LA RAMBLER À LA TORINO, OU DE HAREN À CORDOBA

par Michel JULLIEN


L’Entreprise de Louis Renault a produit des voitures de prestiges. La 40 CV jusqu’en 1927, puis la prestigieuse série des “Stella”, avec ses moteurs 8 cylindres pour certains modèles comme la Supra Stella, “l’étoile” de la gamme.

Renault étant devenu la RNUR, les choses changèrent. Pierre Lefaucheux relance l’étude de la populaire 4CV, dans l’air du temps, dès 1944. En France, les hauts de gamme disparaissent du paysage des constructeurs français. Cependant, si les 8 cylindres ont effectivement disparu à jamais en France, Renault lance l’étude d’une 11 CV, la Frégate, hélas ! de façon bien chaotique. Ce véhicule étudié et commercialisé précipitamment vivra de 1952 à 1960 pour mourir dans l’oubli général. Toujours à la recherche de l’équation impossible, Renault étudiera plusieurs projets pour tenter de lui succéder, sans succès[1].

RENAULT RAMBLER

C’est alors que Renault choisit une voie bien originale pour s’offrir malgré tout son haut de gamme, toujours jugé indispensable à son statut de grand constructeur. Renault passe un accord avec American Motors Corporation en novembre 1961, pour importer le modèle Rambler, qui se rapproche le plus des canons européens. Il s’agit d’assembler l’auto dans l’usine de Haren en Belgique, où elle arrive en “ CKD[2]” depuis les États-Unis d’Amérique. Cette automobile, c’est la Rambler Classic Six, une 18 CV. Elle est commercialisée en avril 1962 en France, sous le nom de Renault, mais aussi au Benelux, en Autriche et en Algérie. En Grande-Bretagne et dans le reste de l’Europe, la Rambler est aussi commercialisée par American Motors.

Cette Rambler Renault est à l’identique le modèle américain, mis à part les logos Renault et l’ajout de petits feux sur les ailes avant.

Les dimensions de la Rambler semblent, sur le papier, raisonnables : 4,83 m de long et 1,84 m de large ; une DS 19 est moins longue et moins large de 4 cm seulement. Mais sa forme “parallélépipédique”, sa hauteur, en font malgré tout, une voiture imposante assez décalée des “normes” européennes et surtout françaises. De plus, aux USA, c’est un modèle “de gamme moyenne”. Les équipements sont relativement spartiates, avec sa banquette avant, ses accessoires et sa finition intérieure un peu minimalistes.

Le moteur est un 3201 cm3, 6 cylindres en ligne de 129 ch. La vitesse maxi de 150 km/h pour cette auto de 1 295 kg est plus qu’honorable. La consommation est de 11 l/100km. C’est bien entendu une propulsion, avec une boîte mécanique de trois vitesses et première non synchronisée[3]. L’imposant couple moteur pallie (un peu) cette faiblesse. Le freinage est à quatre tambours. La suspension est très classiquement Américaine, essieu rigide à l’arrière et roues indépendantes à l’avant avec, dans les deux cas, des ressorts hélicoïdaux. Elle conservera jusqu’au bout des 185x14 à carcasse radiale !

Son prix est de 18 000 francs comparés aux 12 500 francs d’une DS19. Soit 40 % d’écart… Face aux technologies et au style de la Citroën, la Rambler n’a que son “prestige” américain à mettre en face…

Anecdote : Chapron réalise, à la demande de Renault, une voiture “présidentielle” sur la base de la Rambler Ambassador, pour tenter de reprendre à Citroën le prestigieux marché de la République. L’automobile n’est pas des plus réussie, malgré les derniers cris en matière de blindage et d’équipements sophistiqués. Cette voiture[4] n’emballa pas le Général qui, depuis qu’il fut sauvé au Petit-Clamart par sa DS et sa suspension hydropneumatique, ne jurait que par elle.


[1] La 900, original monocorps étudié en 1958 – La 114, berline V6, à suspension hydraulique abandonnée en 1962.

[2] Completely Knocked Down – (en pièces détachées… )

[3] Un overdrive est proposé en option, ainsi qu’une boîte auto trois vitesses.

[4] Cette automobile est visible au musée automobile du Mans.


Renault Rambler Classic 1966 (photographies Alain Vignaud)Renault

Rambler Rebel 1967 (photographies Alain Vignaud)
On notera les évolutions de carrosserie d’une année sur l’autre.


Torino 300 (médiathèque Renault)


Torino 300 Coupé (médiathèque Renault)

UN PETIT DÉTOUR PAR L’ARGENTINE

Dans les premières années 60, IKA (Industrias Kaiser Argentina)[1] a des projets de véhicule de taille moyenne pour le marché argentin. Pour les réaliser, ce constructeur se tourne, lui aussi vers… American Motors et sa Rambler ! Ce constructeur, venu des USA s’installe en Argentine, construit alors depuis peu des Dauphine sous licence Renault. La Rambler Classic sera donc assemblée simultanément en Argentine et en Belgique, à la suite à des accords croisés, plus ou moins indépendamment les uns des autres, entre AMC - Rambler, IKA et Renault !

