05 - Histoire du break de chasse Renault - Ligier

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HISTOIRE DU BREAK DE CHASSE

RENAULT – LIGIER

ROBERT BROYER

Né le 22/03/1938 à Villefranche sur Saône. J’ai été attiré dès 11 ans par le style

automobile et le design industriel des Etats Unis, (disciplines inconnues en France

à l’époque) qui seront le fil conducteur de mon cursus.

Formation technique en secondaire au lycée la Prat’s à Cluny en génie mécanique

puis supérieure au CNAM en mathématique générale, mécanique et aérodyna­mique.

Possédant des dispositions en dessin et sculpture, ma formation dans ces domaines

fut essentiellement autodidacte.

Rentré chez Chausson au BE carrosserie je m’initie au « grand plan de forme » et

aux structures d’ouvrants. Je réalise la maquette de la carrosserie de camouflage

du mulet Renault 114. Remarqué par ce travail et un dossier, j’entre au Centre de

Style Renault en avril 1961. Je le quitte en décembre 1973 après plusieurs carros­series et intérieurs retenus.

Devenu indépendant, je travaille neuf ans en quasi-exclusivité pour Audi avec des

réalisations notables (la 100 de 1981 qui fut le point de départ du style de la

marque).

Pour l’Aérospatiale je réalise: avions, hélicoptère, postes de pilotage, sièges et aména­gements cabines.

J’interviens dans de nombreux domaines du design industriel et transport jusqu’à

ma retraite en 2003… et plus!

L’histoire du Break de Chasse prend sa genèse avec le projet 121 c’est-à-dire la R14. Un grand nombre de projets 121 maquettés à l’échelle 1/5 furent proposés à la Direction Générale par le Style interne Renault et par des consultants extérieurs (Giugiaro, Coggiola). Trois projets furent retenus pour être développés à l’échelle 1/1 (propositions de Pierre Mignon, Jean Toprieux et Robert Broyer). La Direction Générale à la présentation du 08/12/1971 sélectionna mon projet.

Tout en assurant les suivis de la transcription des volumes de la maquette plâtre échelle 1/1 en dessin numérisé (première mondiale pour une carrosserie de série inaugurée par Bézier), et le design de la planche de bord pour lequel mon projet avait été également retenu, je proposais une autre architecture qui remettait en cause le cahier des charges 121.

Il s’agissait d’une profonde modification de l’arrière du véhicule pour obtenir une plus grande flexibilité des fonctionnalités. En conservant la même longueur hors-tout, le train arrière était reculé au maximum. Cette disposition permettait grâce à une baquette coulissante d’ajuster le confort des jambes ou de privilégier le coffre. Cette modularité s’accompagnait d’une fragmentation du dossier rabat-table en 1/3-2/3. Cette disposition se retrouva bien plus tard chez bon nombre de constructeurs. La garde au toit reculée engendrait un arrière proche du break, un traité de volume « travaillé » gommait cet aspect utilitaire. Proche de la R16 par cette habitabilité, cette R14 modifiée renforçait l’expression de la fonction­nalité innovante de son aînée et aurait été mieux perçue comme sa remplaçante. Le traité ainsi de l’arrière enlevait la lourdeur inhérente qu’engendrait le cahier des charges 121.

Maquette à l'échelle

1/5 en clay.

Une maquette en clay1 à l’échelle 1/5 fût réalisée par Joseph Griffa, ainsi

présentée cette proposition sera rejetée par le Bureau d’Etudes vraisembla­blement pour des raisons de coût, délais et… autres.

1 - Matière proche de la pâte à modeler.

En 1973 la crise pétrolière avait ébranlé les états-majors de l’automobile. Renault abandonne son très bon projet de haut de gamme, l’IKA Torino qui devait remplacer la Rambler Américan Motors, responsable de son design c’était person­nellement un regret amer.

Je quittais Renault fin décembre 1973 pour devenir indépendant.

