2011-11: Conférence de
Raymond H. Lévy

Une conférence passionnante sur une période clé de l’histoire de Renault.

Le 7 novembre 2011, devant plus de 170 invités de la SHGR (dont Aimé Jardon, Paul Percie du Sert et Michel Gornet), Raymond H. Lévy, PDG de Renault de 1987 à 1992, est venu évoquer ses souvenirs de cette période charnière de l’histoire de l’entreprise.

Après avoir introduit le sujet de la conférence et remercié Raymond H. Lévy (RHL) d’avoir accepté cette invitation, Yves Dubreil pose la première question.

Quelle était votre perception de Renault avant d'en prendre la tête ?

Raymond H. Lévy dit tout d’abord son émotion d’être ici, devant cette assemblée, 25 ans après » avoir pris la succession de Georges Besse qu’il connaissait bien - il a été nommé en décembre 1986 -. Puis, il parle de ses relations avec Renault dès la fin des années 1970 : « J’étais alors N°2 d’Elf Aquitaine, partenaire de Renault. Et j’avais pu remarquer, lors de meetings communs de nos 2 sociétés, la vision très forte que Bernard Hanon avait de l’industrie automobile mondiale et de son futur : un regroupement autour de 6 constructeurs généralistes - 2 américains, 2 japonais, 2 européens -. Vision qui s’est pratiquement réalisée 20 ans plus tard et qui se complétait d’une stratégie innovante en matière de Produit. Mais, Renault était, "une entreprise gérée pour son personnel" (selon les confidences de quelques dirigeants), avec une situation financière fragile. »

RHL, en tant que client de Renault, avait eu aussi quelques expériences malheureuses : « Ma 2ème voiture de fonction chez Elf, une R14, a rapidement rouillé ! Plus tard, chez Cockerill, j’ai commandé une R25 Limousine comme voiture de fonction, et non pas une Mercedes comme me le conseillaient mes collègues. J’ai attendu cette voiture plus de 3 mois, et elle tombait en panne pratiquement tous les mois ! Le respect du client ne semblait pas être une priorité chez Renault ! »

Ce qui vous surprend le plus à votre arrivée ?

« C’est la sécurité ! On entrait librement dans cette entreprise dont le Président venait d’être assassiné ! Et même la décision de rendre obligatoire le port du badge par chaque membre du personnel se heurta aux réticences de plusieurs dirigeants… »

Les leviers du redressement ?

« J’en compte 4.
Tout d’abord, les produits étaient là : R25, R19, Espace. La politique Produit marchait bien chez Renault, et j’ai eu peu à m’en occuper.

Ensuite, Georges Besse avait déjà entamé une action forte sur la gestion (le slogan « Un Franc, c’est un Franc ») et le personnel. J’ai poursuivi son action. Les effectifs sont passés de 214000 personnes en 1984 à 147000 en 1992. Troisième levier : la qualité et le respect du client. Et là, je revendique la paternité de ces actions. Nous reviendrons plus tard sur la qualité. Vis-à-vis de nos clients, je me suis notamment efforcé de répondre personnellement à toutes les réclamations et courriers. Cela a été pour moi un moyen de percevoir leurs attentes, de mesurer comment l’entreprise y répondait et de l’inciter à remédier à ses déficiences.

Enfin, je n’oublie pas l’apport de l’État qui n’a pas laissé tomber Renault. »

La vente d’AMC ?

« Je l’ai décidée très vite après mon arrivée. Ce pouvait être « l’Indochine » de Renault. Il y a eu beaucoup de débats. Prendrais-je la même décision aujourd’hui ? Disposant des mêmes informations qu’à l’époque, naturellement oui. Un regret, peut-être, AMC, c’était 2 choses : Jeep, et l’introduction de voitures françaises aux USA. Je n’ai pas perçu (et on ne m’a pas dit) que Jeep était une vraie richesse. Mais à l’époque, le 4X4 n’était pas encore à la mode. »

La qualité totale et le respect du client

Raymond H. Lévy rappelle ses ennuis avec les voitures Renault, ce qui le conduit à faire de la qualité un des thèmes clés de son action. Ce sera le sujet d’un de ses premiers discours à l’usine de Flins. Des propos relayés à son corps défendant par la presse (« les pannes de la R25 de Raymond Lévy»), un journaliste ayant inopportunément assisté à cette conférence. Mais ce fut finalement mobilisateur.

