Montaigne et la découverte du Nouveau Monde

Vidéo-conférence du 21-01-2021

MONTAIGNE et la découverte du Nouveau Monde

Cliquer pour accéder à la conférence

Lecture de l'Essai des coches, chapitre 6 du Livre III des Essais de Montaigne

Nous lisons l'Essai sur les voitures ou Essai « des coches » (dans la langue originale) dans la traduction d'André Lanly, édition Quarto-Gallimard : pages 1088 à 1109.

C'est un essai apparemment décousu, dont la dernière partie aborde la Conquête du Nouveau Monde (bas de la page 1100 à la fin), écrit en 1588, 12 ans après celui « Des cannibales ».

PLAN DE LA SEANCE :

A- Le cadre de la réflexion sur la conquête du Nouveau Monde

a- Y a-t-il une unité de l'Essai ou n'est-il qu'une suite de sujets disparates ?

Comme le montre Marcel Conche (dans Montaigne et la philosophie), l'unité de l'Essai se comprend en référence à la philosophie épicurienne de la nature. Montaigne cite plusieurs fois des extraits du De Natura Rerum de son disciple Lucrèce, concernant notamment sa théorie des causes multiples au début du texte, et il l'applique aux sujets qu'il examine.

b- La nature apparaît d'abord comme une puissance de diversification des causes (voir l'exemple du mal de mer) ; elle opère de manière inventive et ingénieuse, en variant ses procédés. Elle apparaît ensuite comme une puissance d'invention d'esprits nouveaux et de formes nouvelles (voir l'exemple des jeux du cirque à Rome). Elle apparaît enfin comme une puissance d'engendrement de « mondes nouveaux ». Elle est « une perpétuelle multiplication et un perpétuel changement de formes » (p- 1100)

B- « Notre monde vient d'en trouver un autre » (page 1100)

I- La colonisation de l'Amérique (du Nouveau Monde)

1- Ce qu'elle a été : la comparaison entre les peuples du Nouveau Monde et « nous » (c'est-à dire les hommes de l'Ancien Monde, pas seulement les Espagnols) est à notre désavantage.

a- En quel sens le Nouveau Monde était « un monde enfant ». En quel sens sa colonisation a été une « contagion » (une corruption).

b- Comment expliquer qu'elle a eu lieu ?

- Elle ne s'explique par aucune infériorité intellectuelle ou en habileté des Amérindiens

- Elle s'explique par leur supériorité morale sur les Européens (« Mais en ce qui concerne la dévotion, l'observance des lois, la bonté, la libéralité, la franchise, il a été très utile pour nous de ne pas en avoir autant qu'eux », page 1101)

- La colonisation a été un combat inégal et rusé (tromperie ; fascination par les chevaux, les pièces d'artillerie ; des hommes protégés par leur cuirasse et munis d'armes à feu contre des « peuples nus » ; une naïveté et une curiosité des Indiens qui les rendaient vulnérables)

2- Ce qu'elle aurait pu être : la comparaison entre l'attitude des Anciens Grecs et Romains et la nôtre est à notre désavantage

- L'utopie d'une colonisation qui aurait fait œuvre de pédagogie

- Le bilan désastreux de la colonisation du Nouveau Monde par les Européens au XVIème siècle : « Mécaniques victoires » ! (page 1103)

II- La conquête espagnole : illustration de l'analyse par des exemples historiques (tirés de l'Histoire générale des Indes, de Lopez De Gomara, 1552)

a- Le « requerimiento » des Espagnols et la réponse des Indiens (« Voilà un exemple des balbutiements de ces prétendus enfants », page 1104)

b- La barbarie des conquérants espagnols : à l'égard du roi du Pérou, Atahualpa ; du roi du Mexique, Cuahutemoc ; 460 hommes, prisonniers de guerre, brûlés vif, « une boucherie générale ». Le bilan calamiteux de la conquête pour les chefs de la conquête (« ils se sont dévorés entre eux ») et l'Espagne.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La discussion qui a lieu en fin de séance a permis de préciser les points suivants :

a- Concernant la « contagion » par laquelle les Européens ont « hâté le déclin et la ruine » du Nouveau Monde. Cette contagion est surtout d'ordre moral : les Européens transmettent leurs vices. Bien lire ce passage p-1103 : «Nous nous sommes servis de leur ignorance et de leur inexpérience pour les incliner plus facilement vers la trahison, la luxure, la cupidité et vers toute sorte d'inhumanité et de cruauté, à l'exemple et sur le modèle de nos moeurs ». La corruption des Indiens se fait par l'imitation de « nos » vices. Un exemple de cette imitation est donné dans l'Essai sur les Cannibales, p-260 : les Indiens cannibales du Brésil abandonnent leur pratique du cannibalisme pour adopter par imitation les pratiques extrêmement cruelles des colons portugais exercées contre leurs prisonniers. C'est au contact des Européens qu'ils apprennent à devenir vicieux et qu'ils vont se corrompre.

b- Concernant les raisons pour lesquelles les Indiens ont été conquis par les Européens. Ce sont leurs qualités morales qui les ont perdus, et aussi « la curiosité de voir des choses étrangères et inconnues ». Leur vulnérabilité s'explique non seulement par leur naïveté et leur inexpérience, mais aussi par leur désir de connaître les Espagnols et de s'ouvrir à eux. Les Espagnols sont plus forts parce qu'ils sont rusés et plus armés... et aussi parce qu'ils sont emmurés dans l'ethnocentrisme, sûrs de leurs valeurs et incapables de s'ouvrir aux autres.

Sur l'Essai sur les Cannibales de Montaigne, écouter le podcast de l'émission qui lui est en partie consacrée sur Ouest track radio : https://ouest-track.com/podcasts/les-rendez-vous-de-philopop-290/les-rendez-vous-de-philopop-qui-est-barbare-4993