2020-07 : 15 ANS DE DACIA -
Coup de génie du Président

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HISTOIRE

15 ANS DE DACIA

Coup de génie

du président

J’avais depuis la fin des années

80 l’idée qu’il fallait donner trois

marques au groupe Renault, à

l’image du groupe Volkswagen, qui

possédait VW, Audi et Seat. Renault,

la marque centrale, devait devenir la

première marque en Europe, encadrée

d’une marque haut de gamme

et d’une marque premier prix.

Si l’européanisation de Renault était un préalable

stratégique, je considérais que Renault n’avait ni

les produits ni l’image permettant une expansion

mondiale alors même qu’à l’évidence les marchés

émergents hors Europe occidentale étaient

ceux qui avaient le plus fort potentiel de

croissance.

Pour la marque haut de gamme, nous n’avions

les moyens ni de créer ou ressusciter une

marque, compte tenu de la domination des allemands,

ni d’acheter un constructeur haut de

gamme. La fusion avec Volvo était la seule voie

possible. Après son échec, il restait la perspective

de développer une marque premier prix.

Première tentative avec Škoda

Une première tentative fut faite en 1989-1990

pour acheter Škoda. VW, beaucoup mieux armé

et préparé que nous, emporta la mise. Ma

conviction était toutefois que VW faisait fausse

route en s’attachant à rapprocher trop Škoda et

Seat de la marque Volkswagen.

La première indication que je donnais de cette

recherche d’une marque premier prix fut en réponse

à une question d’un participant à la réunion

des cadres supérieurs du Groupe (niveau III

C) de 1995 où j’annonçais l’internationalisation

de Renault.

L’écart de revenus des classes moyennes des

pays émergents avec celui des pays riches, le

succès dans ces pays de produits périmés et

dépassés mais peu coûteux (Lada en Russie,

Ambassador en Inde, Peykan en Iran) me confirmaient

dans l’idée qu’il fallait créer une voiture

significativement moins chère que les nôtres

mais moderne et robuste.

Quand je parlais d’un tel projet en interne, les

ingénieurs me répondaient qu’il n’était pas réalisable,

les commerçants qu’il n’était pas vendable

et nous n’avancions pas, à ma grande

frustration.

L’accélération vint d’une visite en Russie où j’accompagnais

Si le succès de Dacia est devenu aujourd’hui comme une évidence

quinze ans après sa commercialisation en France, la création de la seule

et unique marque automobile premier prix est née d’abord de la vision et

ensuite de la volonté farouche du président Louis Schweitzer.

Témoignage exceptionnel.

Alors qu’une

série limitée

transversale

à toute la gamme célèbre

aujourd’hui les 15 ans de marque

Dacia « by Renault », la recette de son

succès n’a jamais pu être reproduite

par aucun concurrent.

La fausse piste Škoda

À l’automne 1990, Renault

et VW restaient les deux

concurrents en lice pour la

reprise de Škoda, et à ce

titre nous avons reçu à

Lardy une forte délégation

du constructeur tchèque

pour leur faire essayer les

fleurons de notre future

gamme, y compris les protos

Twingo. Je me souviens que

le directeur général de Škoda,

qui était à la tête de cette

délégation, n’avait visiblement

aucun intérêt pour ces essais,

qu’il snobait ostensiblement en

flânant le long de la piste.

Je m’en étais étonné auprès du

président Raymond Lévy, qui

m’avait informé qu’il savait que

le choix de VW était visiblement

déjà fait, peut-être suite à une

somptueuse visite des

dirigeants et responsables

syndicaux de Škoda au Brésil à

l’occasion du carnaval, mais

que l’on continuait à « jouer le

jeu », ne serait-ce que pour

faire monter les enchères…

YVES DUBREIL

.

Jacques Chirac. Je visitais une immense

concession Lada où l’on m’expliqua que

le prix de vente moyen de ces véhicules, des Fiat

124 des années 1960 mal fabriquées, était de

6 000 dollars.

Je tenais le bon prix ! Il était assez bas pour nous

obliger à concevoir un véhicule spécifique.

