2021-11 : Conférence 
"Du sourire de la R5 à celui de la Twingo" 

RENAULT HISTOIRE a organisé une conférence sur les « voitures populaires », ou plus précisément les « petites voitures économiques ». On les dit aussi « accessibles », « affordables » in English.  Alors, Renault a-t-il ces petites voitures économiques dans le sang ?
Sans remonter à la voiturette, on peut citer la 4CV, les Renault 4 et 5, Twingo et Clio. Quels sont les ingrédients de ces succès ?
Eléments de réponses avec trois de nos brillants historiens  :


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Le sourire des petites

S’il n’était pas très original, au début du XXème siècle, de fabriquer des petites voitures, raconte Yves Dubreil, Renault a en revanche suivi une démarche spécifique pour concevoir le taxi AG, le fameux taxi de la Marne, en tenant compte des attentes et des usages. Par exemple, le taximètre, la roue de secours, la direction à droite au départ (pour éviter de mettre les roues dans les ornières), puis à gauche (pour croiser les autres véhicules, de plus en plus nombreux, sans les percuter). On remarque par ailleurs que les constructeurs qui sortent des crises par le haut ne sont pas des marques spécialisées dans le haut de gamme. Certes les petites voitures dégagent des marges limitées, mais elles font de gros volumes. Le premier franc succès pour le Renault de l’après-guerre, on le sait, a été la 4CV, un modèle tellement adapté à la demande que Pierre Lefaucheux envisageait des volumes de 300 véh/j au moins – ce qui stupéfia les fournisseurs (le PDG de Saint-Gobain aurait dit à ce moment : « ce type est fou ! ») ».

Que les petites réalisent de gros volumes, on s’en rend compte avec les statistiques.
La R4 est un des plus grands succès de Renault avec plus de 8 millions de ventes dans le monde en 30 ans de commercialisation. Elle a suivi Renault partout car elle a été fabriquée, en dehors de Billancourt, dans 7 usines dans le monde.

« Sur la période 1960-91, commente Luc Bastard, ce qui est le fait majeur, c’est l’évolution sociologique et économique. On passe d’une France rurale à une France périurbaine, on commence à se multi-motoriser et, au niveau des produits, les véhicules minimalistes cèdent la place à des véritables petites voitures telles que la R4, la R5 ou la Twingo qui, de plus, bénéficient de designs hors norme. Et puis, dans les années 1972-75, il y a une aventure propre à Renault : le VBG (véhicule bas de gamme) dont nous vous reparlerons (voir plus loin). Il faut savoir que jusqu’en 1985, le remplacement de la R4 est à la fois un sujet prioritaire et une épine dans le pied pour l’entreprise car cela implique la survie ou non de l’usine de Billancourt.

Il y aura 3 programmes, 44, 45, 49, qui resteront sans suite : la R4 était décidément irremplaçable. C’est à la fin des années 90 que Renault possèdera des bas de gammes suffisamment complémentaires pour lancer une Clio et une Twingo qui trouveront facilement leur place. La décennie 70 est donc marquée par la R4 (et la R6) et le lancement de la R5. 

Mais peut-on décrire en une phrase le CDC de ces voitures ?

Quand le public sourit

 Yves Dubreil : « La R4 est une voiture rurale, une 2CV nettement améliorée, qui a nécessité peu d’investissements (une grande constante de l’entreprise…) ; la R5 illustre une évolution sociologique avec la bi-activité et bi-motorisation des ménages périurbains. La R5 a bénéficié d’une sorte d’alignement des planètes au sein des directions de Renault : DG, marketing, design, et il a fallu une bonne dose de culot pour lancer une 3 portes dont les commerçants assuraient ne pas pouvoir la vendre, sauf en Allemagne. Ce dont il faut se souvenir, c’est le sourire que les premières R5 suscitaient dans le public, et le phénomène s’est reproduit avec Twingo. Le succès découle d’une formule qui mélange l’intuition et la capacité à sentir les tendances en s’imprégnant des études de marché et des courants sociologiques ». 

