Montaigne, la cruauté et le mensonge

Vidéo-conférence du 10 juin 2021

Montaigne, la cruauté et le mensonge

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Lecture des Essais de Montaigne sur la cruauté (II, 11; II, 27) et sur le mensonge (I, 9; II, 18; III, 1) . Cette lecture s'articule à celle les Essais consacrés à la coutume (I, 23), aux Cannibales (I, 31) et à la conquête de l'Amérique par les Espagnols («Sur les coches», III, 6)

Je lis les Essais dans la collection Quarto/ Gallimard, traduction d'André Lanly.

Le problème: Peut-il y avoir une morale universelle?

La conscience morale ne fait-elle qu'intérioriser les opinions et les mœurs d'une société ? C'est cette thèse qu'établit, semble-t-il, l'Essai sur la coutume (I, 23) : «La raison humaine est la teinture faite de toutes nos opinions et mœurs, de quelque forme qu'elles soient». Nous croyons qu'elle est autonome et qu'elle nous permet de produire des jugements universels; elle ne fait en réalité que justifier ce qui résulte de la coutume.

Ce que nous appelons la raison, n'est ce en définitive que la coutume qui nous a façonnés? L'Essai sur les cannibales (I, 31) conteste cette réduction, en distinguant deux usages du terme de «barbare». Le 1er procède d'un jugement fondé sur la coutume et conduit à l'ethnocentrisme («Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas dans ses coutumes»), le 2ème procède «des règles de la raison»Nous pouvons bien appeler ces hommes barbares eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie»).

Dans son 2ème usage, le terme de barbarie révèle la possibilité d'un jugement moral universel fondé sur la notion d'humanité (est barbare ce qui est inhumain, quelle que soit la société où se pratique la barbarie)

Une morale est donc possible qui ouvre chaque homme, quelle que soit sa culture, à l'humanité. En montrant qu'ils en sont la négation, l'analyse de la cruauté et du mensonge permet par contraste d'en découvrir la dimension universelle.

Plan de la séance:

1- La cruauté, «instinct qui porte l'homme l'homme à l'inhumanité» et « le plus grand de tous les vices » (II, 11)

«Je hais, entre autres vices, cruellement la cruauté, et par nature et par jugement, en la considérant comme le plus grand de tous les vices». Répulsion et Réprobation.

a- L'analyse anthropologique de la cruauté

- C'est un instinct qui se développe par l'éducation et l'habitude. Les causes de ce développement : une éducation qui favorise la violence (I, 23) ; la couardise (II, 27) : un mécanisme pervers par lequel une première cruauté engendre d'autres cruautés (II, 27).

- S'il est vrai qu'on peut analyser les causes de son développement et y porter remède, elle se manifeste comme une force irrationnelle qui défie toute logique et toute mesure : elle est le plaisir monstrueux de faire souffrir autrui et de jouir du spectacle de cette souffrance.

- Ses manifestations sont si démesurées qu'elle paraissent «incroyables»: ce sont les horreurs de la guerre civile de son époque qui contraignent Montaigne à admettre son existence.

- En tant qu'elle est un «instinct qui porte l'homme à l'inhumanité», la cruauté dévoile une contradiction interne à la nature humaine (l'homme est naturellement inhumain!), mais elle permet aussi par contraste d'affirmer l'humanité comme refus de la cruauté (je ne supporte pas la souffrance d'autrui; j'éprouve de la sympathie, de la compassion pour ceux qui sont comme moi des humains)

b- La condamnation morale de la cruauté

- Le refus de la cruauté n'est pas seulement la marque d'un tempérament sensible comme celui de Montaigne, il repose aussi sur un jugement moral qui voit en elle la violation d'un «devoir général d'humanité»

- Celui-ci ne se limite pas aux hommes (dans leur cas, il est un «devoir de justice») mais s'étend aussi aux bêtes, et même aux arbres et aux plantes, dans la mesure où ils sont des «créatures capables de ressentir la bienveillance et la douceur» qu'on doit leur témoigner

2- Le mensonge est un vice qui met en péril l'humanité

« Nous ne sommes hommes et ne sommes liés les uns aux autres que par la parole» (I, 9)