Séance du 24.11.2022

Le Châtiment

1/ Enregistrement de la séance du 24.11.2022

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     enregistrement séance du 24.11.2022

2/ Plan du cours séance du 24.11.2022

C'est notre 3ème séance sur la question. Nous poursuivons et terminons la lecture de l'Orestie, grande tragédie d'Eschyle qui se déroule en 3 pièces et est représentée en – 458 à Athènes. Cette lecture permettra de réfléchir au châtiment : exige-t-il qu'on renonce à la vengeance ?

 

Cette tragédie met en scène le grand pas qui conduit de l'enchaînement sans fin de la violence procédant d'une loi archaïque et sacrée de Vengeance, à l'avènement de la justice de la Cité qui s'exerce dans un tribunal. Elle permet ainsi de réfléchir non seulement au droit pénal et au sens du châtiment, mais aussi aux raisons qui ont conduit à son instauration. Le tribunal institué par Athéna dans la dernière pièce (les Euménides) met-il pour autant un terme définitif à la vengeance ?

La justice implique-t-elle son exclusion ou son intégration ? La fin de l'Orestie mérite sur ce point toute notre attention. La vengeance est -elle en elle-même un processus irrationnel et sans mesure qui conduit de violence en violence, ou peut-on au contraire lui donner sens et la préserver de l'excès en lui permettant d'aboutir à une juste peine ?

 

1- Rappel : le cycle infernal de la vengeance dans Agamemnon et Les Choéphores

 

A la fin des Choéphores, le choeur s'interroge sur la légitimité de la loi de Vengeance : « Où donc s'achèvera, où s'arrêtera, enfin endormi, le courroux d'Até ? », ( p-337)

 La question du sort d'Oreste devient l'enjeu d'un conflit opposant deux puissances divines, et avec elles, deux formes de justice. Le problème central est dès lors celui de savoir ce qui est vraiment juste (la loi de Vengeance est-elle vraiment légitime?) :  Quelle justice doit prévaloir ? Selon la réponse à ces questions, Oreste sera irrémédiablement exposé au châtiment, ou disculpé.

 

2- Athéna et l'institution de l'Aréopage

 

a- La déesse Athéna abandonne la justice religieuse traditionnelle et sa pratique rituelle du « serment » au profit d'une justice qui délibère du cas du criminel et évalue son acte

 

b- Elle institue l'Aréopage, tribunal chargé de juger des affaires criminelles (p- 365-366) :

-         Le jugement ne peut être l'affaire ni des dieux ni des hommes, mais d'un tribunal

-         La plaidoirie des deux parties  (Le coryphée parle au nom des Erinyes qui réclament vengeance pour Clytemnestre Apollon est l'avocat d' Oreste)

-         L'issue du procès (égalité des voix, acquittement d' Oreste) montre que l'essentiel est de parvenir à une décision qui s'impose à tous, serait-elle sans validité solide

-         La conciliation finale avec les Erinyes leur permet de se transformer en Euménides (bienveillantes) : il est nécessaire qu'elles continuent de se faire craindre pour assurer la paix et la prospérité de la Cité (Athéna : « Que toute crainte surtout ne soit pas chassée par elle (Athènes) hors de ses murailles ; s'il n'a rien à redouter, quel mortel fait ce qu'il doit? », p-372 et 373)

 

c- La fonction politique de la tragédie (selon la formule de C. Meier dans La naissance du politique : elle « pourvoit à l'assise mentale du politique »)

 

3- Le châtiment exige-t-il qu'on renonce à la vengeance ?

 

-         Le châtiment nous apparaît comme la mise en œuvre d'une sentence prononcée par un juge au terme d'un procès. Il exclut ainsi la vengeance : il ne s'ordonne pas à la souffrance de la victime, mais règle le rapport du criminel à la loi.

-         En distinguant la vengeance du châtiment, Aristote envisage une peine qui vise à satisfaire la victime (elle est une compensation) et ne consiste pas dans le rapport avec la loi. Ainsi, l' Orestie préconise-t-elle un châtiment qui rompe radicalement avec la vengeance ou n'en propose-t-elle pas plutôt une régulation qui lui permette de sortir de l'engrenage de la violence ?

 

Cette réflexion pourra se poursuivre en confrontant les analyses d'Aristote (-IVème siècle) , pour lequel il y a une « juste vengeance » (voir la Rhétorique et l'Ethique à Nicomaque) à celles de Sénèque (1er siècle, il vit dans l'empire romain) qui dans le De Ira (De la colère) ouvre la voie à la condamnation de la vengeance dont nous sommes les héritiers. Entre le temps d'Aristote et celui de Sénèque, on assiste à la mort de la Cité et à la naissance de l'Etat : n'est-ce pas la raison profonde du changement de sens accordé à la vengeance?