Et du point de vue de la technique ? « La R4 a repris le GMP de la Dauphine translaté à l’avant, explique Jean-Marie Reveillé. C’est donc du carry over. La phase prototype avait été très riche avec 7 protos et 13 possibilités de variations moteur/châssis/BV/trains. On a même pensé à faire un bicylindre. Cela dit, la R4 recèle aussi des innovations : le refroidissement à eau sous circuit scellé, le graissage à vie, le hayon, la condamnation de portes aux places arrière (déjà présente sur les toutes dernières 4CV).

Quant à la R5, son design est né pratiquement du premier coup de crayon (par Michel Boué). Et ce qui frappe, c’est l’anthropomorphisme de la voiture : des yeux, une calandre avenante, le tout très bien exploité par les campagnes de Publicis. Elle arrive au bon moment avec un style remarquable, ses prestations sont au niveau, bref elle bouscule et pourtant les gens l’aiment. Mais ses caractéristiques ont effrayé nos commerçants : les petites dimensions (3,50 m, moins que la R4), les 3 portes, les boucliers et protections latérales en SMC… et pas de planche de bord !

Yves Dubreil : « On a fini par développer une gamme, ce qui n’était pas prévu. Au bout de 7 ans, en 1979, la phase 2 est lancée avec en particulier la version GTL qui annonce un niveau de consommation record, juste au moment du deuxième choc pétrolier ».

« Techniquement, reprend Jean-Marie Reveillé, on a encore eu recours au carry over en reprenant le GMP de la R4. Mais on a réussi à faire un moteur remarquable avec de la vieille mécanique grâce à Georges Douin qui a mis au point la version GTL, laquelle abaisse le régime moteur max (6000 tr/mn) à 4000 tr/mn : on gagne ainsi en consommation, en bruit, en fiabilité. Toute la concurrence s’est mise au diapason de Renault en fabriquant des boîtes longues. Justement, quels étaient les modèles concurrents ? La Mini, inconfortable, mais craquante, vendue à 5 millions d’unités ; la Fiat 127, une traction, bien moins attrayante que la R5 ; la 204, moderne, mais affligée de gros problèmes de fiabilité en version diésel ; l’Autobianchi A112, petite voiture pétillante, la VW Coccinelle au prix de vente imbattable, et la 104, au style raté (seulement 1,6 million de ventes). A partir de 1961 et la Mini, des voitures sortent avec un moteur transversal – ce que Renault fera en 1981 sur la R9 et en 1984 sur la Supercinq. On voit ainsi arriver successivement la Golf, la Fiesta, la Kadett et la Citroën Visa, très sobre et bien équipée avec le satellite sous le volant, mais affligée d’un design déplorable ».

Le VBG, un épisode méconnu

Nous sommes au milieu des années 70. Pour Yves Dubreil, le VBG n’est « ni R4, ni R5 : il s’agit d’un projet de véhicule hors norme, bien dans l’esprit frondeur de la maison, conçu par des non spécialistes : un architecte d’intérieur, un prospectiviste, aucun ingénieur. Bref, un projet hors sol,sans prise sur la réalité, comme l’aménagement intérieur avec un siège dos à la route, des passagers couchés à l’arrière – le tout au mépris de la plus élémentaire sécurité. En fait, l’habitacle est conçu comme une chambre à coucher. La DG avait sans doute perdu sa boussole. Pourtant, de nombreux tests ont eu lieu, notamment des tests de style. L’aventure s’est terminée le 11 novembre 1977. Priorité désormais à la R14. Mais ce programme méconnu a entraîné des suites techniques extrêmement importantes. Car l’architecture, les moteurs, les boîtes, les sièges du VBG ont permis une remise à niveau des programmes à venir. ». 

Jean-Marie Reveillé : « On s’est servi des protos et mulets VBG, pour la synthèse véhicule des programmes R9/R11 et Supercinq, dont un muni d’un hayon en verre, un autre de la transmission Variomatic Daf, un autre équipé d’un 3 cylindres ».

En 1980, la direction du Produit étudie (entre autres) le remplacement de la R5.

