Les Pensées de Pascal 08/11/2016

Séance du 8-11-2016- Lecture des Pensées de Pascal

Notre deuxième séance de lecture des Pensées prendra pour fil directeur le problème de la justice, relatif à la « misère de la condition de l’homme sans Dieu ». Nous complèterons cette lecture par celle des Trois discours sur la condition des Grands (Folio Plus), rédigés à peu près à la même époque (1660). Je rappelle que je fais référence à l’édition Le Guern (Folio)

Introduction

Le problème de la justice est celui de « l’homme déchu ». En détournant l’homme de Dieu, le péché originel a mis la « concupiscence » en son cœur. Le « moi se faisant le centre de tout » (fragment 509), chaque homme est enclin à vouloir être l’ennemi et le tyran des autres hommes. Sans l’instauration d’un ordre politique, ils sont exposés au chaos. Dans quelle mesure cet ordre peut-il être juste ? Si la vraie justice est perdue et ne peut plus servir de norme universelle pour établir les lois, de quelle manière aborder leur établissement ?

1 L’absence de la vraie justice

    1. Le spectacle de la diversité du juste (fragments 7 et 56)

    2. La preuve de son absence : les hommes sont condamnés à « prendre pour règle de justice les mœurs de leur pays » (fragments 56 et 79)

    3. La conséquence de cette absence : l’impossibilité de fonder les lois sur le droit naturel (ou « lois naturelles » censées être des règles universelles de justice). « Cette belle raison corrompue a tout corrompu » (…). Le droit naturel existe (Pascal n’est pas un théoricien positiviste comme Hobbes) mais il est inaccessible à l’homme ; à défaut de sa référence, les lois sont justes parce qu’elles sont établies. : « La loi est loi et rien davantage ». (fragment 56).

    4. L’absence de la vraie justice n’est pas sa disparition mais son effacement (fragments 56, 139, et début de la 14ème Provinciale concernant le crime d’homicide).

2 La justice humaine est ce qui est établ

    1. La justice ne peut être que la force justifiée (fragment 94) : « … Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste ».

    2. Comment expliquer que la force puisse se métamorphoser en justice ? Le rôle de l’imagination dans la genèse de l’ordre établi. Fragment 677 : « Les cordes d’imagination ». Le droit n’est jamais que la légalisation d’un rapport de domination.

    3. La justice humaine ne peut avoir d’autre fonction que de préserver l’ordre social et politique, quel que soit cet ordre. Elle ne peut modifier l’homme en profondeur : « Le vilain fond de l’homme n’est que couvert, il n’est pas ôté » (fragment 197) ;

    4. Le caractère admirable de l’ordre politique : « La grandeur de l’homme est d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre » (fragment 97).

3 Les limites de la justice établi

    1. La politique est irrationnelle : elle vise à « régler un hôpital de fous » (fragment 472)

    • Il faut faire le deuil de 3 illusions : l’espérance d’un monde humain fraternel ; le rêve d’un ordre politique meilleur, édifié et gouverné par la raison ; le mythe d’un progrès de la raison dans l’histoire (rien de plus étranger à Pascal que l’idée d’une émancipation des hommes)

    • Il faut admettre que la vérité est dangereuse en politique : il est illusoire et dangereux de faire « sentir au peuple la vérité de l’usurpation » (fragment 56). Le peuple obéit aux lois parce qu’il les croit justes (fragment 62).

b. « La pensée de derrière » permet de cerner les limites de l’exercice de l’autorité établie (fragment 54 et 2ème Discours sur la condition des Grands)

    • Obéir aux lois, non parce qu’on croit comme le peuple qu’elles sont justes, mais au seul motif qu’elles sont lois, mais taire cette pensée pour éviter de détruire l’illusion du peuple qui permet de maintenir l’ordre établi, telle est « la pensée de derrière » de l’homme « habile ».

    • Si les lois et les institutions n’ont d’autre fonction que de préserver l’ordre établi, on ne doit rien d’autre aux « grandeurs d’établissement » (= autorités instituées) qu’un « respect d’établissement ».. Avoir à l’esprit la distinction grandeurs d’établissement/ grandeurs naturelles, c’est résister à la volonté tyrannique des Grands qui s’imaginent volontiers qu’ils doivent leur rang à leurs qualités naturelles et cherchent ainsi régner en toutes choses.