3. Plan séance 13/10/2015

Séance du 13 octobre 2015- Réflexions sur la tolérance

Cette séance sera consacrée à la réflexion que mène le philosophe Pierre Bayle (1647- 1706) sur la question de la tolérance à partir de la lecture d’extraits de ses Pensées diverses sur la comète (1682), de son Commentaire philosophique sur la tolérance (1686) qui paraît peu de temps après son pamphlet sur Ce que c’est que la France toute catholique, un an après la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685.

Introduction

La tolérance civile (qui consiste à séparer le domaine religieux du domaine politique) peut-elle suffire à assurer la tolérance entre les religions ? Est-elle un remède vraiment efficace contre l’intolérance ?

L’analyse que fait Bayle des causes de l’intolérance, le conduit à douter de plus en plus de cette efficacité : la révocation de l’édit de Nantes en 1685 marque en ce sens une rupture importante dans le cheminement de sa réflexion.

1- En quoi la tolérance civile peut-elle paraître comme une solution féconde et efficace ?

a/ La neutralité de l’Etat est d’autant plus facile à envisager que le lien social n’a pas besoin de religion : celle-ci ne garantit pas et ne favorise pas nécessairement la moralisation de la vie sociale. Une comparaison à 3 termes, entre une société d’athées, une société de vrais chrétiens (apolitique), et une société de chrétiens idolâtres (= catholiques) permet de le montrer :

- Une société d’athées est viable : qu’ils soient des croyants ordinaires ou des athées, les hommes sont mûs surtout par des sentiments sociaux qui régulent leurs inclinations égoïstes (intérêt bien compris, honneur…) et contribuent ainsi au bien public (Bayle, inspirateur de Mandeville, voir La fable des abeilles : des vices privés peuvent devenir des vertus publiques). Un athée peut en outre être vertueux (Epicure, Spinoza).

- Une société d’athées n’est pas exposée aux désordres engendrés par l’intolérance (contrairement à une société de chrétiens superstitieux qui confondent le domaine religieux et le domaine politique).

b/ En garantissant la coexistence et la pluralité des religions, la tolérance civile favorise entre elles une saine émulation (argument commun à Bayle et à Basnage de Beauval, La tolérance des religions, 1684, avant 1685 !)

2- Pourquoi la tolérance civile s’avère-t-elle un remède inefficace contre l’intolérance ?

La faiblesse des théories de la tolérance : elles présupposent le problème déjà résolu. Comment en effet faire régner la tolérance par la séparation de l’Etat et des Eglises si celles-ci sont foncièrement intolérantes ?

a/ Une triple illusion : 1- l’illusion d’une fécondité des conflits religieux dans un régime de tolérance civile ; 2- l’illusion d’une efficacité de la tolérance civile : elle ne fait pas cesser l’intolérance religieuse ; 3- l’illusion selon laquelle l’intolérance religieuse ne serait qu’un mal accidentel en contradiction avec la destination profonde des religions, sur laquelle reposent les deux précédentes.

b/ L’intolérance est au contraire une tendance incoercible des grandes religions qui est inséparable de leur vocation universelle et missionnaire. L’intolérance religieuse naît avec le christianisme.

c/ Le caractère proprement diabolique des religions établies : « Dieu est trop bon pour être essentiellement l’auteur d’une chose aussi pernicieuse que les religions positives… ». La révélation divine ne saurait résider dans aucun des dogmes qui sont à la source de la guerre que se font les Eglises.

3- Pour que la tolérance soit réalisée, il est nécessaire que les croyants soumettent les dogmes religieux au tribunal de la raison morale (« lumière naturelle »)

a/ L’énoncé de la règle générale d’équité qui inspire le jugement moral (une préfiguration de l’« impératif catégorique » de Kant)

b/ La nécessité de soumettre les textes religieux « à l’étamine (au filtre) de la lumière naturelle » : ainsi de la parabole du festin de noce dans l’Evangile de Luc, qui ne peut signifier ce qu’en dit Saint-Augustin (« Contrains les d’entrer » = la justification de la persécution des hérétiques).

c/ La primauté accordée à la règle d’équité oblige à suspecter les dogmes et les cultes établis (ne viennent-ils pas du « mauvais principe qui avait séduit Adam » ?) et à privilégier la sincérité de la conviction et la rectitude de la conduite.

d/ Si seule est essentielle la foi (et non le dogme), la tolérance est un devoir moral universel qui consiste dans le respect de la liberté de conscience de chacun (c’est dans l’intériorité de sa conscience que chaque homme fait l’expérience de la transcendance de son rapport avec Dieu).

Conclusion :

La tolérance ne peut pas être simplement considérée comme un principe qui garantit objectivement la coexistence et la diversité des religions, elle repose principalement sur la liberté de conscience et son respect. Sous cette forme, elle exige que les religions cessent d’apparaître aux croyants eux-mêmes comme un principe de sujétion, incarné dans une institution ecclésiale, mais qu’elles s’éprouvent comme une disposition intérieure de leur conscience.