Les Pensées de Pascal 15/12/2016 compléments

Suite à la séance du 15 décembre 2016 sur Pascal, je reprends ma réponse sur la laïcité. Cela me permettra de dire deux mots sur l'analyse que fait Pascal des miracles (que je n'ai pu aborder, faute de temps)

1- Une question m'a été posée: un enseignement laïque et républicain peut-il parler de religion et montrer notamment de quelle manière Pascal fait l'apologie de la religion chrétienne?

J'ai répondu qu'un enseignement laïque et républicain n'avait aucunement à s'abstenir de faire connaître les grandes œuvres de la religion (des religions). Il doit seulement s'abstenir de catéchiser et de faire du prosélytisme.

La laïcité exige que soit garantie la liberté de conscience (aux individus de se déterminer librement pour une religion ou pour une autre, pour l'athéisme...) et que ne soit ainsi reconnu et imposé publiquement aucun dogme officiel (serait-il celui d'une religion ou d'un athéisme déclaré comme doctrine officielle). Si l'on veut réellement que les hommes deviennent des citoyens, il faut cultiver en eux le seul instrument qui leur permet de juger et de connaître, la raison (y compris pour en mesurer les limites). C'est par là qu'ils sont autonomes et peuvent se déterminer en connaissance de cause

2- Le philosophe chrétien Pascal n'est pas éloigné de l'exigence de laïcité quand il exige qu'on distingue des "ordres" (voir fragment 290) qui ont chacun leur sphère de compétence, et refuse qu'on les confonde (la confusion des ordres est "tyrannique")

Par exemple, le pouvoir politique ne peut pas, selon lui, se prévaloir de l'autorité de Dieu: c'est confondre l'ordre de la chair qui relève de la concupiscence avec l'ordre de la charité. Autre exemple: dans la 18ème Provinciale, Pascal critique ouvertement la condamnation par le Pape de la théorie de Galilée: il y a là selon lui confusion entre l'ordre du savoir (des esprits) et celui de la foi (la charité).

Dernier exemple: les miracles. S'il est vrai que la Bible n'a pas autorité sur la physique, inversement, celle ci n'a pas d'autorité pour exclure le miracle et décréter que le réel est entièrement rationnel. Le miracle a ses raisons et ses règles d’interprétation qui relèvent de l'ordre de la charité. Il est illusoire de prétendre, -comme les esprits forts qui ne voient en eux que des fables-, que les miracles ne sont qu'illusion, et de prétendre ainsi que seule la raison est capable de connaissance.

Je ne développe pas, j'indique seulement l'idée principale. Je vous invite à lire particulièrement le fragment 682 (édition Le Guern). J'ajoute que Pascal est personnellement concerné par cette question puisqu'il croit à la guérison miraculeuse de sa petite nièce en 1656 (miracle de la sainte Épine).

3- Dernière remarque quant à l'enseignement de la philosophie: il comporte un programme de notions comme la vérité, la religion, la politique. Les professeurs de philosophie sont donc amenés à parler de la religion, à montrer les différentes dimensions de la question (la religion comme croyance, mais aussi la religion comme fait culturel...), à montrer les problèmes qui se posent (le problème des rapports entre la foi et la raison, celui des rapports entre la religion et la politique etc...)

L'enseignement secondaire de notre pays a la chance de faire une place à l'enseignement de la philosophie. Les principales menaces qui pèsent sur lui consistent à le diluer en activités multiples (dites "civiques", ou à fonction de socialisation pour apprendre le "vivre-ensemble"). La vocation de l'enseignement de la philosophie n'est pas de socialiser les individus, elle ne consiste pas à leur apprendre à argumenter et à communiquer une opinion à autrui, mais à penser par eux-mêmes les enjeux d'une question (sur le bonheur, la politique, la religion...). L'enseignement de la philosophie n'a pas pour but de former des individus dociles et communicants, mais des citoyens vigilants. S'il est transformé en une sorte de réflexion d'accompagnement ou en un simple apprentissage du débat, cet enseignement perd sa vocation critique. C'est là qu'on risque de tomber dans une forme de catéchisme (se targuerait-il d'être "républicain"!)

Voir à ce propos la critique que Condorcet adressait contre toutes les formes de célébrations républicaines qui, au lieu d'instruire les hommes sur la constitution et de leur donner les moyens de la critiquer et de l'améliorer, visent avant tout à y conformer les hommes. Sur ce point voir les compléments de la 2ème séance sur la question de la tolérance (année 2015-2016)