2016-09 : Les 20 ans du Scénic
Alors que la quatrième génération de Scénic fait la une de l’actualité, nous revenons sur la genèse du tout premier, lancé il y a très exactement vingt ans
Dès sa sortie, fin 1996, Scénic chamboule le marché automobile européen. Ce premier monospace compact remporte le prix de la voiture de l’année en 1997. D’emblée, la concurrence copie le concept...
Ci-dessous, deux témoignages de son directeur de projet, Michel Faivre-Duboz
Scénic, vingt ans déjà
Un OVNI nommé Scénic
- Scénic, 20 ans déjà par Michel Faivre-Duboz
2. Un OVNI nommé Scénic par Michel Faivre-Duboz
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INNOVATION
Scénic, 20 ans déjà
Alors que la quatrième génération
de Scénic fait la une de l’actualité,
revenons sur la genèse du
tout premier, lancé il y a très
exactement vingt ans, grâce au
témoignage de son directeur de
projet, Michel Faivre-Duboz.
S
S
cénic, c’est une prise de risque
audacieuse réussie au-delà de
toutes les prévisions. Un véhicule
innovant qu’une clientèle
de classe moyenne a pu s’approprier,
ce qui lui a valu un
succès commercial exceptionnel.
Succès stratégique puisqu’il a permis de
financer en partie l’accès à l’Alliance Renault-
Nissan. Mais Scénic n’aurait pas pu voir le jour
sans Mégane. L’entreprise n’aurait jamais pu se
payer ce véhicule sans les investissements
communs et calibrés pour toute une gamme. Il
faut donc remonter aux origines de la gamme
Mégane, voire de ses prédécesseurs dans le
segment C, pour comprendre ce projet. Après
un début de carrière timide, la Renault 19 est
sauvée par sa phase 2, largement relookée,
lancée en 1992, qui permettra de redresser la
courbe des ventes. Mais l’entreprise a eu chaud.
Nous sommes sur le segment générateur des
marges principales de l’entreprise qui est aussi
celui où la concurrence est la plus forte. En 1990,
l’idée d’un programme innovant et multicaisses
Michel Faivre-Duboz prend la pose aux côtés des
premiers maillons de la gamme Mégane — berline
et coupé — dont Scénic allait être la clé de voûte.
se dessine dans les esprits à la direction du produit,
aux avant-projets… En 1990, je me retrouve
nommé directeur de projet du programme X64,
successeur du programme X53 (Renault 19), une
fonction récente, poussée au plus haut niveau
par Raymond Lévy et déjà incarnée par Yves
Dubreil (Twingo I) et Raymond Savoye (Laguna I).
La direction du produit recommande un programme
multicaisses dont l’ossature principale
est un trio constitué d’une berline bicorps (B64)
d’un petit coupé (D64) et d’un monospace de
gamme moyenne (J64). Viendront ensuite un tri-
corps (L64), un cabriolet (E64) et un break (K64).
Mais quelle plate-forme pour supporter cela?
Le succès de toute une gamme
Les équipes d’avant-projet se mettent au travail.
Les planches à dessin et les calculettes tournent
à plein régime pour aboutir à un compromis.
Pour garantir le financement de toutes les car
rosseries différenciées, il est notamment décidé
de récupérer tout le bloc avant de la R19, ce qui
permet de rester standard en moteurs, boîtes et
suspensions avant.
B64 (Mégane berline) et J64 (monospace Scénic)
ont la même longueur (4,13 m), bizarrement la
même cote que Captur, une quinzaine d’années
plus tard… Le coupé, plus râblé, est en dessous
des 4 m (3,90 m). Les hauteurs sont très différentes,
correspondant à l’objectif de différenciation
des caisses: 1,37 m pour le coupé, 1,42 m
pour la berline et 1,62 m pour Scénic. En termes
ergonomiques, on s’assied sans effort dans le
monospace, on descend dans la berline et on
s’écroule un peu dans le coupé! Ce faisant, le
produit et le marketing ont trouvé « leur devise »:
le programme X64, c’est le passage attendu
par la clientèle de « la voiture pour tous », (X53/
R19) fruit d’un compromis tiède et frustrant, à
« la voiture pour chacun » plus typée face à des
besoins spécifiques.
L’entreprise, qui connaît l’Espace, réalisé en partenariat
avec Matra depuis quelques années déjà
et prépare en parallèle Twingo, sait que ces modèles
sont des exemples d’optimisation d’habitabilité
augmentée et intelligente, avec un poste
de conduite surélevé, plus favorable en longueur
pour les gardes aux genoux des passagers arrière
et offrant une large vision panoramique.
Techniquement les sièges avant sont positionnés
sur un rehausseur de plancher soudé, tandis
que, pour limiter les coûts, la planche de bord
est la même que celle de la berline, en position
rehaussée et redressée angulairement. Il est
intéressant de noter que cette grosse économie
technique ne sera pas vraiment repérée par la
Si les trois sièges individuels à l’arrière sont apparus très tôt comme la clé de la réussite du monospace compact, la viabilité économique du projet passait par une
importante mise en commun avec le reste de la gamme Mégane, dont la planche du tableau de bord qui est ici simplement redressée et rehaussée.