D’un autre côté, on commençait à se soucier en Europe de la concurrence japonaise, réputée pour la qualité de ses voitures : « J’avais lu le livre « The machine that changed the world », mettant en évidence une des clés de leurs succès : la Qualité Totale avec une vision élargie de la qualité, prenant en compte non seulement le produit, mais aussi respect et écoute du client, respect et écoute du personnel (les suggestions), qualité du management. Je nomme alors Pierre Jocou, ancien de l’Après-Vente et très sensible aux problèmes de nos clients, comme Directeur de la Qualité avec les pleins pouvoirs pour mettre en œuvre la Qualité Totale.

Je ne reviendrai pas sur ce que Pierre Jocou a dit ici même en mai. Je rappellerai simplement quelques décisions.

Nous avons mis en place un système d’écoute des propositions de la “base”, le système de “suggestions”. Dans les entreprises japonaises, il y en avait 100 fois plus que chez Renault ! Après tout, la “base” avait maintenant, contrairement à la situation d’avant-guerre, un très bon niveau d’éducation (avec 80% des jeunes au niveau bac) qu’il fallait exploiter !

La qualité des véhicules, mesurée avec l’AQR, est devenue une condition sine qua non pour commercialiser les nouveaux véhicules ou même pour continuer la fabrication. Citons simplement 2 faits qui ont permis d’ancrer le souci de la qualité dans l’entreprise. La menace d’arrêter la production à Sandouville si l’indicateur AQR ne revenait pas au meilleur niveau (curieusement l’indicateur AQR est remonté…). Et surtout la décision de retarder la sortie de la R19 jusqu’à obtention de l’AQR objectif. Cela a permis à cette voiture d’être élue un peu plus tard voiture de l’année en Allemagne même et à Renault d’y faire une percée commerciale. »

Le projet Twingo et la mise en place des Directions de Projet ?

« La Twingo est destinée à remplacer la R4 qui termine sa vie en Slovénie. C’est un projet de 4 milliards de Francs. Dans le pétrole, pour un projet de cette taille on nomme un Directeur de Projet. Cela me conduit à créer mi-88 les Directions de Projet Véhicule. Yves Dubreil sera le Directeur du Projet Twingo.

Ce projet sera aussi l’occasion d’introduire le 3x8 dans les usines, avec le souci d’améliorer leur rendement en utilisant au mieux des investissements très lourds ». Raymond H. Lévy évoque à plusieurs reprises le rôle joué et les conseils précieux prodigués par Aimé Jardon lors de ces évolutions majeures d’organisation.

Le mariage manqué avec Volvo

« Dès 1988, la « maison » me disait qu’il fallait vendre le poids lourd. J’ai cherché un accord avec le patron de Daimler-Benz, sans qu’il donne suite. Puis en 1989, à la suite de contacts avec le patron de Volvo, Pehr Gyllenhamar, s’est développée l’idée d’une fusion en profitant des complémentarités des 2 Groupes. Louis Schweitzer mènera les négociations.

En juillet 1990, pour permettre l’accord, la RNUR devient la société anonyme RNUR SA. Le premier ministre Michel Rocard sera d’un précieux appui pour faire passer la loi au Parlement.

L’accord est bouclé en 1991 : le siège social de ce groupe franco-suédois sera à Amsterdam, il y aura 2 sièges techniques en France et en Suède. Mais très vite, l’idée de transformer Renault, entreprise française symbole, en entité franco-suédoise, avec un commandement franco-suédois et un siège social basé à l’étranger, rencontre des réticences dans les gouvernements de gauche puis de droite.

