5. Plan séance 24/11/2015

Séance du 24 novembre 2015- Réflexions sur la tolérance

Introduction

Nous examinerons ce qu’ Alexis de Tocqueville appelle la « tyrannie de la majorité » dans son ouvrage, De la démocratie en Amérique (Tome 1 : 1835, et Tome 2 : 1840), collection G/F. Il s’agit là d’une forme originale et paradoxale d’intolérance engendrée par la démocratie. Lire particulièrement le chapitre 7 de la 2ème partie du tome 1, et les 3 premiers chapitres de la 1ère partie du tome 2.

La démocratie ne risque pas seulement d’engendrer une tyrannie politique, mais aussi une tyrannie d’opinion. Comment expliquer cette transformation d’un régime, censé pourtant garantir la liberté d’opinion, en régime oppressif et intolérant ? Peut-on l’empêcher, et si c’est le cas, comment ?

1- L’ « égalité des conditions », « principe générateur » de la démocratie (Introduction et 5 premiers chapitres tome 1 partie 1)

a/ La démocratie a un double aspect (politique et social) et a pour principe générateur l’« égalité des conditions » ; la « révolution démocratique » qui en résulte, est un « fait providentiel » ; elle est un processus irrésistible et inévitable, qui, abandonné à lui-même, peut engendrer le phénomène pathologique de la tyrannie de la majorité.

b/ « Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau » qui permette « d’instruire la démocratie ». La nation américaine est un objet privilégié d’observation : le principe d’égalité des conditions s’y déploie sans obstacle et en toute transparence à partir de la démocratie communale, pour s’étendre ensuite progressivement à la construction des Etats puis à celle du gouvernement fédéral qui dirige l’union des Etats. Le principe de souveraineté populaire devient ainsi un « dogme », qui reçoit l’adhésion de tous les Américains et leur commande de se défaire de toute forme d’influence personnelle.

c/ Le gouvernement dans la démocratie américaine est le pouvoir du peuple immanent à la société, qui se diffuse à toutes ses institutions et manifestations, « telle une clameur confuse qui s’élève de toutes parts » (p-338, t 1). C’est un pouvoir sans limites qui risque d’avoir des effets destructeurs (Peut-on le modérer ? Comment le modérer ? Reprise du questionnement de Montesquieu, au chapitre 4 du Livre XI de L’Esprit des lois, ajusté à la démocratie moderne).

2- La « tyrannie de la majorité » : sur le plan politique, et sur le plan moral et intellectuel

a/ Politiquement, il y a tyrannie de la majorité quand celle-ci se proclame souveraine et se croit infaillible

b/ Moralement et intellectuellement, elle est une tyrannie d’opinion qui conduit les individus à croire qu’elle a toujours raison (elle apparaît plus juste, plus sage et ses intérêts sont préférables).

c/ L’emprise morale de la majorité se distingue de la contrainte exercée sur les corps par les Etats intolérants (comparaison avec Locke ; « Sous le gouvernement absolu d’un seul, le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps (…) ce n’est pas ainsi que procède la tyrannie (de la majorité) ; elle laisse le corps et va droit à l’âme », p-354, t 1). Ses conséquences : chacun se soumet à l’opinion majoritaire qui règne en « maître », il y a étouffement de l’esprit critique, impossibilité d’une véritable discussion ; le risque pour chacun est d’être excommunié (« vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi… mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous ») ; il y a enfin développement d’un « esprit de cour » démocratique qui consiste à vouer un véritable culte à l’opinion majoritaire et entretient la majorité « dans une perpétuelle adoration d’elle-même ».

d/ Une illustration du danger analysé par Tocqueville dans l’éducation moderne (voir l’article de H. Arendt, « La crise de l’éducation » , où elle montre que l’effacement de l’autorité de l’adulte, dans l’école américaine, conduit à soumettre l’enfant « à une autorité bien plus effrayante et tyrannique : la tyrannie de la majorité »)

e/ L’explication du mécanisme par lequel l’opinion majoritaire paraît infaillible à l’homme démocratique (le repli sur soi individualiste et le sentiment de similitude : « il ne leur (aux hommes des sociétés démocratiques) paraît pas vraisemblable qu’ayant tous des lumières pareilles, la vérité ne se rencontre pas du côté du plus grand nombre », chapitre 2, 1ème partie, tome 2).

3- Comment la démocratie peut-elle résister à sa tentation de devenir une tyrannie de la majorité ?

a/ Il ne peut être question de sortir de la démocratie. La démocratie ne peut résister à ses tentations qu’en instituant à l’intérieur d’elle-même les dispositifs institutionnels qui permettent de tempérer le pouvoir de la majorité : démocratie communale, division du pouvoir gouvernemental et du pouvoir administratif, associations, indépendance judiciaire (associée avec ce que Tocqueville appelle « l’esprit légiste »), institution des jurys, liberté de la presse…

b/ Le risque de la tyrannie de la majorité ne peut jamais être totalement exclu (voir p-351, t 1)