Théorème de Puiseux différentiels

* Contexte

Des généralisations du théorème de Newton-Puiseux (e.g.[Wal78]) au cas différentiel pour les corps de séries généralisées de rang fini ont été prouvées à l’interface de 2 grands contextes : les équations différentielles du point de vue "résolution des singularités" [Can93, Theorem 1], [CMR05, Theorem 5] et la théorie des modèles du point de vue géométrie modérée et corps valués différentiels [GS91, Corollary 3.1]. Il s’agit de comprendre le lien entre les exposants de certaines séries formelles solutions d’équations différentielles et les exposants des coefficients de ces équations. Le résultat le plus général et aussi le plus représentatif de cette interface est [vdH97, Theorem 12.2], publié sous la forme [vdH06, Corollary 8.38] :

Toute transsérie bien ordonnée solution d’une équation différentielle algébrique à coefficients qui sont des transséries réticulées, est en fait elle-même réticulée.

Les transséries sont des séries généralisées construites itérativement à l’aide de R, x, les opérations de corps, la composition par l’exponentielle et le logarithme, et la construction de séries formelles à puissances réelles. Cette dernière construction admet différentes variantes concernant les supports admis pour les sommes infinies, donnant les différents types de transséries, réticulées ou bien ordonnées. Elles ont été introduites par J. Ecalle dans sa preuve de la conjecture de Dulac [É92] concernant le 16ème Problème de Hilbert (2ème partie). En théorie des modèles, le corps des transséries représente un modèle non standard de la théorie du corps des réels muni de l’exponentielle. Cette théorie est modèle complète et o-minimale [Wil96], i.e. elle a de bonnes propriétés géométriques comparables à celles des ensembles semi-algébriques ou sous-analytiques [Tei97].

** Désingularisation des champs de vecteurs et équations différentielles sous-analytiques

Le résultat de type Puiseux différentiel [CMR05, Proposition 2] est une étape clé dans leur preuve d’un théorème de désingula-risation des champs de vecteurs en dimension 3 le long d’une trajectoire non oscillante. Avec J.-P. Rolin, nous avons généralisé dans [MR06] cette étape au cas de champs de vecteurs de dimension finie quelconque :

Théorème : Soient X un champ de vecteurs analytique sur une variété analytique réelle M de dimension n et γ une trajectoire de X transcendente et sous-analytiquement non oscillante.

Soit p un point limite de γ et un système de coordonnées locales analytique (x1 , . . . ,xn) centré en p tel que le graphe de γ appartienne au premier orthant et admette une paramétrisation x1 ↦ (x1 ,x2 (x1), . . . ,xn (x1)). Si chaque composante de γ admet un développement asymptotique ∞ ∑ µ ci x1 i , alors les exposants µi appartiennent à un réseau (c’est-à-dire un semi-groupe finiment engendré) de R+ .

Notre preuve se décompose en 2 étapes:

    1. la réduction du champ de vecteurs de dimension n a un système de n − 2 équations différentielles sous-analytiques d’ordre n−1 : fi (y,xy , . . . ,xn−1 y (n−1)) = 0, i = 1, . . . ,n−2 ;
    2. la preuve d’un théorème de Puiseux différentiel pour de telles équations différentielles sous- analytiques. Nous utilisons notamment la décomposition locale (au voisinage de 0 ∈ Rn ) des fonctions sous-analytiques donnée dans [vdDMM94] ou [LR97], et un argument adapté de [Can93], pour réduire nos équations sous-analytiques à des équations analytiques. Nous concluons alors en appliquant l’adaptation en question du résultat de J.Cano [Can93].

*** Théorème de Puiseux différentiel dans des corps de séries généralisées de rang fini

L’objet de ce travail [Mat10], qui remonte à ma thèse [Mat10, Théorème 2.5], était de comprendre, simplifier et généraliser le résultat [vdH97, Theorem 12.2], [vdH06, Corollary 8.38] cité précédemment.