Louis Schweitzer, devenu PDG de Renault, doit accepter le retour du siège social à Paris. La photo officielle de l’accord montrant la poignée de main entre Louis Schweitzer, Pehr Gyllenhamar et Gérard Longuet, ministre français de l’industrie est une grosse erreur de communication. C’est un premier signal négatif vis-à-vis des dirigeants et des actionnaires suédois de Volvo.

Parallèlement, à l’automne 1993, lors d’une grève dure à Air France, le gouvernement français sacrifie son PDG Bernard Attali. Ferait-il de même avec le PDG de Renault-Volvo ? Deuxième signal négatif.

A ceci, viennent s’ajouter 2 difficultés : l’absence de projets techniques communs rendant malaisées les synergies futures, ainsi que des contacts humains compliqués par des différences de culture et d’approche. »

Ce sera la rupture brutale et très dommageable de fin 1993.

Avec le recul, quelles étaient alors les forces et faiblesses de Renault ?

« Le fond de l’automobile était là. Il y avait une adhésion profonde à l’entreprise. La faiblesse portait sur ce qui n’est pas structurellement de l’automobile. »

Raymond H. Lévy souligne aussi l’attitude du syndicat CGT, qui constituait à son avis une véritable entrave au pilotage de l’entreprise. Et il rend alors un hommage appuyé à Michel Praderie, Directeur des Ressources Humaines, dont l’action, avec l’ « Accord à Vivre », a permis de donner plus de place aux autres syndicats et de faire du personnel de Renault un véritable « associé ».

Vos pires souvenirs

« Je pense d’abord à ma première interview par les journalistes de Auto Motor und Sport lors du salon de Francfort en 1987, au début de mon mandat. Ce fut un enfer à cause de l’image de Renault en Allemagne à l’époque.

Cela a été aussi la demande d’aide de 12 Milliards de Francs de la part de l’état français, et les longues et difficiles négociations qui s’en suivirent avec Leon Brittan, commissaire européen chargé de la concurrence. »

Vos meilleurs souvenirs

« Tout d’abord, c’est l’année 1990 où je suis élu Manager de l’Année et où Renault cumule les titres de Voiture de l’année, de Poids Lourd de l’année, et de Bus de l’Année.

C’est aussi le succès de la R19 en Allemagne avec un papier élogieux du même magazine Auto Moto und Sport, qui avait éreinté Renault en 1987 ».

A ce sujet, il souligne aussi l’action essentielle de Luc-Alexandre Ménard lors de la disparition de la RDA qui, conjuguée à la qualité de cette voiture, a été un élément majeur de la reconquête commerciale en Europe du Nord et de l’Est.

Enfin, Raymond H. Lévy évoque, non sans émotion, son départ en 1992, marqué notamment par plusieurs articles élogieux dans la presse, la cérémonie d’adieux organisée par ses confrères de l’ACEA, et par les messages de remerciements reçus du personnel. Et plus particulièrement celui-ci - « Vous nous avez rendu la fierté » - qui l’a beaucoup touché et résumait en quelque sorte son mandat.

Pour conclure, quelles entreprises vous ont le plus marqué ?

« Mon passage chez Renault a été naturellement une étape marquante. Cependant, je garde un fort souvenir de mes 23 ans dans le pétrole avec des dirigeants grands commis de l’état, patriotes, et qui, je vous le garantis, ne disposaient pas de rémunérations de plusieurs millions d’euros par an ! ».

Questions-réponses

Lorsque vient l’heure des Questions/Réponses, plusieurs participants livrent leur témoignage sur cette riche période et, à propos du futur de Renault, Raymond H. Lévy explique son optimisme de par les investissements porteurs d’avenir en Roumanie, en Russie et l’accord avec Nissan.