Mamans, nous vous cherchons ! Et pourtant ...
Emmanuelle, Juillet 2021,
Laurent, Hélène, Georges, Marion, Serge, Isabelle, Anna, Leila, Sandra, Peggy
et tous les autres !
Photo du dossier d'adoption
Rencontre en 2018
Je suis née à Beyrouth en 1966. Après avoir été cachée durant sa grossesse, ma mère a été contrainte de m'abandonner dès ma naissance. J'ai été adoptée quelques mois plus tard en France. Après de pénibles recherches, j'ai eu la chance de la retrouver en 2017. Depuis lors, riche de ce cheminement, j'ai à cœur d'accompagner d'autres personnes adoptées du Liban dans cette interminable quête de leurs racines biologiques.
Chaque année, quelques-uns d'entre nous sont profondément heureux de retrouver leur mère, leur père, un membre de leur fratrie, … des personnes à qui ils ressemblent, un bout de leur histoire, un port d'attache biologique, une éventuelle réponse à cette lancinante question : "pourquoi ai-je été abandonné ?". Mais trop peu vivent cet apaisement et je ne peux rester silencieuse face à la souffrance de tous les autres.
Il y a trois ans, je lançais l'appel "Mamans, nous vous cherchons et nous ne vous en voulons pas"1 via le quotidien l'Orient-Le-Jour. Merci à Anne-Marie El-Hage pour son article qui a donné le courage à quelques mamans biologiques de demander de l'aide afin de retrouver leur enfant. Cet article a aussi donné l'opportunité à quelques demi-frères et demi-sœurs de lancer un avis de recherche. Et pourtant...
Et pourtant, aujourd'hui, mon constat est triste : les recherches des personnes adoptées se révèlent vaines. En effet, lorsque nous nous rendons au Liban, il nous faut très souvent faire face à cette sempiternelle remarque "mais tu as déjà une famille là-bas ! ". Le propos n'est pourtant pas de savoir si nous avons eu la chance ou non d'avoir une famille d'adoption, mais de savoir à qui nous devons la vie !
Nous sommes là, prêts à accueillir votre histoire, sans jugement, juste dans le besoin naturel de trouver un visage dans lequel nous refléter et, pour mieux aller de l'avant, une histoire de naissance dans laquelle nous enraciner. Malheureusement, nous nous heurtons très régulièrement à une incompréhensible omerta de la part de ceux qui ont contribué à nos adoptions ainsi que d'une grande partie des Libanais – y compris ceux de la diaspora – avec qui nous entrons en contact. Le tabou de l'adoption est tel qu'à partir du moment où on articule le mot "adopté", le contact est souvent définitivement rompu.
Aujourd'hui, j'ai parfaitement compris que nos mères ont été jugées une première fois (combien de nos pères les ont soutenues ?) et que, lorsque nous les retrouvons, elles le sont une seconde fois. Je ne peux que compatir à leur douleur alors qu'elles sont contraintes de se taire sous la pression sociale et culturelle. Et pourtant, quelle maman ne souhaiterait pas savoir que son enfant est vivant ? De plus, on ne peut que s'inquiéter de secrets qui empoisonnent probablement les familles concernées. Quant à la personne adoptée, elle est de nouveau rejetée. Tant de souffrance au nom de ce "crime d'honneur"...
Par ailleurs, les relations intimes avant le mariage ont toujours existé. Ma perception est que l'enfant né de ces relations au Liban est systématiquement envoyé en adoption, et ce, de façon tout à fait admise. L'adoption pallierait donc un grave problème de fond à l'interne du Liban et nous serions des milliers à en payer le lourd tribu !
Il me semble alors important de reconnaître que l'adoption n'est que la conséquence de l'abandon ! Pourtant, la plus belle place qui revient à un enfant n'est-elle pas au sein de sa famille biologique ? Non seulement, le confort matériel ne vaut rien à mes yeux face à la séparation – et il faut arrêter de croire que tous les couples adoptifs sont riches – mais il serait également précieux de prendre en considération la blessure primitive2, trauma de séparation maternelle dont les séquelles retentissent régulièrement sur l'adopté tout au long de sa vie. A noter encore que, dans la plupart des cas, l'adoption est la rencontre de deux blessures – celle d'un couple qui n'a pas pu avoir d'enfant et celle de l'enfant déjà traumatisé – menant aussi à des échecs d'adoption. Il serait donc grand temps de cesser d'idéaliser l'adoption.
Dans les faits, les abandons touchent tous les milieux socio-culturels et confessionnels. Les cas de figure sont multiples et, parmi eux, celui des personnes adoptées qui découvrent qu'elles ont un demi-frère ou une demi-sœur également adopté ou celui d'enfants légitimes volés à la naissance. Que penser encore des documents qui mentionnent que l'enfant est né de sa mère adoptive, ce qui nie l'existence même d'une maman biologique ? Quant aux "frais de dossier", ils s'élèvent en moyenne à 20'000 dollars depuis la guerre.
J'aurais préféré partager des nouvelles plus réjouissantes avec vous. J'ai parfaitement conscience de l'effondrement que traverse le Liban et j'en suis profondément affectée. Malgré ces circonstances, il m'est moralement impossible de faire l'impasse sur ces abandons toujours d'une brûlante d'actualité. Alors que le Liban n'a toujours pas ratifié la Convention de la Haye3 et qu'une véritable industrie de l'adoption s'y déroule depuis plusieurs décennies, je suis profondément inquiète : ô, combien de souffrance nous réserve encore l'avenir !
C'est en cheminant ensemble que nous allégerons cette souffrance partagée et que nous permettrons à d'autres de vivre la douceur de se retrouver.
Mamans, nous vous cherchons
et nous sommes nombreux à être en chemin vers vous
Pères, demi-frères/sœurs, cousins…
nous nous réjouissons de vous rencontrer aussi
Parce que nous sommes vos enfants
Parce que nous sommes enfants du Liban
Parce que connaître ses racines biologiques est un besoin humain fondamental !
Vous souhaitez répondre à mon appel ?
Emmanuelle, Juillet 2021
L'enfant adopté ; comprendre la blessure primitive - Nancy Newton Verrier
La Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale conclue à La Haye le 29 mai 1993 stipule qu’un enfant peut être adopté à l’étranger seulement si aucun parent ne peut être trouvé dans son pays d’origine.