De la matière au moi dans le Rêve de d'Alembert de Diderot

Le projet d'une explication matérialiste de l'identité personnelle 

dans le Rêve de d'Alembert de Diderot 

1769 (édition G/F)

             par Didier Carsin                             Séance philopop du 2 juin 2020

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Conférence du 2 juin 2020

Plan du cours

Introduction : le matérialisme présenté comme une « hypothèse ».

1- L'hypothèse matérialiste et les difficultés qu'elle doit surmonter

Mademoiselle de L'Espinasse : « Il me semble qu'il ne faut pas tant verbiager pour savoir que je suis moi, que j'ai toujours été moi, et que je ne serai jamais une autre » (p- 99)

Expliquer la formation du sentiment d'être soi (l'identité personnelle).

a- Première difficulté : comment expliquer la formation d'un être sentant et pensant à partir de la seule matière  ? L'exemple de la statue de Falconet : le processus «  d 'animalisation  » de la matière exclut le recours à l'âme comme principe immatériel d'animation. La sensibilité comme propriété générale de la matière.

b- Deuxième difficulté : comment expliquer que « la formation de l'homme et de l'animal en général par l'apposition successive de plusieurs molécules sensibles » (Bordeu) ?  L'analogie de « l'essaim d'abeilles  » montre que cette difficulté peut être surmontée (formation de l'unité de l'animal par continuité des molécules et assimilation)

2- Le détour par « l'excursion » métaphysique que permet le rêve de d'Alembert : les catégories de genre, d'espèce et d'individu sont-elles pertinentes pour aborder l'explication de la formation de l'individu et de l'identité personnelle ?

a- Le rêve de d'Alembert : un artifice d'écriture destiné à opérer un décentrement de notre point de vue ordinaire, à développer une vision matérialiste de l'univers, à ôter toute pertinence aux catégories traditionnellement utilisées par les « philosophes » pour appréhender les êtres.

b- Les quatre caractéristiques de l'ontologie matérialiste présentée par le rêve de d'Alembert : infinité (reprise du thème pascalien de la disproportion de l'homme, « sophisme de l'éphémère »), totalité (liaison universelle des causes et des effets), mobilité («  Tout est en flux perpétuel  »), dissemblance (« Dans cet immense océan de matière, pas une molécule qui se ressemble à elle-même un seul instant »)

c- Les conséquences de cette vision matérialiste quant à la question du moi : la contingence de son existence et celle de sa constitution (« Qui sait ce qu'est l'être sentant et pensant en Saturne ? »)

d- Les leçons à tirer quant à l'examen du moi : «  Il n'y a qu'un seul grand individu, c'est le Tout !  ». Puisque ce sont ses mouvements qui déterminent ses parties, que nous appelons des individus (des êtres composés dont l'organisation est en devenir) ces derniers n'ont pas d'essence car ils n'ont aucun contour distinct et immuable. Les êtres ne peuvent pas se définir comme des « essences » mais comme « la somme d'un certain nombre de tendances   »

3- Reprise de l'examen en n'abordant plus les êtres en termes d'essence mais de « tendances »

a- La mémoire est le fondement de l'identité personnelle en ce qu'elle établit la continuité de la vie mentale

b- « La mémoire naît d'une certaine organisation (physiologique) qui s'accroît, s'affaiblit et se perd quelquefois  » (page 64)

c- Comment se constitue l'organisation physiologique qui rend possible l'exercice de la mémoire ? L'analogie de la « toile d'araignée » : les impressions qui viennent des organes sont reliées comme par des fils au centre de la toile (à l'araignée qui figure le cerveau). 1-« C'est le rapport constant, invariable de toutes ces impressions à cette origine commune (le centre) qui constitue l'animal » (Bordeu, p-123)  ; 2- « C'est la mémoire de toutes ces impressions successives qui fait pour chaque animal l'histoire de sa vie et de son soi » (Mademoiselle de L'Espinasse, page 124)

d- Si le moi est un rapport entre les impressions qui viennent des organes et le cerveau, comment peut-il être constant et invariable alors que le corps ne cesse de changer ? D'Alembert : « A travers toutes les vicissitudes que je subis au cours de ma durée, n'ayant peut-être pas à présent une des molécules que j'apportai en naissant, comment suis-je resté moi pour les autres et pour moi ? » (page 135). La fonction d'assimilation de la mémoire   : l'analogie de «  l'esprit monastique » (qui se conserve alors que les moines se renouvellent)

4- La fragilité du moi (ses intermittences et les perturbations du sentiment de notre corps) et la formation du caractère.

Cette vidéo-conférence s'est appuyée sur la lecture de l'article de J.C. Bourdin « Les vicissitudes du moi dans le Rêve de d'Alembert », article paru dans Matière pensante, ouvrage collectif sous la direction de J.N. Missa, chez Vrin, 1999, et sur celle de son ouvrage, Diderot, le matérialisme, PUF, 1998 .