17/04/2025
Il s’agira dans cette séance d’expérimenter la possibilité d’une phénoménologie conçue comme philosophie réflexive de l’histoire de la philosophie. Dans ce cadre, le phénoménologue de l’histoire de la philosophie a pour seul champ d’expérience les textes de la philosophie. Cette entreprise métaphilosophique (pour reprendre le terme de Morris Lazerowitz) ou de philosophie de l’histoire de la philosophie (pour reprendre celui, plus approprié en la circonstance, de Martial Gueroult) ne se contente pas de décrire les positions philosophiques ni de restituer tel contenu propositionnel émis par les philosophes, du type « l’Être est X », mais entreprend de désimpliquer les inférences qui découlent nécessairement des engagements pris par les philosophes sur tel problème, afin de rendre explicites les assomptions qu’on ne peut pas ne pas admettre si on a posé tel contenu, pour ensuite pouvoir remontrer aux actes les plus fondamentaux faits par les différents philosophes pour pouvoir dire ce qu’ils disent.
Dès lors, la métaphilosophie, définie ici comme une forme de philosophie de l’histoire de la philosophie, interroge – comme y a insisté son fondateur – la « pensée philosophante », le participe présent marquant clairement qu’il s’agit de la pensée se faisant ou de la pensée en acte. Il y faut donc analyser les actes faits par les philosophes (ce qu’ils font : Tun) pour pouvoir dire ce qu’ils disent (Sagen), en vue de produire une sorte d’actologie comme repérage, analyse et mise en lumière les opérations les plus structurantes effectuées, à travers l’histoire, par les textes de philosophie.
Ainsi, le philosophe de l’histoire de la philosophie est amené tout au long de son parcours à approfondir, voire à renouveler la notion de réflexivité puisqu’il se définit comme un analyste qui passe les philosophes au crible de leurs propres questions, en une sorte de redoublement réflexif : « qu’est-ce que la vérité (ou le réel, la conscience, le monde, etc.) ? », demande le philosophe. « Qu’est-ce que la vérité (etc.) pour les philosophes ? », demande le philosophe de l’histoire de la philosophie. Il est également conduit à maintenir, tout en la renouvelant, la notion de démarche transcendantale, conçue comme tentative d’élucidation des conditions de possibilité de la pratique philosophique.
Pour ce cours, l’échantillon des philosophes élus comme corpus à interroger, c’est-à-dire comme terrain d’investigation et d’expérimentation, sera celui des textes du néoréalisme récent (2007-2020). Bien des thèmes de ces tenants actuels du « réalisme » (lequel se décline en de multiples tendances : réalisme scientifique, spéculatif, ordinaire, phénoménologique, ou réalisme dit simplement « nouveau » par leurs auteurs) peuvent être ainsi interrogés mais pour ce cours nous nous concentrerons sur la consistance de leurs positions quant à la notion de « réel perçu ». Nous analyserons plus précisément les théories de la perception de trois auteurs : Ferraris (réalisme proclamé « nouveau »), Benoist (réalisme ordinaire, directement issu d’Austin et de Travis) et Romano (réalisme phénoménologique, influencé par Merleau-Ponty).
Pour mener à bien ce programme, trois moments seront nécessaires. Tout d’abord l’explicitation et la justification de l’approche ici proposée. Une « métaphilosophie », certes, mais qui reprend en le transformant le syntagme de Martial Gueroult : philosophie de l’histoire de la philosophie ; transformation qui conduit à une philosophie réflexive de la philosophie ou transphilosophie. Ce premier moment s’attachera à circonscrire plus avant ce domaine, à en préciser la nature comme les exigences et les tâches qui y sont poursuivies. En un mot, il s’agira d’ouvrir le chemin de la pensée philosophante, qui se révélera comme une activité à exercer sur les textes philosophiques. Une fois compris les concepts et les méthodes propres à ce champ, nous les expérimenterons sur quelques textes du nouveau réalisme, plus précisément sur le traitement que reçoit, dans ces textes, la question du réel perçu. Enfin, dans un mouvement de retour sur les analyses effectuées sur le corpus choisi, nous pourrons, dans un troisième moment, déterminer plus avant cette « transphilosophie » et justifier sa caractérisation à la fois comme phénoménologie des textes philosophiques et philosophie réflexive.