Avec cette crise pétrolière on dénonçait particulièrement les véhicules sportifs, gloutons en essence, offrant deux places avec souvent très peu de bagages. Il fallait donc réagir pour cette clientèle en inventant un nouveau produit, toujours ludique, avec une esthétique attractive différente des véhicules de grande série. Son habitabilité serait plus importante et par une aérodynamique soignée et un moteur moins gourmand nous répondions aux critiques des “anti-voitures”.

Sur la base de la R14 que je connaissais très bien, je construisais ce projet. En modifiant quelques implantations de composants, j’obtenais la possibilité de dessiner notamment pour l’avant un style plus incisif et moderne.

Sur la silhouette de la berline les implantations modifiées du coupé.

Ces modifications consistaient à enlever la roue de secours disposée sur le bloc-moteur et à l’implanter à l’arrière du véhicule. Un bossage dans le bouclier AR dissimilait celle-ci pour conserver un porte à faux identique à la berline. Un nouveau réservoir de même capacité exploitait l’espace disponible autour de la roue. En conservant les mêmes jambes de force des suspensions AV, je gagnais deux précieux centimètres sur les chapelles d’amortisseur afin d’obtenir un capot plongeant libéré par la roue de secours. L’adoption de phares escamotables en faveur à l’époque et un radiateur moins haut plus large et incliné complétaient les modifications de la berline.

Quant à l’intérieur je réutilisais les sièges de l’Alpine A310. Reprenant l’idée de ma contre-proposition sur l’aménagement de l’AR de la R14, les deux sièges montés sur glissières coulissaient entre les passages de roues avec des dossiers fractionnables et rabattables. Pour la première fois un véhicule à connotation sportive offrait une telle habitabilité modulable. La garde au toit avec le recul possible des sièges engendrait un AR break. Cette formule de break bas et sportif avait été déjà inaugurée par Aston Martin et Lancia sous le vocable « break de chasse ». Entre autres les feux AR de la berline étaient conservés.

Ce nouveau concept fut étayé par des plans et dessins de style. Le 19 juillet 1974 je présentais à Bernard Hanon et François Wasservogel alors les décideurs du Marketing Renault le produit de mes réflexions. L’accueil fut enthousiaste, hélas nuancé par l’impossibilité de fabriquer un nouveau véhicule non prévu dans la

planification.

Elévations dessin de coupés dont le break de chasse.

Le projet retourna donc dans mes tiroirs, quand un an plus tard en 1975, Ligier alors l’assem­bleur de la Citroën SM vit sa sous-traitance terminée par l’arrêt du modèle. Il proposa sans succès à Citroën un coupé banal puis s’adressa chez Renault pour offrir ses services de sous-traitance.

Bernard Hanon ayant toujours à l’esprit ma proposition vit l’occasion de pouvoir la concrétiser. Un accord fut conclu avec Ligier pour la fabrication en petite série de 20/25 véhicules/ jour, révisable selon l’accueil commercial. Le coupé serait un Renault-Ligier compte tenu des retombées bénéfiques des succès de l’époque de la Formule 1 Ligier.

François Wasservogel officialisa pour Renault un cahier des charges qui reprenait intégralement les caractéristiques de mon projet.

François Wasservogel devint Directeur Général des Automobiles Ligier, de nouvelles compétences furent embauchées, Claude Jordan et Yannick Tourat (Matra) pour leur spécialité dans les études et fabrication en petite série de véhicules carrossés en polyester.

J’entrepris en septembre à l’échelle 1/5 le plan et la maquette du projet, qui furent présentés à la Direction du Produit Renault le 31 octobre 1974 chez Ligier. Préala­blement le 25, les mesures aérodynamiques dans la soufflerie Lelarge de St-Cyr­l’Ecole donnaient pour la maquette un Cx de 0,323 et un SCx de 0,0221.

Maquette 1/5 en clay. Le comparatif avec la R17 est intéressant (clichés réalisés à l'issus de la réunion du 31/10/1975.

Il s’en suivi une maquette d’habitabilité réalisée chez Ligier et une maquette préliminaire à l’échelle 1/1 en plâtre non peinte, modelée chez Coggiola à Turin. Leur présentation a eu lieu le 26 novembre 1975 à Vichy. On peut noter la rapidité à laquelle le développement a été conduit.

