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HISTOIRE
IL Y A VINGT ANS
La naissance de l’Alliance
Même si elle subit actuellement quelques réflexions quant à la manière dont elle doit
évoluer, l’Alliance, dont le pacte fut signé il y a tout juste vingt ans entre Renault et
Nissan, reste un modèle du genre à l’échelle de l’histoire de l’industrie automobile.
L
e 10 mars 1999, coup de tonnerre
au salon de Genève :
Daimler Chrysler renonce à rester
en lice pour sauver Nissan de la
faillite, et Renault reste seul prétendant.
Il faut dire que la situation
de Nissan n’est pas brillante, au
point que Bob Lutz, emblématique dirigeant de
l’automobile à Detroit, déclare que Renault aurait
mieux fait de mettre des lingots d’or dans un
container et de le couler au milieu du Pacifique…
Qu’allait donc faire Renault dans cette « galère
» ? Il faut remonter quelques années en arrière
pour comprendre l’enchaînement des
événements. Il y a d’abord l’échec du projet de
fusion avec Volvo, qui a laissé Renault sur sa
faim, en décembre 1993, mais dont le retour
d’expérience sera précieux dans les négociations
avec Nissan et dans la décision de privatiser
l’entreprise, effective dès juillet 1996. Il y a
aussi le constat que, comme le titre le magazine
l’Expansion à l’époque, Renault reste trop petit,
trop seul, trop français ! Face à cet impératif de
grandir et de s’internationaliser, le président
Louis Schweitzer lance le débat à la réunion des
cadres supérieurs et dirigeants de Renault en
1995. Certains se rappellent qu’à la demande
des cadres d’acquérir une marque de luxe Louis
Schweitzer répond qu’il faut plutôt à Renault une
marque bon marché. Ce sera Dacia…
D’autre part, en mai 1995, Renault organise un
séminaire de réflexion stratégique impliquant
tous les métiers de l’entreprise : « Cible – ou possibles
– 2010 ». Il en ressort que les perspectives
de croissance se situent surtout en Asie, puis
Amérique latine et dans les pays de l’Europe
centrale et de l’Est. La première réponse de
Renault s’appuie sur son implantation en Turquie
et son projet en démarrage au Brésil. En
juillet 1998, l’entreprise signe un accord avec la
mairie de Moscou pour la création d’Avtoframos.
Pour financer des opérations internationales,
Renault a maintenant les moyens : plus-value
sur la rupture avec Volvo, effets du plan d’économie
dirigé par Carlos Ghosn depuis octobre
1996, succès du Scénic… Au point que
Louis Schweitzer confie à Alain Dassas, de la
direction financière : « […] Eh bien, cet argent, on
va le dépenser ! » Les regards se tournent alors
vers la Corée et surtout le Japon, affaiblis par la
crise asiatique de fin 1997. Des missions exploratoires
sont organisées en Extrême-Orient. En
Corée, Hyundai, en train d’absorber Kia et
Daewoo, qui fait face à de premières difficultés,
est aux abonnés absents. Samsung Motors serait
une possibilité, mais dépend totalement de
Nissan pour sa technologie.
Les émissaires Renault visitent
les constructeurs japonais
Au Japon, Toyota et Honda sont hors de portée.
Les émissaires du Losange visitent Mitsubishi
Motors, Suzuki, Subaru, Nissan, et même Honda.
Seuls Nissan et Mitsubishi Motors restent en
lice. Plus grand, le premier offre plus de potentiel,
mais il est en plus mauvais état financier. Par
contre, il possède l’avantage d’une remarquable
compétence en maîtrise des process et de qualité,
ce qui est bien complémentaire des compétences
de Renault. Louis Schweitzer écrit aux
P.-D.G. de Nissan et de Mitsubishi pour leur proposer
l’ouverture d’un dialogue stratégique. Les
deux donnent leur accord. Il rencontre ainsi Yoshikazu
Hanawa, P.-D.G. de Nissan, à Tokyo les
21 et 22 juillet 1998. Mitsubishi Motors se retire
en septembre, car il ne se sent pas assez sous
contrainte pour accepter de se vendre. Il ne reste
donc que Nissan comme hypothèse crédible.
Les rencontres entre Louis Schweitzer et Yoshikazu
Hanawa se multiplient, d’abord le 28 septembre
dans un hôtel parisien, puis le 28 octobre
à Singapour. Ce dernier rendez-vous se passe
mal : Yoshikazu Hanawa annonce que Daimler
Chrysler et même Ford sont toujours en course
et qu’il n’y a pas d’exclusivité pour Renault. Heureusement,
ça se passe mieux les 10 et 11 novembre
devant le comité exécutif de Nissan à
Tokyo, où Carlos Ghosn fait une démonstration
de cost killer en expliquant son plan d’économie
réussi chez Renault. Nissan parle toujours avec
Daimler Chrysler, mais plus pour trouver un accord
sur les VU avec Nissan Diesel. Des contacts
Fin 2005, la double sortie de la Nissan Note et de
Clio III, qui partagent la même plate-forme, célèbre
les vertus de l’Alliance.