.
Scénic a ouvert
le marché du
monospace
compact. Son
succès a dépassé
toutes les attentes
Le premier Scénic
faisait 4,13 m de
longueur, soit
pratiquement la
même taille que
Captur. Le chiffre
d’or du succès ?
Scénic a ouvert
le marché du
monospace
compact. Son
succès a dépassé
toutes les attentes
Le premier Scénic
faisait 4,13 m de
longueur, soit
pratiquement la
même taille que
Captur. Le chiffre
d’or du succès ?
Les enfants étaient au coeur du projet Scénic.
C’est leur enthousiasme lors des tests cliniques qui
fit taire les derniers sceptiques.
clientèle. En tout cas, elle ne sera jamais
critiquée.
Au début, la définition du véhicule prévoit une
banquette arrière qui satisfait les économistes
mais pas les tenants d’un concept fort. Les
sièges individualisés de l’Espace sont très coûteux
mais on se prend à rêver d’en réussir l’intégration
sur Scénic. Un travail exceptionnel de
toutes les équipes Renault et de l’équipementier
Faurecia aboutit à une solution élégante, astucieuse,
ajustée au centimètre près, avec un siège
central sur glissières plus étroit et deux latéraux
plus larges sur glissières ou non. Les sièges sont
basculables pour offrir un volume de coffre cubique
exceptionnel pour les 4,13 m. Mais tout
cela est effectivement coûteux, et les sceptiques
n’ont pas encore dit leur dernier mot. Les enthousiastes
non plus: comme il s’agit d’un vrai
véhicule familial, pourquoi ne pas demander leur
avis aux enfants, qui en seront les utilisateurs?
Un test « produit » grand public est engagé à
partir de maquettes fonctionnelles. La réponse
revient en boomerang: 95 % des enfants plébiscitent
les sièges individualisés avec des tablettes
« aviation » sur le dos des sièges avant, comme
sur l’Espace. Dès lors, l’équipe projet et tous les
spécialistes en amont du démarrage ressentent
que l’entreprise détient un produit fort capable
d’une percée exceptionnelle.
De plus, la politique plate-forme permet de faire
cette offre à des coûts industriels compétitifs de
grande série. Pourtant, une certaine frilosité reste
de mise lorsqu’il s’agit de calibrer l’outil industriel.
Alors qu’une berline du segment C fonctionne à
plus de 1000 véhicules par jour, un coupé entre
200 et 300, les responsables du Plan envisagent
des volumes de 600 par jour plutôt modestes
pour le Scénic. C’est que, malgré des études
favorables, personne ne connaît vraiment la réaction
de la clientèle face à ce produit, sans nul
autre pareil sur le marché.
Produit en France, à Douai
La direction de la production décidera de mettre
une flexibilité 0-100 % sur la ligne commune
Mégane berline et Scénic de l’usine de Douai.
Cette mesure sera bien utile pour limiter les
conséquences de la sous-estimation initiale des
volumes, qui sont effectivement montés ensuite
à 1600 v/j avec des pointes à plus de 1800. Un
spécialiste du marketing d’innovation a trouvé
une métaphore très parlante pour expliquer le
succès de Scénic: « C’est comme si vous aviez
vécu sans savoir que vous aimiez le chocolat. Et
un jour quelqu’un vous apporte un gâteau au
chocolat, que vous goûtez puis dévorez de
plaisir. » Ce « sex-appeal » du Scénic, j’ai eu très
tôt l’occasion de le vérifier dans les faits. Avant
que le véhicule ne soit commercialisé, quelques
exemplaires sont mis à disposition pour « débeuguer
» d’éventuels défauts. Je me gare à Rouen
avec l’un d’entre eux, quand une famille, sur le
trottoir, le repère. Les enfants crient « Papa, c’est
la voiture! » Je leur ouvre le Scénic, et ils bondissent
aux places arrière, fous de joie! C’était la
réplique « en vrai » du test produit initial… Le
Scénic démarrera néanmoins avec des rabais de
7 % à la commercialisation et une version de
base à 100000 francs (15000 euros) maxi demandée
par Luc-Alexandre Ménard, directeur
commercial France, pour en garantir l’accès à
une très large frange de clientèle. La commercialisation
montrera que toutes les craintes étaient
infondées. Les délais de livraison s’emballèrent
et les prix seront vite corrigés à la hausse. Paradoxalement,
l’image de Scénic a probablement
été renforcée par l’effet de pénurie!
Au final, Scénic fut l’accomplissement quasi
parfait d’une forte intuition « produit ». Louis
Schweitzer n’a eu de cesse de promouvoir la
politique des plates-formes après ce succès de
la famille Mégane et Carlos Ghosn y a vu l’application
d’un de ses principes fondamentaux:
« Rien ne résiste à un produit réussi ».
MICHEL FAIVRE-DUBOZ POUR RENAULT HISTOIRE
2016I43JANVIER2016 I 43
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MICHEL FAIVRE-DUBOZ
Diplômé de l’École catholique d’Arts et Métiers
de Lyon (ECAM), il entre chez Renault en 1973.
