Les jardins anglo-chinois deviennent à la mode en France peu après le traité de Paris (1768) qui permet de renouer des liens plus étroits avec l’Angleterre où cette architecture est déjà appréciée pour les jardins.
Sir William Chambers, ayant séjourné plusieurs années en Chine, avait étudié l’art oriental. Il avait été charmé par les jardins agrémentés de pagodes, de ponts et comme il était resté deux ans en Italie avant de regagner sa patrie, en 1757, c’est donc ce pays qui bénéficia le premier du fruit de ses études. William Chambers écrivit plusieurs ouvrages sur les jardins d’Orient et l’architecture civile dans ce pays. C’est sans doute cette vision exotique qui a inspiré Bergeret lors de son voyage en Italie (1773-1774).
En 1765, la famille Bergeret fait la connaissance d’Honoré Fragonard, à l'occasion de la réception de ce peintre à l'Académie Royale de peinture et de sculpture. C'est ainsi que la vie des Bergeret et celle de l'artiste seront liées. Accompagné d’Honoré Fragonard qui lui sert de Cicéron, il parcourt toute l’Italie. Il a donc certainement vu le pavillon chinois de Caserte qui se trouvait sur sa route lors de son passage par Naples. Il est séduit, entre autres choses, par les splendides jardins anglais ornés de constructions dans le goût oriental, assez inattendus dans nos régions et par la fantaisie, parfois exubérante, qui remplace la majestueuse ordonnance jusque-là observée dans l’art des jardins à la française. Le moindre accident de terrain est utilisé, au besoin provoqué pour éveiller l’intérêt. Un tableau imprévu s’offre à l’issue d’un sentier, le pittoresque et l’allégorie incitent à la rêverie et donnent un attrait nouveau à la promenade.
Il est assez curieux que ce goût pour l’architecture orientale qui devait obtenir en Europe un si vif succès ait pénétré dans notre continent par le chemin de l’Italie, et que ces jardins composés aient été appelés « jardins Anglais ».
Pierre-Jacques Bergeret de Grancourt (1742-1807), receveur général des finances de la généralité de Montauban, possède à L’Isle-Adam de nombreux domaines hérités de sa famille qui s’y est implantée depuis plusieurs générations. Le 1er mars 1778, il achètera le domaine de Châteaupré (Cassan) à un de ses cousins. C’est ainsi qu’il va essayer de réaliser dans sa propriété de Cassan une synthèse de ce qu’il a vu au cours de ses voyages.
Le château de Cassan dans une île, résidence de Bergeret, par le peintre J.A Alavoine
La surface du domaine est accidentée ; une bande oblique du Sud-Ouest au Nord-Est, occupée par des étangs et des cours d'eaux, occupe tout l'angle Sud-Ouest et se prolonge vers le Nord-Est : le bord Ouest de l'étang sera le siège du pavillon chinois et est suivi d'une partie boisée ; à l'Est de l'étang et des cours d'eaux une partie bien ensoleillée vers l'Ouest, couverte de prés, conduit à sa partie haute à une crête touffue et ombragée. Au milieu des étangs se trouvent des îles, dont le nombre et la forme varient avec le niveau de l'eau. Deux îles étaient constantes : l'une vers le Sud-Ouest, l'autre vers le Nord-Est ; c'est cette dernière qui est le siège de la maison d'habitation ; cette île arrondie de 260 m de long environ est située dans la partie la plus large de l'étang.
Dans les années 1780, Bergeret fait appel à l’architecte François-Denis Courtillier pour la réalisation d'un projet ambitieux : l'aménagement du parc de Cassan selon ses dessins. Pendant plus de dix ans, Courtillier s'en inspire et les adapte aux contraintes du domaine. Cet aménagement va s'échelonner sur une vingtaine d'années. En 1790, une grande partie est réalisée à l'Est du parc, et se poursuit jusqu'en l'an X.
L'aménagement du réseau hydraulique
La géologie et la morphologie du domaine vont dicter les lignes d'aménagement du parc : une zone marécageuse alimentée par des sources venant de l'Est de la propriété, une colline boisée au Sud, une vaste plaine au Nord. L'eau est une composante fondamentale. L'action principale de l'architecte consiste à aménager le réseau hydraulique afin d'obtenir un débit d'eau maximal, nécessaire à la réalisation du grand plan d'eau. Pierre-Jacques Bergeret et son architecte vont tirer judicieusement parti de la topographie du terrain.
