La théorie du commerce alternative de Krugman, Economic Thought, traduction

issu de : Krugman’s Alternative Theory of Trade | Economic Thought (2014)


Pour beaucoup d’étudiants en économie, l’héritage de Paul Krugman est défini, en grande partie, par son blog (ses articles dans le New York Times). Si vous n’avez pas eu la chance de lire ses travaux académiques, votre vision va être basée sur le Krugman expert/économiste, qui défend les plans de relance fiscaux, le salaire minimum… Mais on ne va probablement pas se rappeler du Krugman moderne dans 15-30 ans. On va plutôt se rappeler de lui, comme le savent les économistes, pour ses travaux sur le commerce et sur la finance (notamment, les taux de change et les flux de capitaux). C’est la raison pour laquelle il a remporté le Nobel en 2008. Krugman a introduit dans un modèle une nouvelle théorie du commerce international, alternative à la théorie des avantages comparatifs.

Ce post tente de communiquer sur la philosophie du modèle de Krugman. Il se base principalement sur trois articles de Krugman sur le sujet : Krugman (1979), Krugman (1980) et Krugman (1981). Egalement, il se base sur le livre de Krugman, Obstfeld et Melitz, International Economics.

 

Avant les années 1980, la plupart des économistes pensaient le commerce international à travers la théorie des avantages comparatifs de Ricardo. Cette théorie énonce qu’une personne se spécialise dans la production d’un bien qui a le coût d’opportunité le moins élevé, et va importer le reste des biens (produits par d’autres personnes), et la situation est meilleure que s’il n’y avait pas de commerce du tout, et que chaque personne produisait ce qu’ils veulent avoir. Si quelqu’un d’autre peut produire pour vous un t-shirt avec un coût d’opportunité plus faible, vous pouvez acheter ce t-shirt à un prix plus faible et utiliser votre temps pour faire quelque chose de plus productif. Vous vous spécialisez dans les biens que les autres demandent, et pour lesquels vous avez un avantage comparatif.

 

La théorie ricardienne a continué à se développer durant le 19ème et 20ème siècle, et l’une des directions adoptées par les économistes suivants est importante à mentionner. Au début du 20ème siècle, les théoriciens du commerce international ont débuté ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de théorie Heckscher-Ohlin. Le principal aspect de cette théorie est que les pays vont se spécialiser dans la production de biens qui sont intensifs dans un des facteurs de production (travail ou capital) qui est présent en abondance dans le pays. Le modèle explique le commerce international par des différences de dotations factorielles. Si les Etats-Unis possèdent beaucoup de capital, et le Mexique possède beaucoup de travailleurs, cela signifie que le ratio travail/capital est plus faible aux Etats-Unis qu’au Mexique. L’industrie mexicaine va donc tendre à produire des biens intensifs en facteur travail, parce que le facteur travail est relativement peu coûteux (par rapport au capital). Les Etats-Unis vont exporter des biens intensifs en capital au Mexique, et le Mexique va exporter des biens intensifs en facteur travail aux Etats-Unis.

 

Mais il existe des problèmes empiriques à la théorie ricardienne :

-contrairement aux prédictions, les Etats-Unis exportent plus de biens intensifs en facteur travail qu’ils n’en importent

-les pays ne se spécialisent pas autant que dans les modèles, et le commerce intra-branche représente une large partie des échanges internationaux et ne sont pas pris en compte par la théorie ricardienne

-le commerce international ne semble pas entraîner de redistribution des revenus (contrairement à ce qui était prévu par le théorème Stolper-Samuelson d’égalisation des prix des facteurs au niveau international).

 

Les économistes ont tenté d’expliquer cela avec les économies d’échelle, mais il a fallu attendre Krugman pour obtenir un modèle formel. Krugman a aussi eu des inspirations originales et les a développées. Il a fait cela en adoptant une innovation récente de modélisation dans le modèle de Dixit et Stiglitz (1977) qui rend plus facile la modélisation de la compétition monopolistique.

 

Dans l’hypothèse où tous les agents ont des coûts comparatifs, des technologies et des goûts identiques, et qu’il n’existe qu’un seul facteur, il n’y a aucun avantage à s’intégrer au commerce international (contrairement à ce qu’avaient montré les autres théories). En revanche, dès qu’on fait entrer les économies d’échelles (le coût moyen diminue quand on produit davantage en raison des coûts fixes), alors il n’y a pas de compétition parfaite. Il y aura alors moins de firmes, et chaque firme va produire davantage pour gagner des parts de marché.

 

La taille d’une économie est importante pour le bien-être. Toutes choses étant égales, les plus grosses économies – avec le plus de résidents – sont les plus riches. Cela s’explique par le fait que les pays densément peuplés vont avoir une plus grande demande et une plus grande production. Une plus grande production signifie de plus grands rendements d’échelle, ce qui réduit le coût moyen. Les prix baissent, le salaire réel s’accroît, le nombre de firmes augmente et donc la diversité de produits disponibles augmente.

 

Le commerce international créé des bénéfices similaires à la taille de la population. Si le commerce international se développe entre – par exemple – les Etats-Unis et la Chine, le marché de chaque firme va grandir. Il y aura une baisse du nombre total de firmes (par rapport à la situation autarcique), et les firmes restantes vont produire davantage, pour un prix plus faible, et les consommateurs de chaque pays vont profiter d’une plus grande variété de produits. Ainsi, même si les raisons classiques du commerce international (les avantages comparatifs) n’existent, le commerce international est toujours bénéfique, grâce aux économies d’échelle.

 

Etant donné que les pays avec le plus grand marché sont aussi les pays où les salaires réels sont les plus hauts, cela signifie que si un pays applique des barrières aux échanges, le facteur travail va émigrer vers le pays avec le plus grand marché intérieur. A mesure que l’immigration augmente, le marché grandit, les salaires réels et la diversité de produits augmentent. Le pays qui a appliqué des barrières au commerce va donc, au final, être encore plus pauvre, car la diversité de produits et les salaires réels ont baissé.

 

Enfin, le type de commerce entre deux pays a beaucoup à voir avec les dotations factorielles. Si deux pays ont les mêmes dotations, alors le commerce sera du type intra-branches. Si la dotation factorielle est plus unique, c’est le commerce inter-branches qui va prévaloir, comme dans le modèle HOS.

 

L’argument des rendements d’échelles que Krugman a formalisé permet aux économistes d’expliquer plein d’aspects du commerce international qui étaient inexplicables par la théorie ricardienne. Si il y a des économies d’échelle – les firmes sont en concurrence monopolistique – les marchés vont être composés d’un faible nombre de firmes, qui produisent chacune une grande quantité de biens. Dans ce cas, il y aura des gains aux échanges qui prendront la forme de prix plus faibles et de plus grande diversité des biens disponibles.