Présentation du 26/11/1975 chez Ligier à Abrest (Vichy), maquette plâtre, maquette d'habitabilité, aux arrières - plan, la future R14, la Matra Bagheera et des propositions de dessins d'intérieurs.

Réunion du 26/11/1975. Au tableau, François Wasservogel expose la structure du tarif et le planning. De gauche à droite (partiellement masqué) Philippe Ligier, (de profil) Robert Broyer, Claude Jordan, (de dos) Guy Ligier, Bernard Hanon, (de face) Jean Terramorsi, (de dos) Christian Martin, trois représentants de Renault Moteurs (Messieurs Devienne, Pie et ?) et le responsable financier Ligier.

Le maître modèle définitif.

Le 25 mai a été la date de lancement de la R14.

Le 21 juillet 1976 étaient présentés à la Direction Renault à Lardy

Présentation à Lardy le 21/07/1976. De gauche à droite ( ? ), penché Guy Ligier, Bernard Hanon, Christian Martin, ( ? ), Claude Jordan et H. Lherme.

Prototype roulant

Un prototype roulant très proche de sa finalisation (hors le joint transversal sur le capot) et une maquette d’habitabilité d’ « ambiance ».

Maquette d'habitabilité d'ambiance. La fonctionnalité des sièges arrière était seulement suggérée.

La démonstration fut éclatante, la tenue de route, la précision de direction, l’absence de remontées de vibrations dans le volant contrastaient avec la R14, les liaisons au sol retravaillées par Michel Beaujon ingénieur à la F1 Ligier firent merveille.

Le prototype bien ancré dans les virages de la piste de Lardy.

Guy Ligier au volant sur la piste de Lardy enregistrera un 176 km/h avec ce petit moteur de 68 CV. Le Cx de 0,30 sur route était confirmé.

J’avais demandé à Philippe Morisson, peintre célèbre de la galerie d’art contem­porain Denise René de créer un tissu unique qui se combinerait avec toutes les teintes extérieures chaudes ou froides avec un siège « actif » pour le conducteur et « passif » pour les passagers. Son talent de coloriste dépassa nos espérances.

La planche de bord restait à finaliser, je l’entrepris fin août.

Coup de théâtre début octobre, Renault renonce au projet. La raison ? les grandes qualités du break de chasse auraient cannibalisé les coupés « maison » 15/17 dans une catégorie et un prix comparables. Il fallait donc faire un choix. Une autre raison que nous pouvons révéler maintenant, c’est la très forte pression qu’exerça Matra auprès de Renault pour écarter une concurrence qui se serait avérée fatale à la Bagheera.

Si le projet avait continué, une série de confirmation de 28 véhicules auraient été construits en 1977 de mi-février à fin avril avec une présentation officielle au Salon de Genève, puis une montée en cadence de série de 64 véhicules au mois de mai, 119 au mois juin, 227 au mois de juillet et 407 en septembre: volume nécessaire pour le lancement de la commercialisation début octobre.

Une nouvelle usine à Brassac-les-Mines devait fabriquer les éléments de carros­serie en polyester injecté. Yannick Tourat, le responsable de la fabrication avait déjà lancé plusieurs outillages spécifiques. Ligier fut dédommagé financièrement, de plus Renault DMA lui confia la sous-traitance de la fabrication de ses cabines de tracteurs.

Nous ne referons pas l’histoire, mais qu’aurait apporté ce véhicule pour l’image Renault si ce projet avait abouti? et quel aurait été son impact sur la R14?

Bernard Hanon avait conservé longtemps un faible pour le style singulier de ce véhicule, aussi il demanda au designer Gandini de le transposer sur le projet Renault W60, avant projet qui contribua à la naissance de la Twingo. Ultérieu­rement pour son compte, Gandini réutilisa cette ligne caractéristique de ceinture plongeante sur ses Lamborghini Diablo et Cizeta Moroder.