En 1790, les travaux sont sur le point d’être suspendus faute d'un apport en eau suffisant. En effet, la réalisation du grand lac, tel que Bergeret l'avait imaginé, est soumise à un volume d'eau conséquent que seul le drainage de toutes les sources environnantes rendrait possible. Bergeret et son architecte avaient déjà drainé toutes les eaux du domaine et les plus proches. Courtillier envoie donc un mémoire et un plan des aménagements déjà effectués, levé par Blanchet, afin d'obtenir de la commune de L'Isle-Adam l'autorisation de drainer les eaux de la plaine des Larris, ainsi qu'une partie des eaux du ru du Goulet joignant le parc de Châteaupré. Ce drainage doit augmenter le débit des rivières et des pièces d'eau déjà existantes sur le domaine. Le conseil de la commune autorise la requête. Le projet nécessite donc l'entreprise de plus amples travaux de drainage afin de recueillir des eaux de sources plus éloignées alourdissant de fait le coût de réalisation du parc. Le lac est colmaté avec de la terre glaise provenant de terrains appartenant à Pierre-Jacques Bergeret afin d'éviter au maximum toute déperdition d'eau. L'aménagement du lac et des îles constitue l'élément primordial des travaux. Le soubassement du Pavillon chinois est nécessaire à la régulation du plan d'eau.
Le Pavillon chinois est l'un des rares exemples des pavillons et des kiosques du XVIIIe siècle subsistant en France. Il n’a pas un rôle purement décoratif, il a une fonction utilitaire car sert à réguler les eaux qui s'écoulent au moyen de trois déversoirs aménagés dans des baies en plein cintre, après avoir rempli un bassin intérieur.
Il mesure environ 10 m de haut et 20 m de large à la partie la plus large de sa base. Il comporte un soubassement monumental en pierres de taille, surmonté d'un pavillon en bois. Le soubassement est octogonal : de ses huit faces, deux sont prolongées latéralement par des escaliers à volée droite qui mènent à la plate-forme supérieure par deux segments perpendiculaires l'un de 13 marches l'autre de 11 marches ; ces escaliers dissimulent des couloirs obscurs où l'on accède par trois marches descendantes et qui conduisent à l'intérieur du soubassement (ou salle fraîche). Cette salle présente en son centre une vasque circulaire aux parois en pente douce ; huit colonnes doriques reposent sur des socles à fleur d'eau, à la limite du bassin ; elles supportent une voûte arrondie qui se raccorde aux arcs les unissant. Autour de la vasque et des colonnes, un chemin annulaire dallé est plafonné par une voûte brisée. Chaque façade du soubassement laissée libre par l'arrivée des couloirs latéraux est ouverte par de larges baies en plein cintre : les trois faces orientées vers la terre dominent un grand bassin trapézoïdal prolongé jusque devant les escaliers ; les trois faces orientées vers l'étang présentent les mêmes baies, dont le bord inférieur est au ras de l'eau lorsque l'étang est plein, et se trouve à 1,20 m environ au-dessus du chemin annulaire dallé. Les parois, entre les baies, ont 1 m d'épaisseur.
La plate-forme supérieure à laquelle on accède par les escaliers extérieurs présente un balcon octogonal bordé par une balustrade. Ses angles sont marqués par des colonnes en bois, supports de l'édifice, reposant elles-mêmes sur des bases en pierre et ornées chacune d'une cloche à leur extrémité supérieure ; la couverture se prolonge en un auvent concave qui protège le balcon. Elle est fortement retroussée au niveau des angles, ce qui accentue le style chinois de l'ensemble et que fait ressortir la couleur rouge du dessous de chaque corne.
