OUVRIR L'ECOLE AUX ADULTES
UNE MISSION ORIGINALE A L’ÉDUCATION NATIONALE 1970-1974

par RAYMOND VATIER

Éditions l'Harmattan, 330 pages, 2008

Notes de lecture : Jean-Claude Magrin


Voilà un livre exceptionnel. Par, et sur, un homme exceptionnel. Pendant une période tout aussi exceptionnelle, l’après 1968. Un récit agrémenté de nombreux témoignages de personnes ayant travaillé avec l’auteur durant cette période.

Raymond Vatier, ingénieur des Arts et Métiers, un des artisans des innovations sociales des années cinquante et soixante chez Renault, raconte ici dans une première partie les tout débuts de la formation du personnel à l’intérieur des entreprises entre 1945 et 1970, puis décrit dans le détail l’expérience improbable qu’il a vécue pendant cinq ans, de 1970 à 1974, au coeur du ministère de l’Éducation nationale comme directeur délégué à l’orientation età la formation continue.

Ce livre est avant tout un témoignage, le récit d’une expérience riche et douloureuse, qui a laissé son auteur amnésique pendant 30 ans sur cette partie de sa vie. Il n’en parlait jamais. C’est tout à la fois le récit d’une expérience improbable, dans une période particulièrement agitée et féconde qui, je le pense sans exagération, a donné naissance à la France d’aujourd’hui. Et, directement ou indirectement, selon les chapitres, une analyse extrêmement fouillée de la société de son époque, de la nécessité où elle se trouvait d’évoluer trèsrapidement, et des freins psychologiques et sociologiques retardant cette l'évolution.


L’auteur dans une première partie fait une description de la France de l’après guerre, des nécessités de la reconstruction, et de la remise à niveau de tout l’appareil productif. Il rapporte les efforts considérables de tous au cours de ces années, avec la nécessité de nouvelles méthodes de travail pour se mettre au niveau des économies n’ayant pas eu les mêmes destructions que la France, et les mêmes retards dus à l’occupation. Dans une période de plein emploi, il insiste sur le rôle majeur de la formation, et sur ce qu’il connaît le mieux, la formation des adultes, qui prend alors son essor, et concerne non seulement les cadres, mais surtout l’encadrement moyen, agents de maîtrise et techniciens. Voir son expérience chez Renault, et dans la création du Centre d’études supérieures industrielles (CESI).

Dans une deuxième partie, il fait part de son vécu comme directeur délégué à l’orientation et à la formation continue, depuis sa nomination surprise par le ministre de l’Éducation nationale, Olivier Guichard, qu’il ne connaissait pas. Gaulliste clairvoyant, celui-ci souhaitait associer l’Éducation nationale à la grande oeuvre de l’éducation des adultes, qui avait germé spontanément dans les entreprises au lendemain de la guerre, poussée par les nécessités de l’époque, manque de main-d’oeuvre et évolution rapide des techniques, et qui faisait travailler ensemble organisations syndicales patronales et ouvrières.

Pendant un peu plus de 2 ans, de mars 1970 à fin juin 1972, Raymond Vatier, s’appuyant sur l’expérience acquise par ses fonctions dans le domaine du personnel d’abord chez Renault, puis au CESI, va s’efforcer d’accélérer les avancées dans le domaine de la formation des adultes, et en particulier d’impliquer l’Éducation nationale, avec ses énormes moyens en locaux, en matériel et en personnel. Il n’était pas facile de persuader cette grande administration, qui considérait jusque-là avec une extrême méfiance tout ce qui venait des entreprises, et tout ce qui se faisait depuis une bonne vingtaine d’années dans le domaine de la formation des adultes, de participer à cette tâche.

Grâce à l’appui constant d’Olivier Guichard, Raymond Vatier va réussir à mettre en place les bases nouvelles de l’éducation des adultes, avec des avancées qui sont aujourd’hui encore les fondements de cette action, tels que les DAFCO (délégués académiques à la formation continue), les GRETA (groupes d’établissements), et les CAFOC (centres académiques de formation continue). Il arrivera à y intégrer, au moins dans certains domaines, l’Éducation nationale.

Malheureusement, alors qu’il s’apprêtait à donner une plus grande cohérence à cet ensemble, le changement de Premier ministre et le départ d’Olivier Guichard de l’Éducation nationale, remplacé par Joseph Fontanet, allaient briser ses projets. Après avoir songé à démissionner, il reste à son poste jusqu’en mai 1974, arrivant tant bien que mal à mettre en place les solutions déjà arrêtées en juin 1972.

En 1974, un nouveau ministre, René Haby, estime que la formation continue est vouée à disparaître. Il retire sa charge à Raymond Vatier, et le fait partir sans ménagement.

Son récit nous permet de vivre de l’intérieur une mise au placard progressive, et de comprendre comment un grand corps de l’État comme l’Éducation nationale arrive avec le temps à rejeter les corps étrangers qui lui ont été imposés.


(1 ) Pour une biographie plus complète de Raymond Vatier, voir Renault Histoire n° 44 (avril 2019) l’article « Raymond Vatier, acteur de l’innovation sociale » publié à l’occasion de son décès, ainsi que le fascicule 5 des Notices biographiques Renault.