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croisés entre Nissan et Renault sont organisés et
il en ressort que Nissan peut retrouver une situation
bénéficiaire rien qu’avec les gains possibles
sur les achats. Et, si la dette totale est colossale,
le potentiel d’économie lié à la liquidation d’une
bonne partie du Keiretsu — ces équipementiers
inféodés au constructeur — est également
énorme. Mais il est également évident que seul
un gaijin — un non-Japonais — pourrait s’attaquer
à ce bastion du Keiretsu, trop profondément
lié à la tradition industrielle nippone.
Comme l’est également l’emploi à vie…
Début 1999, Daimler fait un grand show triomphaliste
à Tokyo sur sa prise de contrôle de Chrysler.
Un choix stratégique qui entraînera trois mois plus
tard le retrait du groupe allemand de ses négociations
avec Nissan. La voie est libre pour Renault,
mais le constructeur français n’en profite pas pour
durcir ses exigences, ce qui sera apprécié côté
nippon. Le 13 mars à Roissy, les termes de l’accord
sont trouvés, mais tout reste totalement
confidentiel jusqu’au 27 mars à Tokyo, où l’accord
est signé. « Il ne reste plus qu’à le faire ! »
Depuis longtemps déjà, Carlos Ghosn avait accepté
de prendre la responsabilité de Nissan en
cas d’accord et de rejoindre Nissan avec Thierry
Moulonguet et Patrick Pélata comme membres
du conseil d’administration du constructeur.
Le plan de bataille pour redresser la marque est
déjà prêt dans les moindres détails, comme le
critère de choix des cadres Renault qui allaient
s’expatrier : ne pas prendre seulement les plus
intelligents, mais surtout les plus solides ! Et, par-
dessus tout, il y a cet engagement de Carlos
Ghosn et de son équipe : « On réussit ou on démissionne
collectivement. » Malgré sa rudesse,
le plan de redressement est appliqué sans faillir.
Des 1 394 sociétés qui composent le Keiretsu,
seules quatre sont considérées comme indispensables
!
Des résultats spectaculaires
et atteints plus vite que prévu
Son démantèlement par ventes d’actifs permet
déjà un désendettement massif. Des usines sont
fermées avec à la clé une suppression de 21 000
emplois. Du jamais vu au pays de l’emploi à vie !
La distribution est également réorganisée avec la
fermeture de 20 % des filiales commerciales et
10 % des points de vente. Une nouvelle politique
des achats se met en place. Le potentiel de gain
est considérable sur ce secteur : de 20 à 25 %
sans effet volume.
Malgré les risques étalés sur la place publique,
les financiers n’ont pas lâché le premier constructeur
français. Les résultats sont spectaculaires et
atteints plus vite que prévu : retour aux bénéfices
dès 2001 et marge opérationnelle de 4,5 % dès
2002. Car, contrairement à ce que beaucoup ont
écrit, Carlos Ghosn n’est pas seulement un cost
killer, mais surtout un margin enhancer, un générateur
de marge ! La gamme Nissan, pléthorique
et peu attractive, sera renouvelée grâce à Patrick
Pélata et Shiro Nakamura, directeur du design
recruté chez Isuzu.
Pour tous les acteurs de cette aventure, l’esprit
de ces premières années était un grand enthousiasme
partagé, alimenté par l’engagement de
chacun et l’obtention de résultats spectaculaires.
Par contre, la recherche, l’ingénierie et le manufacturing
de Nissan sont restés des boîtes noires
dont seuls les Japonais avaient la clé.
Le ressort fondamental de cette réussite sans
équivalent dans le monde de l’automobile, c’est
d’abord le choix d’une Alliance avec un grand
« A » plutôt que d’une fusion, ce qui a permis aux
deux entreprises de s’enrichir de leurs diversités.
C’est ensuite la qualité de la machinerie organisationnelle
et managériale de Renault. Sans oublier
sa capacité à prendre des risques. Et, pour
conclure, des journalistes ayant fait remarquer à
Bob Lutz que son avis sur l’Alliance Renault-Nissan
s’était avéré peu clairvoyant, il répondit :
« J’avais oublié un paramètre, l’effet Carlos
Ghosn. » La suite des événements appartient
encore à l’actualité, pas encore à l’Histoire.
YVES DUBREIL DE RENAULT HISTOIRE
Le plan de bataille
pour redresser
Nisan était prêt
avant même
que l’accord
ne soit signé
Le 27 mars 1999 à
Tokyo, la poignée de
mains entre Louis
Schweitzer et ses
nouveaux partenaires
japonais scelle
l’Alliance Renault
Nissan.
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