Une jeune bordelaise a publié un ouvrage pour surmonter le sentiment d'impuissance et de désespoir parfois ressenti face à la crise écologique.
Alors qu'elle alimentait depuis quelques années son blog dédié à la question écologique "La Révolution des tortues" (80000 lecteurs par jour, blog qu'elle a fermé), Anaelle Sorignet en a eu marre. Un jour, elle a ressenti le besoin de parler de son "éco anxiété" à ses lecteurs. Sans filtre, elle leur a fait part de ses doutes, de son sentiment d'impuissance, de son désarroi, de ses colères et de son épuisement à tenter de sauver le monde. À sa plus grande surprise, elle a reçu de nombreux messages. "Je ne m'y attendais pas. À chaque fois, les lecteurs me disaient être soulagés de ne pas être seuls à ressentir ces sentiments", raconte-t-elle.
Quelques années plus tard, elle a décidé d'écrire un livre sur ce sujet, situé entre le développement personnel et écologie.
Son titre, "On ne sauvera pas le monde avec des pailles...
Présentation de son livre: https://www.apesa.fr/on-ne-sauvera-pas-le-monde-avec-des-pailles-en-bambou/
Extraits “choisis” du livre
En résumé, je dirais que ce qui est à jeter de toute urgence, ce ne sont pas les “petits gestes” tant décriés, mais le discours qui propulse le consumérisme vert et les pseudo-solutions au rang d'engagements écologiques par excellence, laissant les individus totalement désemparés quand ils constatent le grand écart entre leurs intentions et le résultat de leurs actions.
La fable du colibri est hélas parfaitement compatible avec le capitalisme, car elle nous encourage à nous agiter dans le vent, ancre l'impuissance en nous et ratiboise nos ambitions en nous faisant croire qu'il n'y a pas d'autre action possible. Or, il y a une infinité d'alternatives pour qui sait penser hors du cadre…
Pour rappel la fable du colibri ICI
De “faire sa part” à “avoir un impact”
Sur Internet, certains articles suggèrent l'existence d'une suite à la fable du colibri: un sanglier déterminé s'attaque aux responsables de l'incendie, chargeant les hommes et perçant les réserves d'essence avec ses défenses. Alpagué par le tatou affolé, qui lui reproche son comportement téméraire, le sanglier répond alors : «Réveille-toi, tatou, je fais le nécessaire. ».
“Faire le nécessaire” me semble être un leitmotiv déjà plus intéressant que “faire sa part”, mais reste à savoir comment déterminer ce qui est nécessaire... Dans la fable, les animaux ont face à eux un problème d'ampleur,mais circonscrit. L'incendie est limité à la forêt, et ils en connaissent l'origine: il leur suffit de chasser les humains, et d'éteindre les flammes pour revenir à la normale.
Dans le monde réel, c'est une tout autre paire de manches. Les catastrophes sont innombrables, mais beaucoup d'entre elles sont invisibles ou se déroulent loin de nos yeux, sans parler de celles qui n'ont pas encore eu lieu. Quant au " capitalisme”, il a le défaut d'être un peu nébuleux, pour un coupable... Qu'est-ce que le nécessaire dans ce contexte? Comment mettre le système responsable de la situation actuelle hors d'état de nuire?
Pour les partisans de l'écologie radicale, il faut lutter: précipiter la fin de la civilisation industrielle et capitaliste, responsable de la destruction du vivant, par des perturbations massives (grèves, blocages, etc.) et le sabotage des infrastructures clés. Le modèle actuel ne pouvant pas être réformé (et une réforme n'étant de toute façon pas souhaitable puisqu'elle ne ferait que repousser le problème à plus tard), il faut provoquer son effondrement au plus vite, pour sauver ce qui peut encore l'être.
Je ne crois pas m'avancer trop en disant que peu d'individus choisiront cette voie. Qui est prêt à mettre sa vie en danger pour précipiter la fin de tous ses repères, même si ces repères sont ceux d'un système destructeur et mortifère? Qui a envie de précipiter la survenue du chaos, même si nous ne pourrons vraisemblablement pas lui échapper?
Est-ce que c'est ça, faire le nécessaire? J'ai bien peur qu'il n'y ait pas de réponse à cette question, et qu'après une courte parenthèse dans l'Histoire où nous avons cru pouvoir tout prévoir et planifier, l'incertitude redevienne la norme. D'ailleurs, c'est peut-être le principal enseignement de l'épidémie de COVID-19, que personne ou presque n'avait vu venir...
