2016-05 : MARKETING - Premiers pas des études de marché
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MARKETING
Les premiers pas
des études de marché
Impossible aujourd’hui d’imaginer
concevoir, puis lancer, un nouveau
produit sans avoir balisé le terrain
par une batterie d’études de
marché. Pourtant, il n’en a pas
toujours été ainsi…
S
S
i, dans l’histoire du commerce,
les premières études de marché
remontent au milieu des
années 30 aux États-Unis, portées
par une population issue
des milieux de la psychanalyse
et fraîchement immigrée en
provenance d’Europe, la première trace d’une
étude de marché chez Renault remonte au lancement
de la 4CV après la seconde guerre mondiale.
Il est vrai qu’avant cela Louis Renault s’était
toujours montré très réticent à tout ce qui n’était
pas productif, au sens propre du terme, c’est-àdire
directement lié à la production. Et les études
de marché faisaient forcément partie du lot…
Pour la 4CV, Renault a procédé de manière
assez empirique en interviewant des prospects
essentiellement dans son propre entourage: les
salariés de la Régie et ceux de ses fournisseurs.
Les salariés de l’industrie constituant le coeur de
la clientèle d’après-guerre, devant les agriculteurs.
L’étude consistait à soumettre aux
prospects une photographie du profil de la
4CV, portes ouvertes sur les quatre passagers,
accompagnée d’une fiche technique succincte
(90km/h et de 5 à 6l aux 100km) et d’une
évaluation du prix de vente. Georges Toublan,
responsable de l’étude de marché, écrira que
« le plus difficile n’était pas de se faire recevoir,
quelle que soit la position sociale des personnes
visitées, mais de prendre congé après avoir recueilli
les réponses au questionnaire », cela, tant
l’automobile fait rêver au sortir de la guerre.
À l’époque, le choix de la marque ne se pose pas
comme aujourd’hui. On cherche plutôt à savoir
de quelle voiture les gens ont besoin et à quel
rythme il faut la produire. L’étude de marché de la
4CV se prononça pour un rythme de 600 ex/jour.
Un chiffre que Georges Toublan aurait aimé
gonfler de plus de 20 % après avoir eu l’idée
d’organiser une série d’essais clientèle avec des
prototypes. Des essais particulièrement fructueux.
Pourtant, Pierre Lefaucheux, l’administrateur
provisoire de la jeune Régie, statue pour un
rythme médian de 300 véhicules par jour. Il faut
dire que les commerçants freinent tant et plus. Et
que Renault n’a jusqu’alors jamais produit de
modèle à un rythme supérieur à 120 ex/jour.
Même si elle fut quelque peu tempérée par le
commerce, la confiance que Pierre Lefaucheux
afficha envers les études de marché permit à
Renault de prendre une position de force sur le
marché après-guerre.
L’écoute client va étendre
son impact à toute l’entreprise
Il faut néanmoins attendre la fin des années 50
pour que Renault se dote d’un véritable service
des études économiques qui deviendra son outil
de planification. Ensuite, l’écoute client qui représente
le fondement des études de marché va
étendre progressivement son impact à toutes les
strates de l’entreprise. D’une optique de planification
et de commerce ces études vont remonter
en amont du process de conception pour
impacter le produit jusque dans son détail. Pour
faire venir le client, la publicité tient un rôle majeur,
laquelle est d’autant plus efficace qu’elle est
ciblée par une parfaite connaissance du client.
La 4CV fut
la première Renault
à bénéficier d’études
de marché avant
son lancement.
Elles permirent de
convaincre
les commerciaux de
son potentiel.
