare permet de bien visualiser le logement du gardien. Cet immeuble, actuellement à usage privé, est resté d’apparence identique.

Le 8 décembre 1928, un état du mobilier des phares de la Subdivision du Légué auquel est rattaché le phare de la Pointe-à-l’Aigle, est réalisé par son responsable en réponse à une demande de son administration. Sont recensés :

  • 1 lit en chêne avec dossier

  • 1 armoire chêne

  • 1 armoire d’attache vitrée

  • 1 table de nuit

  • 1 armoire vitrée (bureau)

  • 1 table rectangulaire (bureau)

  • 1 chaise (bureau)

  • 1 fourneau de cuisine

  • 1 glace cassée

  • 1 réveil matin

Le subdivisionnaire conclut son état par la remarque suivante :

« Il me paraît convenable de fournir par l’Administration le matériel de bureau et de ne pas remplacer le mobilier à usage personnel ( lits, armoires, table de nuit, fourneau de cuisine, etc…), celui-ci pouvant être fourni par les agents. »

Nous pouvons supposer que le remplacement de la glace cassée a dû être laissé à la charge de l’Agent…

La vie du phare

Le gardiennage :

Avant d’être automatisé, ce phare a été pendant de nombreuses années servi par un gardien, ou une gardienne.

Les premières années d’existence du phare voient se dérouler un accident dramatique. Le 23 décembre 1863, il est en effet constaté le décès par asphyxie du gardien. Quelques jours après, l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées établit une demande de secours pour sa veuve. Cette demande reprend les circonstances du drame :

Rapport de l'Ingénieur ordinaire

Demande de secours de la dame veuve Auffray

La dame Auffray a adressé à Monsieur le Préfet une demande de secours. Elle a exposé que par la mort de son mari décédé gardien allumeur du fanal de la pointe à l'Aigle, elle est restée veuve avec cinq enfants dont trois en bas âge.

Le sieur Auffray était allumeur du fanal de la pointe à l'Aigle ; le 23 décembre au matin, il a été trouvé mort dans la cabane établie par l'Administration, où il passait la nuit pour surveiller le feu dont la garde lui était confiée. Selon toute vraisemblance, le sieur Auffray a été asphyxié par les vapeurs délétères du poêle qu'il avait allumé et dont il avait sans doute fermé la clef avant l'extinction complète du charbon de terre. La position, où le corps a été trouvé, étendu par terre près de la porte d'entrée que le malheureux luttant contre l'asphyxie cherchait à ouvrir ne permet guère de douter de cette hypothèse.

Nous n'avons jamais eu que le meilleur compte à rendre du service du sieur Auffray qui remplissait ses fonctions avec le plus grand zèle. Ancien marin, chargé pendant sa dernière navigation à l'État (antérieure à 1848) de la surveillance des appartements royaux à bord de la frégate à vapeur Le Gomer. Il tenait le fanal de la pointe à l'Aigle de la manière la plus convenable. Sa mort ne peut être rigoureusement attribuée à l'exercice de ses fonctions, mais elle a eu lieu à l'occasion du service. Il n'est que trop naturel, que dans cette saison, un gardien qui a à se lever deux fois la nuit pour aller visiter la lampe du fanal, et pour s'y rendre doit s'exposer au vent, à la pluie, souvent aux lames mêmes qui couvrent la petite jetée unissant la cabane à la tourelle du fanal, conserve du feu la nuit dans son logement. Une imprudence a été faite, il est vrai, mais il nous semblerait rigoureux de s'armer de ce motif pour ne pas allouer un secours à la veuve X et aux enfants.

En résumé, nous proposons d'allouer à la veuve une somme de 300,00 F payable en dix à comptes égaux.

St Brieuc, le 18 janvier 1864, l'ingénieur ordinaire

Observations et avis de l'Ingénieur en chef

On est réduit aux conjectures sur les circonstances précises de la mort du sieur Auffray. mais il faut observer qu'il couchait dans une petite pièce séparée du magasin où se trouvent le poêle et la porte d'entrée de la cabane.

Il est donc très possible que le gardien sortant de la chambre pour aller visiter son feu, ait été saisi par les vapeurs du charbon en pénétrant dans le magasin qu'il devait traverser. Rien ne démontre l'inanité de cette hypothèse qui rattacherait plus étroitement sa mort à l'exercice de ses fonctions.

Sans attacher trop d'importance à un détail nécessairement hypothétique nous pensons que les bons services du gardien Auffray justifient la bienveillance de l'Administration envers sa famille et nous nous réunissons à Monsieur l'ingénieur ordinaire pour proposer l'allocation du secours qui pourra être payé en douze termes égaux de mois en mois.