Alors à défaut d'avoir des certitudes ou de pouvoir déterminer ce qui est nécessaire, la meilleure question à se poser me semble être celle de l'entrepreneur et professeur Philippe Silberzahn: “Que puis-je faire à mon niveau, avec ce que j'ai sous la main, qui ait un vrai impact?”
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À chacun d'explorer cette question, avec lucidité sur la situation globale, mais en concentrant son attention là où il y a du pouvoir autour de soi, via des actions ambitieuses mais concrètes, en tenant compte de ses talents et de ses atouts, en sollicitant les personnes qui veulent se joindre à nous...
Ce changement de focus semble presque être un détail, mais c'est tout le contraire: moins nous dépenserons d'énergie dans des actions sans queue ni tête car elles visent un but impossible à atteindre (“ sauver le monde”), plus nous en aurons pour impacter réellement des choses autour de nous.
Il y a mille façons d'agir, autres que d'acheter des lingettes lavables et éteindre sa box Internet la nuit : par exemple, changer de job ou de domaine pour un emploi qui a plus de sens, accroître son autonomie alimentaire et énergétique en relocalisant un maximum son mode de vie, se lancer dans l'entrepreneuriat pour faire évoluer les pratiques de son secteur, monter un collectif ou une association qui œuvre pour la vie locale...
Mais pour inventer des alternatives, encore faut-il pouvoir penser hors du cadre. Tout au long de ce livre, vous trouverez des exemples et témoignages de personnes qui ont décidé de penser et de faire autrement. J'espère que vous y trouverez des clés pour tracer votre propre route...
Que pouvez-vous mettre en place à partir de vous-même, de vos capacités et de ce qui vous anime? Quelle est la première pierre de l'action ambitieuse que vous rêvez de mettre en place? Quel projet irait dans le sens de vos convictions, mais aussi de vos vrais désirs?
Lucidité, acceptation et reprise de pouvoir
Ces dernières années, les impacts du dérèglement climatique et de la perturbation des écosystèmes nous sont apparus plus clairement que jamais: incendies ravageurs, ouragans, canicules, disparitions d'espèces, pollutions spectaculaires, pandémies... Même si les médias traitent superficiellement ces sujets, nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. Les projections scientifiques ne cessent de s'aggraver; les sonnettes d'alarme sont tirées de tous les côtés. Le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens Comment tout peut s'effondrer (Seuil, 2015), qui a fait connaître la collapsologie en France, est un best-seller. Nous savons que le monde tel que nous le connaissons va disparaître. Que tôt ou tard, notre civilisation industrielle parfaitement insoutenable va s'effondrer. Et que plus elle perdure et fait des dégâts, moins elle nous laisse de temps et de ressources pour nous préparer, nous adapter, commencer à bâtir la suite.
Face à de telles projections, comment ne pas sentir l'urgence nous prendre à la gorge? Qui n'a jamais eu envie de prendre un mégaphone, descendre dans la rue et hurler à tout le monde de se secouer?
Localement, les idées fusent et les solutions sont nombreuses; mais globalement, la situation est critique. Ces premières réflexions n'avaient d'autre but que de défaire les illusions à ce sujet, pas pour le plaisir de remuer le couteau dans la plaie, mais parce que l'acceptation de la réalité, avec tous les ressentis douloureux qu'elle implique, est une étape essentielle pour retrouver du pouvoir d'action.
RENOUER AVEC SES ÉMOTIONS ET SES DÉSIRS
Avant d'écrire ce livre, j'ai été prise d'une boulimie de lecture d'articles et d'ouvrages et de consultation de vidéos, podcasts, interviews, etc., sur l'écologie. J'étais déjà surinformée, mais chaque ressource en appelait une autre, qui en appelait une autre... Mon cerveau était noyé d'informations, mais je continuais, car dans un coin de ma tête il y avait l'espoir de trouver LA bonne explication du monde qui donnerait LA solution à tous nos problèmes.
J'aimerais vous glisser le même genre d'avertissement qu'avant les trucs spectaculaires à la télé: lecteurs, ne faites pas ça chez vous. (À moins que vous teniez absolument à passer vos journées en hyperventilation, à tenter de vagues exercices de cohérence cardiaque pour ne pas partir en crise de panique.)