Ainsi Jean-François de
Andria, chef du service
d’études de marché
de 1966 à 1971, se
rappelle que la R4
avait explosé ses
ventes suite à une
campagne intensive
qui ciblait clairement
une nouvelle clientèle:
« Peu avant 1968, nous
avions observé que la
R4 avait en plus de sa
clientèle traditionnelle, composée de familles
modestes et d’artisanscommerçants,
un gros
potentiel à exploiter auprès d’une clientèle jeune et
anticonformiste. » Et l’essai est si brillamment
transformé que cette image anticonformiste
reste à tout jamais liée à ce modèle…
Mais, s’il est un modèle Renault dont la carrière
colla au plus près des prévisions des études,
c’est bien la R5 lancée en 1972. « Dès 1965, une
étude a essayé de segmenter le marché à l’horizon
1975. Elle a mis en évidence la croissance des
nouveaux venus et l’émergence du marché de
la deuxième voiture avec une forte proportion de
femmes et de jeunes issus du babyboom,
se
souvient Jean-François de Andria. Or ces publics
avaient un rapport à l’automobile totalement différent
de celui de leurs prédécesseurs. Ils y mettaient
une dimension affective, souvent traduite
par un diminutif. Pour qu’une voiture leur plaise,
elle devait avoir l’air marrant. » Si bien que le mot
« marrant » s’est retrouvé écrit en toutes lettres
dans le cahier des charges de la future R5. Avec
le succès que l’on connaît. « La R5 est l’exemple
parfait de la voiture qui a confirmé tout ce que
les études avaient prévu, tant sur le plan de la
définition de son segment, du produit luimême
et
de l’approche publicitaire », confirme Alain de
Dommartin, chef du service d’études de marché
.
Si les études de
marché ne sont pas
une science exacte,
celles qui prévalurent
au lancement de
la R5 furent d’une
justesse absolue. Un
véritable cas d’école.
Pour la 5, Renault a parfaitement anticipé
l’émergence du marché de la deuxième voiture,
avec une forte proportion de femmes et de jeunes.
de 1977 à 1982. Finalement, la seule fausse note
fut l’accueil du directeur commercial France,
qui, rebuté par la face avant, s’était demandé
comment il allait bien pouvoir vendre cette
« automitrailleuse »…
Mais l’art des études de marché est difficile,
comme l’a révélé plus tard le lancement de la
R14, laquelle, au contraire de la R5, va malheureusement
infirmer tous les espoirs placés en
elle. « C’était la première fois que l’on faisait des
tests cliniques aussi tôt: trois ou quatre ans avant
le lancement! Il était donc plus difficile d’analyser
les réactions du public sondé. Et le succès mitigé
de la R14 — près de 50 % de rejet! — lors de ces
tests a été interprété avec beaucoup d’audace,
jugeant que c’était la modernité de la 14 qui choquait.
Et que tout rentrerait dans l’ordre au moment
de sa sortie », raconte Alain de Dommartin.
Après des tests
cliniques mal
interprétés et une
première campagne
de lancement sans
aspérité, la R14 a
marqué les esprits
avec une seconde
sur le thème de
« la poire »,
censée mettre en
exergue l’habitabilité
arrière…
Et, pour ne rien arranger, Renault passe à côté
de sa cible avec une campagne de lancement
particulièrement tiède: « La 7CV de bonheur ».
Laquelle est remplacée six mois plus tard par
une deuxième campagne qui doit mettre en
avant le principal point fort de la voiture: son habitabilité
aux places arrière.
La fausse légende de Twingo
C’est ainsi qu’est lancée la célèbre campagne
de « la poire » qui permit à la voiture de gagner
en notoriété, mais qui en même temps cristallisa
les appréciations négatives. « Toutefois,
contrairement aux idées reçues, ce n’est pas
l’allusion à la bonne poire qui a pu causer
un rejet, mais les deux types d’illustration qui
avait été utilisés, précise Alain de Dommartin.
Le public féminin n’a pas supporté qu’on lui
présente une voiture en écorché et le public
masculin que la voiture flotte dans les airs, sans
aucun lien avec la route. »
C’est d’ailleurs après cet échec de la 14 que
Renault va doubler systématiquement ses
études quantitatives par des études qualitatives
afin d’éviter de telles erreurs d’interprétation.
Terminons en tordant le cou à une légende à
propos de Twingo, qui voudrait que la voiture
s’adressât aux jeunes mais qu’elle doit son succès
commercial à une clientèle âgée. « Ce ne fut
pas une surprise, s’exclame Daniel Leconte,
chef du service d’études de marché de 1982 à
1991. Dès le départ, nous savions que Twingo
allait plaire à la clientèle senior. C’est même la
première fois que nous avions ouvert les tests à
une population supérieure à 50 ans car nous
savions qu’elle correspondait parfaitement à
leurs besoins. Et ils ont directement plébiscité
la voiture ! » Le succès de Twingo auprès des
seniors ne fut donc en aucun cas une surprise
pour le service des études de marché.
PHILIPPE VERHEYDEN POUR RENAULT HISTOIRE
2016I43JANVIER2016 I 43
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