Au centre de la plate-forme un socle auquel on accède par deux marches et à contour octogonal, supporte les parois de la salle du pavillon de bois que le balcon entoure. Cette salle mesure environ 7 m de large et est octogonale comme le reste. Elle est bien éclairée par huit portes fenêtres vitrées ornées de cercles et de croisillons en bois. Les panneaux intermédiaires et les parties sous-jacentes aux portes fenêtres sont ornés de feuillages et d’oiseaux exotiques. Une coupole agrandit la hauteur de la pièce ; à l'origine peinte de fleurs et d'animaux fantastiques, elle est surmontée d'une lanterne octogonale aux fenêtres rectangulaires ornées de grecques, et coiffée d'une deuxième coupole abritée par une couverture aux angles relevés comme celle de la première. Des guirlandes en bois ornées de perles ovoïdes en bois font le tour des corniches. L'édifice est surmonté d'une boule de cuivre d'où sort une flèche décorée de cercles dégressifs de bas en haut portant des clochettes (en bronze à l'époque) et des chaînettes insérées sur les angles du toit les plus hauts. Les couvertures des toitures, initialement en ardoises, sont restaurées depuis 1973 en cuivre en vue d'harmoniser leurs couleurs avec celles du pavillon où se mêlent les rouges et les bruns, les ocres jaunes, les rouges rechampis de vert.
La fonction du pavillon chinois, tout au moins de son soubassement, est de servir de déversoir pour les eaux de l'étang : l'eau déborde de l'étang par les trois baies qui affleurent sa surface, coule en cascade le long de la paroi intérieure, passe sous les dalles du couloir annulaire pour remplir la vasque centrale ; elle sort de cette vasque sous les dalles du côté opposé pour se jeter dans le grand bassin extérieur par deux canalisations dont l'issue était ornée d'une gueule de lion en bronze, volé avant la restauration de 1973. Du grand bassin, l'eau s'engouffre dans le ru du Gué qui se jette dans l'Oise[1]. Il y a ainsi trois niveaux de déversement, suivant que les eaux de l'étang sont hautes, moyennes ou basses ; basses : pas de déversement, moyennes : vasque circulaire pleine, son contenu s'écoulant lentement dans le grand bassin extérieur, hautes : tout est rempli et s'évacue dans l'Oise. Le Pavillon chinois servait en partie à l'évacuation du surplus d'eau de l'étang. Restait à régler l'arrivée d'eau.
Le problème de l'eau
Le projet ne se réalisera qu'en mars 1792, sous la Révolution, par le biais encore une fois de Fragonard. En effet celui-ci avait conservé l'amitié corporative de David d'Angers, sculpteur, révolutionnaire actif, futur président de la Convention, puis membre du Comité de Sûreté générale. Il avait été mis au courant des convictions révolutionnaires de Bergeret. Un nouveau procès eut lieu de 1790 à 1792 et cette fois-ci ce dernier le gagna contre la municipalité de L’Isle-Adam grâce à la chaîne d'appuis politiques dont profitait Bergeret par l'intermédiaire de Fragonard. La municipalité, ignorant le court-circuitage, ne comprit jamais comment elle finit par être condamnée par défaut !
L'endettement de Pierre-Jacques Bergeret, consécutif à la modification de son statut social pendant la Révolution, a limité ses ambitieux projets de fabrique. Seul le pavillon chinois, construit dans les premiers temps, et l'aménagement du terrain ont pu voir le jour. L'insuffisance de rivières et de sources a empêché la réalisation de la partie Est du plan. Le bois d’Apollon a pu être réalisé, mais pas les fabriques prévues.
Le parc de Cassan, fruit de presque vingt ans de travaux, synthétise les projets de Bergeret et répond pleinement à la définition du jardin anglo-chinois.
[1] Le ru qui coulait alors à l'air libre est actuellement souterrain jusqu'à son embouchure.
Les transformations du domaine au XIXe siècle ont affecté la disposition originelle et les lotissements du XXe siècle ont achevé de détruire l'œuvre de Bergeret et de Courtillier. Le Pavillon chinois reste le seul témoin d'un grand parc tombé dans l'oubli.
Ce pavillon chinois est devenu l’emblème de notre ville. Quant au parc, il a été transformé vers 1970 en un lotissement de 500 pavillons ! Malgré cela, reste de grands espaces verts et des parties boisées, souvenir du magnifique domaine conçu par Bergeret et son architecte.
Le Pavillon chinois et l’espace environnant ont été achetés, en 1971, par la municipalité Michel Poniatowski, pour un franc symbolique, à la société immobilière COGEDIM. Depuis la municipalité en assure les restaurations (1973-1975, 2007-2008) et l’entretien continu avec beaucoup de soins.