St Brieuc le 22 janvier 1864

Les revenus tirés de ce travail de gardien allumeur n’étaient probablement pas des plus importants et en 1868, le Sieur Bouard, titulaire du poste, demande au Préfet l’autorisation de tenir un bureau de tabac dans les locaux dont il dispose. Bureau qui pourrait être utile aux baigneurs pendant la belle saison et permettrait d’augmenter les revenus modiques du pétitionnaire.

L’ingénieur des Ponts et Chaussées émet un avis défavorable le16 décembre 1868, les locaux appartenant à l’État sont en effet de destination absolue, ils ne peuvent servir qu’au logement du gardien et au magasinage des matières et du matériel nécessaires au service du feu. Pas de possibilité donc d’y tenir un commerce.

Le phare dans les médias

D’une manière habituelle, le phare de la Pointe-à-l’Aigle assure sa fonction de signalisation maritime de façon constante et régulière, et sans défrayer la chronique. Des tempêtes peuvent cependant le signaler à l’attention du public. L’entrée du port du Légué est très bien protégée de tout vent de secteur Ouest. Mais elle est par contre exposée aux vents de Nord Est qui peuvent aussi être violents et aux moments des grandes marées soulever des vagues imposantes.

Le 2 mars 1873, la tempête provoque la destruction, sur 20 mètres de longueur, du perré protégeant le chemin qui mène à la jetée sur laquelle a été construit le fanal de la Pointe-à-l’Aigle.

Le 17 octobre 1990, une forte tempête frappe la baie de Saint-Brieuc. Pour la plage des Rosaires, ce sera un dégât majeur pour la digue de protection. Saint-Laurent est également concerné, et Gabriel PIEL, maire adjoint aux travaux de Plérin signalait notamment que « la puissance de la mer a réussi à déplacer un bloc de granit de près de 5 t sur plusieurs mètres, à proximité du phare ». (Le Télégramme du 20 octobre 1990).

Le 20 février 1993, il s’agit probablement de l’épisode le plus difficile du siècle pour l’entrée du Légué. La marée est de coefficient 113.

Le Télégramme du 21 février 1993 rapporte :

« en un quart d’heure il n’y avait plus de route ». François Berthou n’en revient pas. Depuis six ans qu’il habite rue du phare, jamais il n’avait vu pareille tempête…

« Ce matin vers 7 h, au plus fort de la marée, on ne voyait plus le phare, recouvert par les embruns. Le vent a même défoncé la porte d’entrée de la maison du phare, qui est inhabitée, et fait tomber le transformateur. Des blocs de béton de la digue ont également été emportés. Et l’eau est rentrée dans nos voitures et les a déplacées ».

Pire encore, les vagues sont venus lécher les toits des maisons arrachant au passage des morceaux de gouttières. Mais surtout, 50 m plus loin la route est coupée.

« Vers 7h45, un voisin m’a prévenu que la route commençait à lézarder. On a juste eu le temps de déplacer nos voitures. Un quart d’heure plus tard c’était trop tard, la route s’effondrait ». Résultat, un trou béant de 10 m de long dans la chaussée, laissant apparaître les canalisations. En contrebas, c’est la mer. »

Un premier constat : bien que très exposé, le phare lui-même ne subit à ces occasions aucune atteinte, signe de la qualité de sa construction.

Et aujourd’hui encore, il continue à subir les assauts de mauvais temps sans dommage.

Le phare dans le gros temps du 11 mai 2020

Enfin, de façon bien moins grave, le phare peut être aussi exposé à d’autres types d’assauts. C’est ainsi que le Télégramme du 25 juillet 2016 donne l’information suivante :

« Dans la nuit de samedi à dimanche, le phare de la Pointe-à-l'Aigle, situé à l'entrée du port du Légué, côté Plérin, a été tagué. Ce sont les riverains qui ont découvert les inscriptions au matin et appelé la police. Sur les tags, on peut lire « CPA CREW » ou encore « SINO abc ». Des inscriptions assez incompréhensibles qui viennent polluer l'un des plus beaux points de vue du Légué».

Les tags ont été rapidement effacés et le phare n’est heureusement pas devenu depuis un nouveau lieu de ce moyen d’expression.

Le phare d'hier et d'aujourd'hui

Cartes postales anciennes, photos et dessins de maintenant

Phare pointe aigle(5).mp4
PHARE de la Pointe à l'Aigle(1).mp4

Visite du phare avec Gérard Raoul des Phares et Balises de Lézardrieux

Mme GUEGAN gardienne de phare.mp4

Témoignage de Denise Guégan, gardienne remplaçante.

Décembre 2020 - Bernard Guéguen

Sources particulières :

- dimensions du phare : http://patrimoine.bzh/ , dossier Phare de la Pointe-à-l’Aigle

- dessins actuels du phare de Gildas Chasseboeuf