Définition (séries généralisées et groupe de Hahn).

    • Étant donné un groupe abélien Γ divisible, une série généralisée à exposants dans Γ et à coefficients dans R est une série formelle ∑γ γ∈Γ aγ t à support bien ordonné dans Γ. Muni de l’addition terme à termes, du produit de convolution et de la valuation canonique v : a ↦ min(Supp a) R((tΓ )) est un corps valué (tΓ copie multiplicative de Γ). D’après le théorème de plongement de Kaplansky [Kap42a, Kap42b, MR93], tout corps réel clos K se plonge dans R((tΓ )) où Γ est le groupe de valuation de K. Le rang de R((tΓ )) est le nombre de classes archimédiennes de Γ (égal au nombre de classes de comparabilité au sens asymptotique pour un corps K).
    • Soit r ∈ N∗ . On appelle groupe de Hahn de rang r le groupe additif Rr ordonné lexicographiquement. D’après le théorème de plongement de Hahn [Hah07], tout groupe abélien totalement ordonné de rang archimédien r se plonge dans le groupe de Hahn de rang r.

A titre d’exemple et d’application, un tel groupe tRr modélise le groupe des produits à puissances réelles de r germes de fonctions réelles non comparables, e.g. pour r = 3 les germes de 1/ log(x), x et exp(−x) au voisinage de +∞).

Tout d’abord, nous munissons Kr d’une "dérivation de Hardy" (i.e. une dérivation vérifiant les mêmes propriétés valuatives que la dérivation usuelle des germes de fonctions réelles dans un corps de Hardy [Ros81, Hardy type valuation p.992] et [Ros80, Remark p.314]). Nous montrons que cela revient à se donner de bons axiomes sur la dérivée ti de r représentants ti , i = 1, . . . ,r, des classes de comparabilité.

Les équations différentielles que nous considérons alors sont du type :

∑ F (y, . . . ,y(n)) = cI y (I) ∈ Kr [[y, . . . ,y(n)]]. r I∈Nn+1

où le support Supp F = ∪I∈Nn+1 Supp cI est un sous-ensemble bien ordonné de Γ.

Dans un souci de concision, nous ne citons que la version suivante [Mat10, Théorème 1.3] du résultat principal [Mat10, Théorème 2.12].

Définition (Transformations élémentaires). Etant donnés X1 et X2 deux sous-ensembles bien ordonnés de Γ>0 et des éléments α > 0 et β de Γ, on appelle transformations élémentaires :

- la somme de deux ensembles : X1 + X2 = {ξ1 + ξ2 | ξ1 ∈ X1 ,ξ2 ∈ X2 } ;

- la génération comme semi-groupe additif : 〈X1 〉 = {k1 ξ1 + · · · + kq ξq | ki ∈ N, ξi ∈ X1 , q ∈ N} ;

- l’adjonction d’un nouveau générateur : X1 + Nα ;

- la translation négative de β : (X1 )≥β − β = {α ∈ X1 | α ≥ β} − β.

Théorème : Le support de toute solution y0 ∈ Kr avec v(y0 ) > 0 de F = 0 est déduit de celui de F et des ensembles Supp t1 , · · · , Supp tr par un nombre fini de transformations élémentaires.

Notre notion d’"être déduit par un nombre fini de transformations élémentaires" généralise au cas de supports bien ordonnés celle d’"être réticulé" et d’"appartenir à un réseau (i.e. à un semi-groupe additif finiment engendré)" [Mat10, Remark 2.13]

Concernant la preuve du théorème principal, à l’instar des résultats cités précédemment nous utilisons une méthode inductive : étant données une série différentielle 5.1 et une série y0, nous évaluons 5.1 en des parties initiales de plus en plus longues de y0 . Mais au lieu d’utiliser une représentation de type polygone de Newton-Fine, nous exprimons directement les relations entre les exposants de y0 et ceux des coefficients de 5.1 à l’aide de la valuation.