Plan de Cassan établi en 1790 par Bergeret.
Le bois d’Appolon vers 1815
Pierre-Jacques Bergeret
Le Pavillon chinois vu depuis les étangs
Le Pavillon chinois vu depuis l’entrée principale
La salle fraiche sous le Pavillon chinois
La Terrasse circulaire sur le Pavillon chinois
L’intérieur du Pavillon chinois
Découvrez la plaque informative qui présente au public l'histoire du Pavillon chinois
Vous pouvez consulter un document complet sur la dernière restauration du pavillon chinois en 2007/2008 : Restauration du pavillon chinois 2007/2008
L’emblème de notre ville valait bien une telle débauche de photos et d’explications !
Le docteur Louis Senlecq (1880 - 1950), constatant que de nombreux artistes et hommes illustres avaient vécu ou établi leur territoire d'élection à L'Isle-Adam ou dans ses environs, il avait imaginé que si ces personnages laissaient une trace concrète de leur passage, il existerait plus tard une formidable collection d'œuvres. S'étant ouvert de cette idée à des amis, il leur propose de réunir le plus possible de souvenirs artistiques et historiques d'origine uniquement locale : L’Isle-Adam et ses environs.
De cette initiative résulte la constitution, en 1939, de l'Association "Les Amis de L’Isle-Adam" et la fondation d'une ébauche de musée. Le premier bureau est constitué de la façon suivante :
Président d’Honneur : Eugène Darras, professeur, historien, auteur, entre autres, de "L’histoire des seigneurs de L’Isle-Adam",
Président : Louis Senlecq, docteur,
Vice-Président : Léon Fort, peintre et historien,
Au comité d’Honneur : Georges Duhamel , écrivain célèbre.
Mais ce n'est qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale que l'activité de l'association, soutenue par la municipalité, donne naissance à un musée. Ce dernier s'installe en 1951 dans la maison des Joséphites, construite en 1661 par le prince Armand de Bourbon Conti, seigneur de L'Isle-Adam, (voir histoire de L'Isle-Adam) pour en faire une école pour les enfants de la ville.
L'association des amis de L'Isle-Adam à pour vocation de faire connaître les personnages, les faits et les sites historiques concernant L'Isle-Adam et sa région et d’en perpétuer le souvenir :
Préparer à son centre d’art les expositions et accueillir le public,
Inventorier et protéger peintures, sculptures, documents historiques et livres,
Réaliser des visites guidées sur des thèmes spécifiques,
Organiser des conférences,
Publier des ouvrages sur l’histoire, le patrimoine et la vie des Adamois,
Participer aux fouilles et recherches archéologiques locales,
Participer à la restauration des vitraux de l’église Saint-Martin de L’Isle-Adam,
Ouvrir le centre de documentation (bibliothèque et archives) aux chercheurs.
En 2006, ces espaces, devenus trop vétustes, ferment leurs portes au public et le musée s’engage dans un programme de rénovation tout en redéployant ses activités d’expositions temporaires dans son annexe dédiée à l’art moderne et contemporain, le Centre d’art Jacques Henri Lartigue.
Ce dernier a été inauguré en 1998. Il témoigne de la fidélité du Maire, Michel Poniatowski, à la mémoire de son ami le célèbre photographe et peintre Jacques Henri Lartigue (1894-1986). Celui-ci et son épouse Florette, ont en effet généreusement fait don à la Ville de L'Isle-Adam entre 1985 et 1993 de près de 300 peintures couvrant la totalité de la carrière de l'artiste disparu en 1986.
Le centre d’art est installé dans l’ancienne propriété de la famille Fritz, composée d’un bâtiment principal et des deux petits bâtiments annexes, reprenant une partie du « Petit hôtel Bergeret » du nom de l’ancien fermier général de l’Ancien Régime, Jacques-Onésyme Bergeret de Grancourt (1715-1785), l’un des hommes les plus fortunés de France de son époque, qui possédait également une grande propriété dans la commune de L’Isle-Adam. De 1996 à 1998, le bâtiment fait l’objet d’une réhabilitation complète par les architectes Jean-Claude Sauvage et Dominique Riquier.
Retrouvez plus d'information sur l'histoire de l'association et du musée : Histoire de l’association « Les Amis de L’Isle-Adam » et du musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq