Good points made here by my interlocutors. Although we face serious epistemic divisions in the social sciences, I am hopeful this discussion can be developed in a spirit of truth-seeking and dialogue...and on terms set by academics, not politicians.
Intellectuellement, je vis entre la France et l’Angleterre. Une des conséquences de cette double appartenance : je suis témoin des résonances entre les paniques morales qui troublent périodiquement les systèmes universitaires de ces deux pays.
Actuellement en France, le sujet est celui de l’« islamo-gauchisme ». Ce phénomène serait d’une telle gravité que, le 16 février, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, en appelait au CNRS d’établir un bilan de l’ensemble des recherches en France afin d’identifier les activités qui relèveraient du militantisme. Evidemment, cette sortie provoqua une levée de boucliers chez mes collègues français qui y discernent une ingérence inquiétante de la part d’un gouvernement qui s’enfonce progressivement dans une dynamique de plus en plus sécuritaire. [...]
Lire le reste de l'article sur le site du Monde.
"Lorsqu'on lit la justification de la loi par le ministre de l'Intérieur ou par le président de la République, ils vont parler d'entrisme, de gangrène ou de séparatisme d'un certain islamisme politique. Or il n'est pas possible de légiférer seulement pour le culte musulman sans tomber dans la discrimination, donc l'Etat a fait ce choix de revoir le cadre juridique des relations avec les cultes. On aurait pu simplement engager des réformes ou actions sur le terrain policier par exemple, de contrôle des financements étrangers des associations, ou de la surveillance, ce qui a été fait par d'autres États comme l'Angleterre où l'on a pas touché fondamentalement au cadre juridique des religions, mais plutôt une approche sécuritaire et policière" (Orginal source here)
I'm not sure that I want to defend the enforced policing and surveillance policies that the UK has adopted in its approach to terrorist threats. However, the French government's current project to respond to this issue through a reform of Church-State relations contains an uneasy paradox. It is both indicative of a domestic political discomfort with the object of religion and an inversion of France's historical commitment to the freedom of conscience and of religious practice in law.
The French Parliament is currently debating a bill tabled by the majority which threatens to fundamentally change the balance of Church-State relations in that country. The “bill to strengthen respect for the principles of the Republic” (widely known as the bill against separatism) is presented by the government as a key element of President Emmanuel Macron’s strategy to counter “the insidious but powerful communitarianism that is slowly eroding the foundations of French society”—namely, radical Islamism.
While some civil society actors have expressed their support for this bill, others warn that it will usher in unprecedented limits to the freedoms of association and religion. So, what should we make of this bill? If it is to pass (which is likely), will it strengthen the Republic against Islamist inspired “separatism”? Or does this legislative hammer risk breaking the common table of laïcité?
Full article (co-authored with my friend and colleague, Blandine Chelini-Pont) published on the Blog of the International Center for Law and Religion Studies.
Dans le cadre du séminaire interne du GSRL, le jeudi 11 février 2021, plusieurs membres du projet RELIMIG dirigé par Valérie Aubourg ont pu présenter leurs travaux sur les catholiques migrants, originaires de sociétés africaines, créoles, asiatiques et latino-américaines en France. Voici le texte de ma contribution. Un article plus élaboré est en cours de publication.
En complément des enquêtes menées par mes collègues du RELIMIG sur des groupes immigrés ou des lieux particuliers, l’axe principal de mon étude a porté sur la politique institutionnelle de l’Eglise à l’égard des migrations.
Mon étude comportait deux volets. Un volet ethnographique, visant à analyser les modes d’actions et les relations sociales qui caractérisent la manière dont l’Eglise organise la reconnaissance et l’encadrement de l’altérité inscrite dans le phénomène migratoire. Puis, un volet historique, visant à reconstituer le développement progressif de cette politique institutionnelle à l’égard des migrations. Ce volet historique ayant notamment pour but de mettre en exergue l’imbrication de la trajectoire de l’Eglise en France par rapport aux initiatives issues de Rome ainsi que l’inscription hétéronome de cette histoire ecclésiale dans la sphère profane des flux et des politiques migratoires à l’échelle mondiale.
Soucieux de respecter la limite de temps qui m’est alloué, je vais aujourd’hui me restreindre à présenter un aperçu de ce deuxième volet historique en me concentrant exclusivement sur la France.
En effet, au XXe siècle, l’accueil que réserve l’Eglise française aux immigrés catholiques est largement conditionnée par une histoire mondiale qui gravite entre Rome et l’Amérique, et qui se déploie en syntonie avec le développement du système international.
Ainsi en 1912, c’est Rome qui impulse à l’Archevêché de Paris la création d’un Office central de l’immigration parisienne (Clément, 2008) ; l’année-même que Pie X crée un office spécial pour les migrations auprès de la Congrégation consistoriale. Des structures spécifiques pour certaines communautés existaient en France avant cette date. Par exemple, une Mission catholique polonaise apparaît à Paris dès 1836 (Ponty, 2009). Mais 1912 représente une année charnière, où l’Eglise française commence à reconnaître la migration comme phénomène sociétal majeur, nécessitant une mobilisation bureaucratique afin d’y apporter une réponse pastorale adaptée.
Avant la Grande Guerre, cependant, l’Eglise en France voit en la migration l’effet d’un dysfonctionnement socio-économique qui appelle à être résolu. Le nouvel Office de l’Archevêché est donc missionné afin de « rechercher les moyens d’enrayer le mouvement d’émigration des habitants des provinces françaises et de l’étranger, qui viennent de plus en plus nombreux dans le département de la Seine ; – de favoriser le rapatriement des émigrés ; – de préserver les immigrants de l’isolement pendant leur séjour à Paris ».[1] Jean-Louis Clément (2008) observe que cette vision française est fortement influencée par la notion d’équilibre qui domine alors la pensée économique libérale – ce qui rejoint notre appréciation de l’importance de cette pensée à la même époque au sein de la Curie à Rome. A cela, il faut ajouter que cette vision traduit aussi une préoccupation contemporaine avec la déchristianisation en milieu urbain (Dumons, 2005), ainsi que l’influence plus générale de la notion de déséquilibre social que nous retrouvons notamment dans la pensée Durkheimienne sur l’anomie.
A l’échelle du monde, la période de l’entre-deux-guerres correspond à une chute des flux migratoires internationaux (Castles et Miller, 2009). La France fait pourtant figure d’exception durant cette période. Les besoins de la reconstruction et le déficit démographique entraîné par le conflit mènent la France à signer de nombreux accords avec des pays d’émigration (Noiriel, 2006, p. 114) afin de pourvoir au besoin national en main-d’œuvre.
Pour l’Eglise, l’arrivée de ces nouveaux immigrés (pour beaucoup issus de pays de tradition catholique : Italie, Pologne, Espagne, Belgique) marque le début d’une nouvelle réflexion approfondie sur le phénomène migratoire et sur la stratégie pastorale qu’ils nécessitent. Ralph Schor (1980) trace le développement de cette double réflexion durant cette période. Sous l’impulsion des milieux progressistes, l’idée d’organiser la régulation des mobilités humaines et des échanges économiques au niveau international se propage, et le champ discursif du droit prend le dessus sur celui de l’équilibrage économique. En 1922, Mgr Chaptal est nommé à la tête de l’Office central de l’immigration au diocèse de Paris. Sous sa direction, l’Eglise commence à construire un réel appareil bureaucratique capable d’accueillir ces catholiques venus d’ailleurs, d’encadrer leurs pratiques religieuses de manière adaptée, et d’organiser leurs rapports avec leurs coreligionnaires français.
Si l’orientation générale à partir de cette période fut d’encadrer les migrants dans des structures d’accommodements culturels visant à assurer une continuité dans leur pratique religieuse, la question du rapport entre les catholiques migrants et les catholiques autochtones s’est fréquemment posée : Les migrants et les autochtones doivent-ils rester cloisonnés entre eux dans des cadres qui leur sont respectivement familiers, ou doivent-ils être plus activement encouragés à se fréquenter dans les paroisses territoriales ?[2]
Mgr Chaptal créa au cours des années 1920-1930, neuf nouvelles missions pour différentes communautés immigrées d’origine européenne,[3] et une partie de ses efforts sera consacrée à la médiation des tensions et des méfiances qui troublent les relations entre le clergé français et les fidèles étrangers, mais aussi avec les prêtres missionnaires délégués depuis les pays d’émigration. Il élargit aussi le périmètre territorial de sa fonction à-travers une Commission Nationale d'Aide aux Migrants, et en 1926, il lance une revue nationale, L'Etranger Catholique en France, dotée de correspondants diocésains (Schor, 1980, p. 140).
Ces initiatives établissent un cap dans la politique d’accueil de l’Eglise, suspendue durant l’Occupation, mais rétablie après 1944. Principaux apports durant la période d’après-guerre : une nouvelle prise-en-compte des besoins pastoraux des catholiques issus des colonies, et une formalisation supra-diocésaine de ces structures au niveau national. En 1947, le catholicisme vietnamien est organisé en France avec la création d’une fédération, ensuite érigée en mission en 1952 (Simon-Barouh, 1999).[4] En 1950 est créé l’Aumônerie des étudiants catholiques d’Outre-mer sous l’impulsion de Monseigneur Marcel Lefebvre, alors délégué apostolique pour l’Afrique noire d’obédience française (Legrain, 2009). Installé rue Thibaud dans le XIVe arrondissement de Paris, sous la direction du Spiritain Joseph Michel, cette aumônerie accueille des étudiants Africains, Malgaches, et Antillo-Guyanais, et édite trois bulletins pour ces communautés respectives (Cartier, 1996).
De manière plus générale, les archives de l’Eglise de France témoignent à partir des années 1950, d’une attention soutenue de la part des diocèses quant aux pratiques religieuses des immigrés catholiques et à l’encadrement des prêtres étrangers présents sur le territoire national.[5] Ayant ainsi progressé dans cette direction, le clergé français anticipe de nombreuses mesures inscrites dans la Constitution apostolique Exsul familia (1952), cette dernière mandatant une organisation nationale pour le suivi pastoral des immigrés ainsi qu’une coordination bilatérale avec les épiscopats des régions d’émigration. En 1962 est créée la Commission Episcopale des Migrants (anticipant de deux ans la création de la Conférence des évêques de France), et en 1965, l’Aide à l’Eglise en détresse commence à financer la majorité des activités auprès des migrants suite à « une sorte de contrat passé entre le Père Werenfried [fondateur de l’AED] et l’Eglise de France ».[6] En 1972, les aumôneries de la migration ainsi que les activités de plaidoyer en matière de droit des migrants sont regroupées au sein d’un nouveau Service national de la pastorale des migrants (SNPM).
S’ensuivent alors plusieurs décennies de structuration institutionnelle dont l’arrière-fond est la transition socio-politique d’une immigration de travail vers une immigration de peuplement : nominations d’évêques référents, recrutement d’une équipe de salariés laïcs à Paris, développement d’un réseau de délégués diocésains dédié à la pastorale des migrants à-travers la France, et création d’un chapelet de nouvelles aumôneries nationales et linguistiques.[7]
Brigitte Beuzen (2008, p. 22) observe que la vie du SNPM durant cette période est traversée par des tensions imputables à la double dimension de l’accompagnement religieux des communautés catholiques d’une part, et d’autre part l’action politique et le plaidoyer en faveur des droits des migrants. En effet, si les aumôneries développent des pratiques confessionnelles de manière autonome, les activités du SNPM sont largement orientées vers un engagement explicitement politique. Cette orientation s’exprimait notamment à-travers le contenu du Courrier de la pastorale des migrants, dont les numéros communiquent régulièrement des annonces concernant les prochaines manifestations en faveur des droits des migrants, des articles relatifs aux associations de migrants non catholiques telles que le GISTI, des articles sur l'Islam et les relations entre catholiques et musulmans, et des articles condamnant explicitement le Front national et avançant des stratégies afin que les membres du réseau puisse s’organiser en opposition à ce parti. Cette orientation se manifestait aussi par l’emplacement des bureaux historiques du SNPM dans un immeuble du Faubourg Saint Antoine dans le XIe arrondissement de Paris, appartenant à la congrégation des Scalabriniens et accueillant alors plusieurs associations actives dans la promotion des droits des étrangers en France.[8] Finalement, cette orientation se traduit par les priorités budgétaires du Service national. Par exemple, qui alloue annuellement environ 25% de ses fonds aux aumôneries.[9]
Or, ces tensions ne pouvaient être contenues indéfiniment. La diminution des capacités budgétaires de l’Eglise découlant de la désaffiliation religieuse croissante chez les français, l’effondrement des mouvements chrétiens de gauche, la méfiance d’une part d’épiscopat à l’égard de l’autonomie activiste du SNPM, et une revalorisation des compétences strictement spirituelles et liturgiques au sein de l’Eglise, entraîna le démantèlement des activités les plus explicitement politiques du SNPM.
En 2013, les bureaux du Service national furent transférés au nouveau siège de la CEF, situé Avenue de Breteuil dans le VIIe arrondissement de Paris. Déménagement symbolique, le SNPM quitte les lieux de ses luttes d’antan pour rejoindre un quartier « chic ». Déménagement qui annonce aussi une rationalisation des activités du SNPM. Les communiqués du Service sont soumis à un contrôle plus strict de la part de la CEF, il est sommé de coordonner ses activités plus étroitement avec celles des autres services nationaux, et il est soumis à un contrôle financier et organisationnel accru. Le siège de la CEF marie symboliquement des éléments architecturaux et organisationnels issus à la fois de la tradition catholique et du monde de l’entreprise : les vitraux et la hiérarchie ecclésiastique s’y mêlent avec l’ascenseur vitré et les services HR. Par son déménagement, le SNMP est soumis à la discipline de ces deux mondes, contraint à devenir plus managérial dans ses pratiques et plus ecclésiastique dans ses orientations.
Cependant, cette nouvelle étape ne marque pas un souffle nouveau pour les aumôneries catholiques de la migration. En 2019, l’AED annonça qu’elle cesserait de financer les activités du SNMP. Puisque ce financement assurait la majorité du budget du Service, les aumôneries ont alors vu leurs subventions réduites à néant. Puis, en 2020, la CEF décida le fusionnement entre le SNPM et le Service national de la Mission universelle de l’Église, qui coordonne les échanges cléricaux entre la France et l’étranger.
L’effet concret principal de ce fusionnement est de réduire les effectifs, les moyens, et l’importance accordés aux migrants, catholiques ou non précisément au moment où l’importance des immigrés prend une véritable ampleur au sein du catholicisme français et où la migration demeure l’un des derniers terrains sur lesquels les valeurs inscrites dans la doctrine sociale de l’Eglise ne sont pas en contradiction avec la norme dominante dans la société française.
Face à ce fait sociétal majeur du monde contemporain qu’est la migration, l’Eglise catholique est à certains égards idéalement placée pour y répondre : institution transnationale par son essence, tirant ses racines dans un monde pré-Westphalien, et porteuse d’une doctrine universaliste. Pourtant, l’Eglise y rencontre bien des obstacles, peinant à trouver un juste équilibre entre la reconnaissance des différences culturelles et l’unification des fidèles d’origines diverses autour d’une table commune, cherchant à porter une voix prophétique sur un sujet profane au risque de reproduire les discours du monde sécularisé.
Pour ce qui est de la France, nous devons faire le constat d’une situation paradoxale. Au sujet des missions étrangères, Denis Pelletier (1996, p. 5) a pu écrire que celles-ci exprimaient « l’existence d’un lien particulier entre la catholicité française et celle, en devenir, des peuples colonisés ». Cette catholicité des peuples colonisés est incontestablement advenue : aujourd’hui, deux-tiers des catholiques vivent en dehors de l’Europe (Pew, 2013). Mais, chose peut-être moins évidente, ce lien particulier annonçait aussi le devenir de la catholicité française elle-même. Les études issues de l’enquête « Relimig » démontrent l’importance croissante, en nombre et en influence, des migrants catholiques en France. Le renouveau démographique qui s’opère dans la société française annonce une transformation profonde de l’Eglise catholique française.
Mais alors que les migrants représentent un gisement de potentielles idées et de force vitale pouvant redonner souffle au catholicisme français, l’Eglise (prise au piège de la gestion de son propre déclin) manque de ressources afin de pouvoir gagner à elle ces populations dans un esprit missionnaire. Pourtant, cette histoire n’est pas encore conclue. Le centre gravitationnel du monde catholique est en passe de basculer vers le Sud. Peut-être que ce sera depuis les régions d’origine des migrants eux-mêmes que s’écrira le prochain chapitre.
Alexis Artaud de La Ferrière, 11 février 2021
[1] Tract, Office central de l’immigration parisienne. Archives historiques du diocèse de Paris : 9K2 9a. Cité dans Clément, 2008.
[2] Dans une étude sur les aumôneries catholiques de la migration en Angleterre et au Pays de Galles, Louise Ryan (2016, p. 292) relève cette même interrogation : « Les aumôneries ethniques et linguistiques doivent-elles constituer une mesure temporaire, au stade initial de la migration, afin de construire des ponts vers des paroisses locales plus diverses ? Si ces aumôneries continuent à maintenir des traditions distinctes jusqu'à la deuxième et la troisième génération, quel est l'impact sur les processus d'inclusion dans le système paroissial en Angleterre et au Pays de Galles ? »
[3] Sur les missions slaves, cf. Schor, 2001. Sur la mission hongroise, cf. Janicaud, 2009.
[4] Cette Mission est aujourd’hui installée dans des vastes locaux, rue des Epinettes dans le XVIIe arrondissement de Paris.
[5] Voir notamment les fonds du Centre National des Archives de l'Eglise de France (CNAEF) sur la Mission Chinoise (121 CO 133) et sur les aumôniers nationaux (129 CO 85).
[6] CNAEF, 129 CO 85, Aumôniers nationaux.
[7] 21 aumôneries catholiques de la migration sont officiellement reconnues par la Conférence des Evêques de France. Celles-ci sont organisées en cinq régions. Afrique : aumônerie africaine (tous pays) ; Océan Indien : aumôneries malgache, mauricienne, réunionnaise ; Asie : aumôneries bengalie, cambodgienne, hmong, laotienne, philippine, tamoule-indienne, tamoule sri-lankaise, vietnamienne : Amériques : aumôneries Antilles-Guyane ; Europe : aumôneries croate, espagnole et hispanophone, hongroise, italienne, polonaise, portugaise, slovaque, slovène.
[8] la Maison des travailleurs immigrés (MTI), l’Association pour l’éducation et la formation des travailleurs immigrés (AEFTI), le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), et le Centre d'information et d'études sur les migrations internationales (CIEMI, organe scalabrinienne)
[9] Ex: En 1995, le budget du SNPM représentait 2 770 000 Fr, dont seulement 735 807 Fr (26%) sont alloués aux aumôneries sous formes de subventions. CNAEF, 129 CO 85, Aumôniers nationaux. La majorité du budget à cette période est assuré par une subvention annuelle de l’AED (2M Fr). La CEF contribue 440 000 Fr, et la CCFD 330 000 Fr.
Le projet de loi confortant le respect des principes de la République (dite loi conte le séparatisme) est présenté comme un élément clé de la stratégie d'Emmanuel Macron afin de contrer cet "entrisme communautariste, insidieux mais puissant [qui] gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires" - à savoir le "séparatisme" d'inspiration islamiste. Mais, si elle est adoptée dans sa forme actuelle, quelles seront les finalités de cette loi ? Je partage ici quelques points de réflexion.
D'abord, il faut rappeler que ce projet de loi s'inscrit dans une longue continuité historique, celle de l'évolution des rapports entre les cultes et l'Etat. La laïcité n'est pas figée, et l'apanage législatif concernant la manifestation publique des croyances religieuses n'a cessé d'évoluer depuis la rédaction de l'article 10 de Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Mgr Luc Ravel, Archevêque de Strasbourg, a rappelé que bien des éléments de ce projet de loi renvoyaient aux débats autour de la loi organique de 1802, qui établit le régime concordataire. La fameuse loi du 9 décembre 1905, qui instaura la séparation des Églises et de l'Etat a elle-même été modifiée une vingtaine de fois.
Cependant, ce projet de loi devrait néanmoins susciter des interrogations - voir des inquiétudes - du point de vue de la liberté religieuse et de sa fidélité à l'esprit de 1905. En effet, si cette loi s'inscrit dans une continuité historique, elle est avant tout un produit du contexte socio-politique dans lequel nous vivons aujourd'hui. Ainsi, nous pouvons mieux saisir la signification de ce projet de loi en décrivant son inscription dans trois tendances qui définissent notre présent.
Une tendance sécuritaire. Cette loi est avant tout un texte restrictif et sécuritaire. Le Ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, a pu le décrire comme "un texte de liberté". Mais c'est là faire une prouesse de double-speak Orwellien. Nonobstant le bien-fondé (ou non) de ce texte, son contenu se résume à une quarantaine d'articles qui visent à surveiller, restreindre le périmètre d'action, et renforcer le contrôle étatique dans les domaines des services publics, des associations, de l'enseignement, et des cultes. Il y a bien l'article 28, qui autorise les associations cultuelles à maintenir des immeubles de rapport. Mais c'est une bagatelle au vu du poids des autres articles. Nous pouvons nous demander si ce texte n'entame pas une inversion de l'éprit de 1905, qui définissait la liberté comme le principe et l'interdiction comme l'exception. Rappelons cette fameuse phrase d'Aristide Briand : « Toutes les fois que l’intérêt public ne pourra être légitimement invoqué dans le silence des textes ou dans le doute de leur exacte application, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée législative ».
Une tendance bureaucratique. Max Weber avait déjà identifié dans la bureaucratie le signe de l'inévitable rationalisation, codification, et formalisation des rapports sociaux et de l'action sociale que constituent la modernité. Plus récemment, David Graeber décrivait la propagation des contraintes bureaucratiques dans la vie quotidienne des personnes comme une source d'abrutissement de l'esprit et de "démocratisation du despotisme". Les articles du Titre II du projet de loi annoncent une surenchère de nouvelles contraintes administratives imposées aux associations cultuelles et aux associations mixtes. Le rescrit administratif (art. 27), le renforcement de la déclaration des comptes (art. 30), la nécessité de recourir à un commissaire des comptes en cas de financement étranger (art. 35)... Voilà autant d'obligations et de frais qui incomberaient aux associations cultuelles, qui dans leur majorité reposent sur une petite équipe de bénévoles et disposent de ressources modestes.
Un tropisme religieux. Depuis le 11 septembre 2001, il existe une tendance croissante d'analyser les phénomènes sociaux à travers le prisme du religieux - et de chercher des solutions aux problèmes sociétaux en agissant directement sur la chose religieuse. Il serait erroné de ne pas reconnaître le rôle de l'Islam dans la série d'actes terroristes qui se succèdent en France et ailleurs depuis vingt ans. Mais le choix de répondre à cette recrudescence de violence dans la société française et le désengagement de nombreuses personnes par rapport à la République n'appelaient pas nécessairement à une réforme de l'encadrement juridique des cultes. D'autres sociétés confrontées aux mêmes phénomènes se sont cantonnées y répondre par des mesures policières, économiques, et/ou culturelles.
Au-delà des interrogations que peuvent susciter les éléments ci-dessus énoncés, un certain nombre d'autres remarques seraient pertinentes.
Ce texte répond-il réellement aux motifs énoncés par le gouvernement ? Nous pouvons craindre que non, tellement il déborde de son cadre initial (le "séparatisme islamiste"). Ou bien alors ce texte viserait-il, de manière indirecte et implicite, à éliminer la majorité des petites/moyennes associations mixtes ou à les forcer à se fissionner dans le but de mutualiser leurs ressources afin de pouvoir répondre aux nouvelles contraintes imposées. Un tel mouvement faciliterait la tâche de la police des cultes, qui y trouverait un nombre réduit d'acteurs associatifs à contrôler. À certains égards, nous pouvons comprendre une telle logique. La rationalisation du champ religieux s'inscrirait dans une trajectoire moderne plus large. Il répondrait aussi au besoin de l'état d'identifier des interlocuteurs viables et représentatifs parmi les cultes. Mais ce mouvement discriminerait contre de nombreux groupes qui ont de légitimes raisons théologiques de préférer une autonomie à l'égard de leurs coreligionnaires. Il risquerait aussi de précipiter la rupture entre tendances majoritaires et minoritaires au sein des traditions religieuses, incitant ces dernières à se retirer du cadre du droit.
Il est significatif que par sa volonté de ne pas cibler le culte musulman de manière discriminatoire dans ce texte de loi, le gouvernement a produit un texte discriminatoire à l'égard du religieux dans son ensemble du fait des nombreux articles restrictifs ou répressifs qui ciblent exclusivement les associations cultuelles et les associations mixtes. Ainsi, par exemple, l'article 39 prévoit une aggravation des peines prévues par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dès lors que les provocations à commettre certaines infractions graves ou que les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes sont commises dans des lieux où s’exerce le culte ou aux abords de ces lieux.
Ce texte annonce aussi une restriction draconienne de la liberté de choix d’enseignement des parents en France. Actuellement, l’Etat reconnait aux parents le droit d’instruire leurs enfants à domicile, à condition qu’ils fassent une déclaration auprès de la mairie et qu’ils présentent leur méthode pédagogique choisie à l'inspecteur chargé du contrôle. L’article 21 du projet de loi ferait de ce droit une dérogation soumise à la délivrance d’une autorisation par les services académiques, pour des motifs tirés de la situation de l’enfant et définis par la loi. En outre, la loi interdirait aux parents d’invoquer leurs « convictions politiques, philosophiques ou religieuses » comme motif de scolarisation à domicile. S’il est légitime de contrôler que les parents remplissent leurs obligations en termes de droit à l’enseignement de l’enfant, cet article interdirait d’un trait toute une tradition de liberté de conscience qui se manifeste à travers le choix d’offrir à ses enfants une alternative à la scolarisation.
Il y aurait bien d'autres éléments à aborder au sujet de ce projet de loi. Mais ce billet n'a pour vocation que d'énoncer quelques points de réflexion. Nous nous trouvons en proie au problème théologico-politique que Leo Strauss décrivait comme intrinsèque à notre condition moderne : comment résoudre la querelle entre la loi religieuse et la loi temporelle dès lors que nous vivons dans un état sécularisé ? Strauss pensait que nous ne pouvions faire guère mieux que de reconnaître la nature insurmontable de ce problème et que donc, il fallait vivre, tant bien que mal, avec les tensions qu'il suscite.
Cette pensée peut servir de mise-en-garde : à force de vouloir parfaire l'édifice de la laïcité, on risque de l'ébranler.
Alexis Artaud de La Ferrière, 1 février 2021
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