L'écriture de ce livre n'a pas été de tout repos, mais elle m'a fait réaliser quelque chose de précieux de mon enfance à mes 29 ans, ma priorité - inconsciente - a été de comprendre le monde. J'ai voué une quantité d'énergie phénoménale à décortiquer, analyser et expliquer ce que je vivais et ce qui m'entourait - plutôt qu'à vivre, tout simplement. Je cherchais une grille de lecture du monde qui m'expliquerait pourquoi il ne tournait pas rond, pourquoi la souffrance, la bêtise, la cupidité, le cynisme, l'injustice, la haine... (Bisounours, vous avez dit?) Et surtout, comment résoudre tout ça.
Cette quête de savoir et de compréhension m'a-t-elle rendue plus heureuse? Je ne crois pas, non.
M'a-t-elle donné plus de capacités d'action que les autres, un plus grand pouvoir sur les choses? Non plus.
En revanche, elle m'a valu un stress chronique, plusieurs dépressions, une maladie de Crohn, et un sentiment général de lourdeur, de ne pas savoir profiter de ce que j'avais... En fait, plus je m'acharnais à expliquer le fonctionnement des choses, plus j'avais la sensation de passer à côté de ma vie.
Récemment, j'ai vu que mon obsession de tout comprendre était un mécanisme de défense bien rôdé face aux souffrances que j'avais pu rencontrer enfant, et à la révoltante irrationalité de l'existence. C'était mon bouclier contre les angoisses métaphysiques, en quelque sorte. Un bouclier à l'efficacité très discutable, certes, mais à l'image de ce qui obsède l'Occident depuis Descartes tout expliquer et tout rationaliser! Comprendre donne l'illusion de maîtriser: on peut prévoir, mesurer, planifier, anticiper, contrôler... Et taxer d'irrationnel tout ce qui ne rentre pas dans nos petites cases, voire en contester l'existence. Bien pratique pour se rassurer.
Être curieux, c'est chouette. Mais quand la curiosité vire à la recherche frénétique d'explications et de solutions, elle indique surtout une peur plus ou moins consciente de l'inconnu et de la souffrance. Une peur de vivre sans carte et sans mode d'emploi, dans un monde qui n'a ni queue ni tête (et que l'être humain s'acharne à détraquer, alors qu'il en est dépendant - soupir).
Il est normal de ressentir de la peur, de la tristesse, de la colère dans un monde qui va mal. Aucune explication, aucun “pourquoi du comment” ne peut nous protéger de ça. Il m'a fallu écrire dans la douleur pour réaliser que mon obsession de comprendre était une tentative désespérée de ne plus souffrir...
À tous ceux qui comme moi sont atteints de la comprenite aiguë: j'ai testé pour vous, et ça ne marche pas. Au mieux, vous obtiendrez une anesthésie générale de vos émotions (toutes, y compris les plus agréables comme la joie, la gratitude, la sérénité, etc.), de votre inspiration, de votre créativité. Au pire, vous renforcerez votre angoisse, votre colère, votre tristesse, votre sentiment d'impuissance en leur refusant le droit de s'exprimer.
On peut lutter indéfiniment contre ses émotions difficiles: c'est ce qu'on fait quand on élabore des plans d'action pour “sauver le monde”, qui sont en fait des plans d'action pour ne plus avoir peur. Mais l'écologie serait infiniment plus puissante si nous ne consacrions pas l'essentiel de notre énergie à fuir (et renforcer) les émotions douloureuses que provoque en nous l'état de la planète. Si nous entrions un peu moins au contact du monde par le biais de la raison, et beaucoup plus par celui des sens. Si nous nous connections à ce qui nous anime vraiment, au lieu de chercher à éviter ce qui nous fait peur.
Dans cette deuxième partie, je vous invite donc à lâcher un peu le mental, pour aller à la rencontre de vos émotions et de vos désirs…
Lien vers citations et témoignages du livre: ICI
Podcasts:
- https://le-pompon.fr/project/episode-5-anaelle-sorignet/
- https://podcast.ausha.co/le-bon-tempo-et-si-le-temps-devenait-notre-allie/capsule-4-anaelle-sorignet-faut-il-avoir-ou-etre-pour-garder-le-moral
Elle parle de la fable du colibri de 18min à 21min30