D’autre part, je ne pouvais croire que quarante

ans de progrès automobile ne nous permettent

pas de concevoir et de fabriquer pour ce prix de

vente, un véhicule moderne de bonne qualité.

Une voiture moderne, robuste et ayant

un prix de vente de 6 000 dollars

J’avais donc mon cahier de charges : une voiture

moderne (elle devait satisfaire les normes réglementaires

européennes) robuste et ayant un prix

de vente de 6 000 dollars. Encore fallait-il mettre

en marche l’entreprise sur ce projet. À ce stade,

j’avais deux alliés : Manuel Gomez, directeur des

affaires internationales, et Patrick Le Quément,

directeur du design industriel.

L’achat de Dacia, pour un peu moins de 50 millions

de dollars, motivait nos ingénieurs et industriels

pour donner un produit qui permette de

faire tourner cette usine où les salaires étaient de

l’ordre d’un euro de l’heure.

J’annonçais à la radio que Renault allait lancer

une voiture à 6 000 dollars, mettant l’entreprise

au défi. Or Renault adore les défis.

Je trouvais un directeur de programme en la personne

de Jean-Marie Hurtiger, qui s’engagea

avec enthousiasme, une détermination sans

faille, une compétence et une capacité de mobilisation

remarquables.

À partir de là, l’ingénierie, le design et les fabricants

se mirent au travail et obtinrent des résultats

qui suscitèrent et suscitent encore mon

admiration.

Les maquettes design, les premiers essais à Aubevoye

me convainquirent que nous avions une

bonne voiture répondant pleinement au cahier

des charges et que nous tenions un très grand

succès.

En revanche, ni les commerçants, ni le comité

exécutif ni Carlos Ghosn ne croyaient au projet.

La présentation de la Logan au Technocentre,

lieu que j’avais choisi contre l’avis des communicants,

fut un triomphe, les journalistes comprenant

que la Logan était une innovation majeure,

cohérente avec l’évolution de l’attitude de beaucoup

d’acheteurs automobiles même dans les

pays riches. Il était dès lors évident que la Logan

devait être lancée dans ces pays et particulièrement

en France, ce que je n’avais pas voulu annoncer

auparavant de peur que cela n’incite à

relever les exigences de prestations du cahier

des charges et donc le prix. Les commerçants

de Renault n’étaient toujours pas convaincus.

Une de mes très rares colères chez Renault fut

quand dans une conférence-programme le marketing

présenta des prévisions de vente 2005 de

80 000 véhicules, soit nettement moins que la

capacité de production de l’usine de Pitesti.

Files d’attente devant les concessions

L’étape suivante fut le lancement commercial en

Roumanie. Je me souviens encore des photos

apportées au comité exécutif du Groupe par

Luc-Alexandre Ménard, qui avait succédé à Manuel

Gomez en 2002, montrant les files d’attente

du public devant les concessions.

La suite pour moi fut d’accélérer la constitution

d’une gamme Dacia complète, bicorps, break,

pick-up afin qu’au mois de juin 2005, au moment

où j’avais choisi de passer la main à Carlos

Ghosn, toujours hostile, le projet soit irréversible.

A vrai dire, je suis convaincu que seul Renault,

avec son goût du défi, sa capacité d’innovation

conceptuelle et son savoir-faire spécifique pouvait

réaliser ce projet.

LOUIS SCHWEITZER POUR RENAULT HISTOIRE

Succès de foule pour la Logan sur

les Champs-Élysées, à l’Atelier Renault,

en mai 2005. Chacun voulait voir et

toucher la nouvelle voiture du « juste

nécessaire » qui rompait avec

l’engrenage du « toujours plus ».

« Je suis convaincu que seul Renault, avec son

goût du défi, sa capacité d’innovation et son

savoir-faire spécifique pouvait réaliser ce projet »

Louis Schweitzer

Si l’esthétique n’était pas la priorité, le patron du

design, Patrick Le Quément, eut la lucidité de

soutenir le projet, au contraire des commerciaux.

Monobloc, la planche bord de Logan était dessinée pour faciliter son

montage et durer sans vibrer.

Après la très frugale Logan, Duster attira

une nouvelle clientèle chez Dacia.

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