En 1964, IKA souhaite compléter sa gamme par un véhicule doté d’un caractère propre et non plus issu d’une simple transposition d’un véhicule américain. Commande est faite à Pinifarina d’un style spécifique. La base mécanique est une Rambler American sortie en 1964, plus récente que la Classic. L’idée est de proposer un véhicule de taille moyenne (vu du marché argentin), haut de gamme et de style italien, avec des performances sportives élevées, pour certaines versions.

Cette auto est entièrement développée en Argentine par IKA sur le design de Pininfarina (qui se différencie fortement des “coutumes” plutôt américaines de l’époque - les phares ronds à l’avant et à l’arrière, l’intérieur “Européen de luxe”, tableau de bord avec bois de noyer, des sièges “sportifs”, etc.) La caisse est conservée et Pinifarina transforme magistralement l’auto en donnant l’illusion d’un nouveau produit, en ne redessinant que les ailes, capots avant et arrière et les accessoires, permettant ainsi une grosse économie d’investissement. La Torino a pu ainsi “s’offrir” deux versions, berline et Coupé.

Le moteur est d’origine Kaiser Motors. C’est un 6 cylindres en ligne équipé d’une culasse en aluminium à un seul arbre à cames en tête baptisé “Tornado Interceptor”, de 3 800 cm3 développant de 155 ch à 176 ch selon les versions. Un 3 000 cm3 de 120 ch existe aussi. La boîte de vitesses est une ZF allemande, fabriquée sous licence en Argentine. L’assemblage est réalisé dans l’usine de Santa Isabel, à Cordoba.

La présentation de l’automobile a lieu le 28 novembre 1966 à Buenos Aires, la commercialisation commence début 1967.



[1] IKA, issue de Kaiser Frazer créé aux USA en 1945, est fondé en 1955 sur l’instigation du gouvernement argentin, qui souhaitait développer l’industrie automobile.

Cette même année, Renault devient actionnaire majoritaire chez IKA, qui prend le nom d’IKA-Renault.


Un programme sportif a été élaboré en même temps que le développement des modèles de série. La Torino remporte dès 1967 sa première victoire et est homologuée en Groupe 2. Une version course client apparaît ; c’est la Torino 380 W de 250 ch de 4000 cm3. La Torino obtiendra même ses lettres de noblesse en Europe en terminant 4e des 84 heures du Nürburgring en 1969[1], sous la houlette de Jean-Manuel Fangio lui-même.

En 1970, Kaiser Industry vend toutes ses parts à Renault qui devient donc propriétaire à 100 % d’IKA-Renault.

Cette même année (1970) la Torino phase 2 est lancée avec quelques évolutions de carrosserie et de motorisation. L’automobile adopte les dénominations commerciales de Renault : Torino L et S (berline moteur 3 800 cm3), Torino TS (berline et coupé 3 800 cm3) et Torino GS coupé, remplaçant la 380 W, avec des motorisations de 185 à 215 ch.



[1] L’idée d’IKA d’exporter des véhicules en Europe s’est cependant toujours heurtée à l’opposition de la direction générale de Renault.


Torino TSX Coupé (photo Jacques Lafitte)

Face arrière Torino TSX Coupé

Face avant Torino TSX Coupé

TORINO R40

En 1971, Renault propriétaire à 100 % de IKA, lance le projet “Torino IV” appelé un peu plus tard “R40”, avec pour objectif de concevoir un véhicule “100% Renault”. L’idée est “d’imposer” un nouveau concept stylistique et technologique pour remplacer la Torino. Cette dernière est clairement une réussite commerciale, mi-européenne, mi-américaine, répondant bien au marché argentin.

Le design est fait par la Maison “Mère”, à Rueil-Malmaison, sous la direction de Gaston Juchet, patron du “Style”. Une maquette échelle 1 est faite en France.

Les éléments mécaniques, moteurs et boîtes de vitesses sont conservés (avec toutefois l’introduction du système d’injection Bosch). Le développement technique est mené par les équipes du Bureau d’études argentin. La caisse est dessinée en France avec l’aide de l’équipe argentine ; celle-ci réalisera les équipements intérieur et extérieur. Un prototype roulant est réalisé à Cordoba.

R40 face arrière

R40 face avant

La R40

Le style de cette R40 est très différent des Torino remplacées ; il préfigure un peu celui des futures Renault 18, en conservant le gabarit de sa devancière.

Le plus fervent défenseur de ce projet, Yvon Lavaud, président de IKA-Renault, disparaît dans un accident d’avion en 1973.

Après de longs mois de discussions, d’essais et de confrontations, le projet[1] est finalement annulé en 1974 par Jean-Louis Chiapello, patron de l’Ingénierie d’IKA, essentiellement pour des raisons économiques.

“L’innovante” remplaçante de la Torino ayant capoté, cette dernière continuera sa carrière commerciale jusqu’en… 1982, qui fut “une année noire pour les compatriotes argentins, amateurs de voitures” ; mais il est vrai qu’au début des années 80, la Renault12 était devenue, en Argentine, un best-seller !



[1] Le prototype roulant a été conservé. Il est au musée de l’Industrie de Cordoba.