L'amour selon Spinoza dans l'Ethique

Séance du 28 mai 2019- L'amour selon Spinoza:


Vidéo de la conférence

Spinoza et l'amour par D Carsin


Plan de la conférence

1- L'explication de l'amour

a- Peut-on l'expliquer ? : Les objections avancées pour disqualifier ce projet. Pour Spinoza,

1- il est possible d'expliquer les affects humains, parmi eux l'amour (projet d'une science des affects);

2- la raison n'est pas une « faculté » radicalement étrangère aux affects, elle peut agir sur eux

b- Le principe de cette explication : le déterminisme universel qui régit tous les phénomènes de la nature (Ethique III, Préface) :

– Cette explication exige qu'on distingue les affects passifs (passions) des affects actifs (actions) et deux types de causalité : extérieure et intérieure (le désir, voir Ethique III, scolie de la proposition 9))

– Le caractère apparemment irrationnel de l'amour s'explique par le fait qu'il est le produit confus de ces deux types de causalité

c- De quelle manière la définition de l'amour de Spinoza explique-t-elle l'amour ?

« L'amour n'est rien d'autre qu'une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure » (Ethique III, scolie de la proposition 13)

- Une explication génétique : l'amour est une passion composée dont on peut expliquer la formation à partir de deux affects primitifs (le désir et la joie) et de leur fixation occasionnelle sur un objet extérieur (« qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure »)

- L'illusion de la conscience spontanée de l'amour . Elle inverse illusoirement la cause et l'effet : ce n'est pas parce que l'objet aimé est jugé bon et désirable qu'il est aimé et que l'amoureux a la volonté de se joindre à lui, c'est parce qu'il est joyeux en sa présence, qu'il le juge bon. C'est cette joie qui lui fait l'aimer

- La formulation polémique de la définition de l'amour : Elle vise à écarter toutes les définitions qui le conçoivent par rapport à son objet (voir le Banquet de Platon, le Traité des passions de l'âme de Descartes). Dans son article « Etat amoureux et hypnose », Freud procède de la même façon et utilise la même formulation (« l'amour n'est rien d'autre que... »)

- La volonté de se joindre à la chose aimée comme « contentement» : En confondant l'essence de l'amour avec sa « propriété » (= « La volonté de l'amant de se joindre à la chose aimée »), Descartes se trompe sur la nature de cette propriété. Cette « volonté » n'est pas un « libre décret » mais la satisfaction (le « contentement ») éprouvée à l'idée de sa présence (voir l'article 80 du Traité des passions de l'âme de Descartes et l'explication qui fait suite à la définition de l'amour à la fin de la 3ème partie de l'Ethique)

Conclusion : le véritable centre de gravité de l'amour est la joie; la considération de l'objet aimé (« l'idée de la cause extérieure ») est secondaire dans son explication (c'est un « accompagnement »)

d- Comment expliquer que le désir, en devenant passion amoureuse, se fixe sur un objet ?

a- Le rôle de la mémoire et de l'imagination dans la constitution de l'objet : la fixation se fait directement ou indirectement, par mécanismes d'association (comme celui de ressemblance, voir Ethique III, proposition 16)

b- Le rôle déterminant des traces du passé dans la vie affective du sujet (voir Ethique III 2ème postulat) permet de comprendre pourquoi il ne peut pas avoir une conscience claire des raisons qui le poussent à aimer.


2- La définition de Spinoza qui réduit l'amour à une joie est-elle fausse ? N'est-elle pas démentie par l'expérience ? Aragon: « Il n'y a pas d'amour heureux »

a- Si l'amour est une joie, il n'exprime rien de fondamentalement tragique (comparaison avec le mythe d'Aristophane dans le Banquet)

b- C'est parce que l'amour est une joie qu'il peut être source de malheur (le « contentement » éprouvé par l'amoureux à l'idée de l'être aimé explique son attachement envers et contre tout) ; la dimension passionnelle de l'amour.

- De quelle manière l'amour devient dangereux en se retournant en haine (Ethique III, propositions 31 à 35). Le cas de la jalousie (elle résulte du mécanisme d'imitation affective appliqué à un objet aimé qui devient l'enjeu d'une possession exclusive)

– L'aliénation passionnelle consiste dans la toute puissance imaginaire accordée à l'objet aimé (« l'idée de la cause extérieure »); la croyance au libre-arbitre de cet objet intensifie la passion (Ethique III, proposition 49; Ethique V, proposition 5)

3- Peut-on guérir de la souffrance d'aimer et comment ?

a- C'est parce que l'amour est une passion composée qu'on peut s'en délivrer en la décomposant: « en séparant un affect de la pensée d'une cause extérieure et en la joignant à d'autres pensées » (Ethique V proposition 2).

b- C'est en comprenant un affect par sa cause qu'on cesse d'en souffrir et qu'on le transforme en affect actif (Ethique V, proposition 3)

c- Les hommes sont exposés à la souffrance parce qu'ils aiment excessivement des choses qu'ils ne peuvent pas posséder (Ethique V, scolie de la proposition 20)

d- Y a-t-il un objet dont la possession soit constante et dont l'amour ne puisse se renverser en haine ? De « l'amour envers Dieu » à l'« amour intellectuel de Dieu » (Ethique V)