Engagé sur les projets Renault 25 puis Renault 21,
il devient chef du service méthodes et travaux
neufs à l’usine de Sandouville (France) en 1986.
De 1990 à 1997, il est directeur de projet de la
gamme Mégane. En 1999, il est nommé directeur
du développement de l’ingénierie véhicule et
devient membre du comité de direction de Renault.
En 2008, il prend la direction de la Supply Chain
monde puis celle de Renault Maroc,
de 2010 à 2012, où il lance l’usine de Tanger.
.
GLOBAL JE ME SOUVIENS
Mars 2016
© Studio Pons – Yann Arthus-Bertrand – Philippe Pons – Benoît Chimènes – Stéphane Foulon – DINGO – DR
‘Scénic, c’est un peu comme le chocolat : quand vous le goûterez,
vous ne pourrez plus vous en passer !’ Je me souviens avoir souri en
entendant un spécialiste du marketing de l’innovation prononcer cette
phrase en 1996, peu avant la sortie du monospace. Un évènement allait
vite confirmer qu’il avait raison… Avant que le véhicule ne soit commercialisé,
je roule en ce printemps 1996 avec une présérie pour repérer
d’éventuels défauts d’usage. Arrivé à Rouen, je me gare dans le centre-
ville. Une famille qui marche sur le trottoir s’arrête devant Scénic.‘Papa,
maman, regardez, c’est LA voiture !’, crient en choeur les enfants. Je leur
UN OVNI NOMMÉ
SCÉNIC
Une révolution ! Dès sa sortie, fin 1996, Scénic chamboule le marché automobile
européen. Ce premier monospace compact remporte le prix de la voiture de l’année
en 1997. D’emblée, la concurrence copie le concept. Michel Faivre-Duboz
constate très vite l’attirance du public pour ce véhicule particulièrement ingénieux.
ouvre les portes : ils bondissent à l’arrière, fous de joie devant leurs parents
embarrassés mais tout aussi curieux. Ils ont devant les yeux la réplique
du test produit initial réalisé quelques mois auparavant sur un public
d’enfants qui avaient plébiscité à 95 % les sièges individualisés et les tablettes
repas de type « aviation » au dos des sièges avant. Un Ovni pour
l’époque ! Il faut dire qu’avec Scénic, Renault inventait le monospace compact.
C’est une synthèse réussie des valeurs affectives attachées à la
petite voiture, telle Twingo, sortie en 1992, et de la modularité, de l’habitabilité
et des prestations haut de gamme d’Espace, lancé en 1984. Une
voiture à vivre, très ludique avec ses nombreux rangements – certains
secrets ! –, conçue pour de longs voyages en famille en toute sécurité. Et
le tout à un prix accessible à la classe moyenne. Justement, le secret du
ratio prix-équipement de Scénic c’est … Mégane, et plus largement le
programme X64, lancé en 1990 pour succéder au programme X53
.
* Suivront un tricorps (L64),un cabriolet
(E64), puis un break (K64/K25).
de la Renault 19. L’époque est alors aux berlines sur le très concurrentiel
segment M1. Mais rapidement une idée innovante émerge : celle d’un
programme multicaisse. L’ossature principale est un trio constitué d’une
berline bicorps, Mégane (B64), assortie d’un petit coupé (D64), et d’un
monospace de gamme moyenne, le premier du genre : Scénic (J64)*. Mais
une question se pose : quelle plateforme garantira le financement de toutes
ces carrosseries ? Les équipes d’avant-projet élaborent une solution de
compromis : nous repartirons du bloc avant de la Renault 19 en adoptant
un nouveau bloc arrière. Mégane berline et Scénic auront la même longueur
de 4,13 m, tandis que le coupé sera plus râblé avec 3,90 m ; les
hauteurs très différentes correspondent à l’objectif de différenciation des
caisses. Les prévisions de volumes pour l’usine de Douai, en France, sont
de six cents véhicules par jour avant sa commercialisation. Mais très vite
NOM DE CODE : J64
Scénic, alias J64, est l’un des six véhicules du programme
X64, première plateforme module de l’histoire
du Groupe Renault, dont les études ont démarré en 1990.
Scénic s’arrache dans les concessions et l’usine doit gérer une très forte
montée en cadence : jusqu’à mille huit cents véhicules par jour ! Ce succès
fulgurant est le résultat d’un fort engagement de toute l’équipe projet.
Immédiatement, la concurrence copie le concept et transforme ses berlines
à succès en monospaces compacts : Citroën avec Picasso, issu de Xsara,
talonné par le Zafira d’Opel, adaptation de l’Astra, puis Ford C-Max, Mercedes
Classe B…
Le programme X64 signe le passage attendu par la clientèle de « la voiture
pour tous » à « la voiture pour chacun », plus personnalisable face à des
besoins spécifiques. Et prouve déjà l’efficacité de la politique de plate-
formes en faveur d’une conception multicaisse et multioffre.
propos recueillis par anaëlle correc
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© Stéphane Foulon
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