Récit
Cordel Chic, une collection particulière.
(petite histoire) par Hélène Jolis
Un jour j'ai demandé à José Mindlin, grand bibliophile brésilien, comment on devenait bibliophile. Il m'a répondu : " comme on tombe amoureux " ; et moi, je suis tombée amoureuse des Cordels.
Il y a bien longtemps, j'étais très curieuse de gravures sur bois expressionnistes, de gravures chinoises. J'ai entendu parler de livres populaires au Brésil avec un bois gravé en couverture et vu quelques reproductions photographiques, sans savoir si ce type de livre existait encore.
Bien plus tard, à Rio de Janeiro, Marisa m'a dit : " Tu en trouveras dans le Nord-Est ".
Les tout premiers Cordels, je les ai trouvés sur le Mercado Modelo à São Salvador de Bahia.
Salvador, capitale du Brésil au début de la colonisation, cumule la beauté de son passé baroque, ses 365 églises et la réalité contemporaine d'une énorme ville. Salvador, capitale de l'état de Bahia, berceau musical intarissable, est aussi un haut lieu de misère, de foi, de créativité. Sur les marchés on trouve tout ce qui se cultive et se fabrique dans les environs. On trouve tout, y compris la baraque en planches avec étalage de BULE-BULE ; c'est son surnom et son nom d'artiste, revendeur de Cordeis, lui-même cordeliste et repentiste; mais cela, il ne le dit pas tout de suite.
Il n'est pas à son étalage ; je l'ai attendu longtemps en papotant avec les marchands voisins qui s'occupaient de ses affaires en son absence. Il arrive, sous son grand chapeau de cuir. Une grande barbe, un énorme sourire. Bule-Bule vend des livres d'occasion et des Cordels.
Les Cordels présentés sur sa petite planche ou bien accrochés aux ficelles ont des couvertures pimpantes, imprimées en couleur ; le dessin est souvent illustratif à l'excès comme dans tous les journaux populaires du monde. J'en ai choisi quelques uns, tout en bavardant. J'insistais pour savoir s'il s'en fait encore avec des xylogravures en couverture.
...Il gardait ceux qui m'intéressaient rangés au fin fond de caisses, sous sa réserve de tout, à l'intérieur de la baraque. Difficile de les lui faire sortir! Mangés par les insectes, cassés, tachés de rouille à l'agrafe, de moisissures, il y avait pourtant de quoi m'enchanter. Nous avons bavardé loin, jusqu'à la nuit.
Cette rencontre, ces premiers livres, ont réveillé ma curiosité.
Ces livres existent, se font encore, il suffit de les chercher.
" La Lettre de Satan à l'Ami George Bush " de Zé da Madalena, illustration de Palito, je l'ai trouvée chez José Francisco Borges, cordeliste graveur éditeur imprimeur du Pernambouco, célèbre et chaleureux.
Je cherchais J.Borges sous prétexte de lui demander de vive voix s'il accepterait de voir un de ses textes traduit en français et s'il ferait 3 gravures supplémentaires pour les illustrations intérieures. Le tout pour Monique Mathieu qui rêvait d'éditer trois Cordels de bibliophilie.
Son atelier, magasin, imprimerie dénommée "Casa da Cultura", est dans la banlieue de Bezerros. Sur la gauche en venant de Recife. Il est là. Un enfant va le chercher. Dans la pièce où il reçoit les visiteurs, deux murs sont des étagères emplies de livres de Cordel édités par la maison ou d'ailleurs, attachés en paquet par une ficelle, on n'en sort pas du Cordel. Les autres murs sont couverts de gravures, de bois matrices. Quelques photos. L'atelier d'impression est dans la pièce à coté, il s'y imprime affiches, publicités, Cordels. L'édition de Cordels ne suffit pas à faire vivre une famille nombreuse. Cet homme de talent est simple et conscient de l'intérêt que lui portent les étrangers et les chercheurs brésiliens(1), il répond, naturellement aimable. Il parle avec plaisir de son métier, de sa production, des hommages reçus, du bois qu'il emploie (Umburana, le cœur, dans le sens du fil, un bois qui ne travaille pas, résiste aux insectes, au temps, à l'eau ), des outils qu'il se fabrique pour graver, de la ville autour, de son enfance et de la vie d'alors.
J'ai fait une provision de livres, ceux qui me plaisaient beaucoup. Tous ont une xylogravure en couverture. (Un collectionneur véritable en aurait pris un de chaque, n'est ce pas ?)
Les Cordels ornés de bois gravés sont en vogue auprès d'une autre clientèle composée d'intellectuels brésiliens et étrangers : folkloristes, ethnologues, sociologues et... touristes amateurs d'art populaire.
Les techniques de composition et de reproduction évoluent, de plus en plus l’ordinateur remplace le plomb et le bois dans les imprimeries; de nouvelles maisons d’édition voient le jour qui offrent un nouvel espoir de production et de diffusion au cordel. Tant qu’il y aura des lecteurs il y aura des Cordels.
Dans la collection qui nous occupe, la gravure sur bois est un choix. - option touriste.
J'aime la gravure sur bois, l'art populaire vivant, le Brésil et les livres.
(1). Le Centre Culturel de la Banque du Brésil à Brasilia lui a consacré en 2004 une grande exposition et un catalogue magnifique : A arte de J.Borges : Do Cordel à xilogravura, Centro Cultural Banco do Brasil, Brasilia, 6 de abril a 16 de maio 2004.