« Il y a deux points essentiels, souligne Luc Bastard : d’abord, la X40, la future Supercinq, reste dans une continuité assez stricte de la R5 avec toutefois un gain de 6 cm en longueur pour améliorer l’habitabilité ; ensuite, la question du design : comment succéder à un phénomène ? De nombreux tests ont été menés, notamment avec une sémiologue, pour comprendre comment le public interprétait le style de la R5. Or entre la R5 sortie en 1972 et la Supercinq lancée en 1984, l’univers automobile avait énormément changé du point de vue des attentes du client. Puis durant la période 1982-85, on a continué à réfléchir au bas de gamme. L’un des produits envisagés était la X49, une sorte de clone de R4/R6, en tout cas un véhicule qui se cherche. D’où arrêt du programme à la mi 82. Mais on repart dans le bas de gamme avec la X44, voiture minimaliste, mais qui n'aboutira pas suite aux résultats des tests auprès du public et à son impasse économique.

A l’époque, en 1983, alors que l’entreprise entre dans une crise financière très grave, la X44 supposait une nouvelle plateforme, un nouveau GMP, une nouvelle usine, l’ensemble étant chiffré à 6 Mds de francs ! Inenvisageable. C’est alors qu’on bascule sur un projet de remplacement de la R4, la X45, qui fait largement appel au carry over (plancher de la X40) et aux économies tous azimuts. Résultat : ni séduction, ni rentabilité. Mais pourquoi a-t-on autant insisté sur le remplacement de la R4 ? Deux réponses : d’abord, en période de crise économique, on cherche à faire un produit pas cher ; ensuite, derrière l’idée de remplacer la R4, se pose l’avenir de l’usine de Billancourt. Arrêter la R4, c’est condamner l’usine que, dès son arrivée, Georges Besse considérait comme une catastrophe en termes de productivité. De plus, la clientèle R4 avait pratiquement disparu. Il faudra attendre la sortie de Clio pour réussir un produit complémentaire et rentable ».

Seulement, la tâche n’est pas aisée pour la Supercinq à son lancement. « La première difficulté, raconte Yves Dubreil, s’appelle 205, voiture séduisante et bien campée sur ses roues arrière, donc qui inspire, contrairement à la Supercinq, une bonne tenue de route. Deuxième difficulté : les subtilités du style génèrent des problèmes de qualité. En prime, comme la R5 continuait à être vendue (la Lauréate), on a baissé son prix de vente, ce qui a attiré vers elle de nombreux clients qui auraient pu acquérir une Supercinq ».

Arrêt des projets bas de gamme, émergence de la X06

Trois mois après son arrivée, Georges Besse stoppe tous les projets de bas de gamme, ayant parfaitement compris que leur rentabilité ne serait jamais au rendez- vous. « A ce moment, en mars 1985, confie Luc Bastard, je me concentre donc sur la CDC de la X57, la future Clio. Lequel CDC se retrouve dans l’une de ses publicités : « elle a tout d’une grande ». Il faut aussi savoir que l’on est en train de changer le pilotage des projets, même si les Directions de projet, idée chère à Raymond Lévy, n’existent pas encore. Bien positionnée, de qualité (voiture de l’année en 1991) et rentable, Clio est un succès, et de ce fait, elle permettra le développement d’un véritable second véhicule bas de gamme ».

Devinez lequel ?  interroge Yves Dubreil : « Il y avait dans les cartons un projet monocorps, donc plus coûteux qu’un bicorps, le W60 qui deviendra X06 grâce à Ploué et à Patrick le Quément. Le W60 était une proposition de Pierre Beuzit, lequel a bien fait avancer les choses en se concentrant sur une architecture monocorps. Fin 1988, X06 est dévoilé à la DG qui réagit en… souriant. L’effet charme avait joué : quand on découvre la voiture, on en a envie – le design, c’est le premier ingrédient du succès. Restait le problème du prix de revient. Il fallait trouver des solutions et Raymond Lévy m’avait donné les pleins pouvoirs. J’ai donc pu appliquer ma formule du « design to cost ». Pour la comprendre, un exemple. Un jour que j’avais en face de moi trois fournisseurs en charge du système de chauffage, je leur ai demandé : j’ai 200 francs (soit 20% du PRF prévisionnel), que pouvez-vous me faire avec cette somme ?
Certains, dont Valeo, ont jeté l’éponge. Pour accepter le challenge, il fallait changer de mentalité à tous les niveaux ».