ALPINE : LA RENAISSANCE

par BERNARD OLLIVIER

Éditions SOLAR, 320 pages, 2019

Notes de lecture : Jean-Francois De Andria


Ce livre décrit la gestation de la nouvelle Alpine A110, étape par étape, depuis le premier contact à Davos en janvier 2011 entre Carlos Ghosn et Tony Fernandes et le lancement commercial début 2018. Tony Fernandes, un tycoon malaisien qui a fait fortune avec la compagnie aérienne low cost long-courrier Asia, souhaite étendre sa gamme de véhicules sportifs amorcée avec l'acquisition de Lotus devenue Caterham, du nom d'une petite ville anglaise où elle avait été implantée. Pour changer de dimension dans ce secteur -la Seven et ses dérivés ne dépassent pas quelques centaines d’unités par an- il voulait disposer d'un modèle capable d'un volume de ventes annuel de plusieurs milliers, d'où l'idée d'une association avec Renault, auteur de plusieurs tentatives dans ce domaine.

En vue donc de réaliser deux projets différenciés avec le maximum d'éléments communs, Carlos Ghosn confie le sujet à Carlos Tavares, son directeur général adjoint aux opérations et à l'occasion pilote de compétition, et à Philippe Klein, directeur Plan-Produit-Programmes. Ils vont nommer responsable de l'opération Bernard Ollivier (1), alors en charge de Renault Sport Technologies. Il s'agira de monter une équipe pour définir le cahier des charges des produits et faire les choix structurants, avec un planning et des objectifs de rentabilité ambitieux, compte tenu de la nature très particulière et des faibles volumes du produit.

Après un premier cycle de réflexions menées en commun, le partenariat à 50-50 avec Caterham fut annoncé fin novembre 2012, suivi de la présentation du projet au Comité central d’entreprise (CCE) Renault, puis au Comté d’entreprise (CE) Alpine de Dieppe.

Les gènes des deux marques Caterham et Alpine, quoique proches par certains côtés -en particulier la priorité accordée à la légèreté- différaient notablement sur d'autres, par exemple le choix d'architecture – tout à l'arrière pour la seconde, et moteur AV, propulsion AR pour la première. Finalement, c'est une position intermédiaire (centrale arrière) qui fut retenue. Pour respecter la tradition de légèreté des deux marques, l'aluminium fut adopté pour le châssis, mais aussi pour les pièces de peau, ce qui constituait une nouveauté pour Alpine et nécessitait l'apprentissage de technologies de collage/rivetage. La distance géographique entre les deux équipes de conception et les difficultés de communication résultantes freinèrent un temps la progression des travaux, jusqu'à ce que Caterham jette l'éponge début janvier 2014, l'opération apparaissant plus compliquée et moins prometteuse qu'au départ. Ainsi, la courte présence de ce partenaire avait quelque peu troublé les premières années de gestation du programme mais, sans lui, rien ne dit qu'il eût démarré. Malgré cet abandon, décision fut prise de continuer au vu des résultats positifs déjà obtenus et de l'engagement de Carlos Tavares.

Il s'avéra en effet rapidement que les choix techniques de départ étaient heureux, car à tous les stades de développement, les essais montrèrent que les qualités routières positionnaient le futur produit au meilleur niveau : facilité et agrément de conduite généraient un plaisir inégalé, d'autant qu'ils s'assortissaient d'un confort et d'une agilité rarement réunis sur une voiture sportive. Très tôt, dès 2012, le soutien des pouvoirs publics fut recherché et obtenu en principe, au niveau de la ville -qui, au départ, n'était pas éligible à en fournir, ce qui exigea d'en évincer une autre-, de la région et de l'État. Les subsides correspondants ne commencèrent à être perçus qu'en 2014, mais la conjonction favorable de qualités évidentes et de promesses de financement externe incita à la poursuite de l'opération.

Pour parfaire la définition du produit, on eut recours à partir d'avril 2013 à un conseil d'experts, l'Alpine Advisory Board qui reprocha un temps au modèle son conservatisme esthétique. Ce jugement allait être rejoint par les “clinics” conduits en France et en Allemagne à la fin 2013. Ils avaient révélé que, pour les acheteurs potentiels le design et la finition n'étaient pas à la hauteur des ambitions de positionnement prix. Cette double constatation conduisit à une redéfinition du niveau de présentation, en particulier de l'intérieur. Une autre remise en cause intervint plus tard, lorsque fut mise en évidence en juillet 2015 une insuffisance de rigidité du châssis (épreuve du trottoir), qui nécessita de recalculer les épaisseurs d'aluminium.

La progression des travaux fut constamment accompagnée d'une intense communication visant à éveiller et à amplifier l'intérêt du public à tous les niveaux : “alpinistes”, journalistes, fans du sport automobile, Dieppois, personnel Renault, fournisseurs (2) , grand public, etc. À cette fin, toutes sortes d'évènements furent organisés : présentation de prototypes à différents stades, retour d'Alpine aux grandes compétitions sportives, notamment à partir de 2013 aux 24 Heures du Mans où elle s'était illustrée jusqu'en 1978, célébration des 60 ans d'Alpine à Dieppe en septembre 2015. Les Alpine remportèrent le Championnat d'Europe d'endurance (2013 et 2014), et le Championnat du monde LMP2 (3) en 2016. Anecdote : la gendarmerie établit que la nouvelle Alpine lui ferait gagner un temps significatif pour les interceptions…

Le signal de la dernière phase du parcours avant commercialisation fut donné le 16 avril 2015. Cette étape et toutes celles qui l'avaient précédée avaient demandé énormément d'efforts aux équipes à qui on demandait de s'aligner sur les critères les plus sévères, souvent nouveaux pour elles, aux encouragements répétés de “à l'arrache, avec panache !”, “la gagne !”, ou encore dans une tonalité mineure lors d'un passage de justesse comme lors de la défection de Caterham “still alive(4) !”…

Ce feu vert assurant la poursuite du programme déclencha une nouvelle série de présentations, aux 24 Heures du Mans (show de l'Alpine Célébration le 11 juin 2015), au personnel du Technocentre, au réseau de concessionnaires triés sur le volet, et enfin aux journalistes mondiaux qui accueillirent très favorablement la nouvelle venue : « Alpine is back in sensational style. » Et un show-room spécifique, le Studio Alpine, s'ouvrit à Boulogne, au débouché du pont de Sèvres.

L'A 110 – tel fut le nom (re)donné au nouveau modèle – reçut différents prix d’élégance, dont les plus recherchés “Plus belle voiture de l’année” et “Sportive de l’année”. Après cette première impulsion brillante, il restera à maintenir la dynamique. Mais Bernard Ollivier, atteint par l'âge de la retraite, n'en sera plus. Cette rétrospective est émaillée de très nombreuses photographies et de témoignages intitulés « Je me souviens ». Elle décrit avec un luxe de détail l’avancement d’un projet novateur où a été mise en oeuvre la panoplie des méthodes éprouvées ces dernières décennies chez Renault pour assurer la réussite d’un nouveau modèle. À ce titre, c'est un vrai cas d'école.

(1) Qui a décrit son parcours chez Renault dans le Renault Histoire n° 44, mars 2019.
(2) Conventions en 2015 et 2016.
(
3) Catégorie du Championnat du monde d’endurance FIA.
(
4) Toujours en vie.