Singularités et diviseurs dicritiques

* Contexte

La notion de singularité dicritique est apparue au tournant du 20ème siècle, dans l’étude des singularités isolées d’équations différentielles de dimension 2 complexe [Dul06]. Étant donné un germe ω de 1-forme différentielle holomorphe singulière en 0∈C2, la singularité est dite dicritique s’il existe une infinité de (germes de) courbes invariantes irréductibles deux à deux distinctes passant par elle. La résolution des singularités [Sei68] conduit dans ce cas à la notion suivante (voir [MM80]) : un diviseur dicritique - s’il existe - est une composante irréductible du diviseur exceptionnel qui est transverse au feuilletage défini par ω. Un exemple important est celui où ω a une intégrale première qui est une fonction méromorphe f/g, au voisinage d’un g de ses pôles. Le feuilletage est alors donné par le pinceau de courbes {λf + µg = 0, λ,µ ∈ C}.

Ce cas est connecté au problème jacobien en dimension 2 : toute application polynomiale de C2 se prolonge en une fonction rationnelle de P2(C) au-dessus de certains points à l’infini (cf [uTW94]).

Dans [AL11], en lien avec le problème jacobien, S.S. Abhyankar et I. Luengo introduisent une version algébrique des diviseurs dicritiques dans les conditions les plus générales possibles.

Notre contribution consiste à simplifier et généraliser les résultats de [AL11].

** Résultat : le résidu le long d’un diviseur dicritique peut être polynomial

Soient R un anneau local noethérien régulier de dimension 2, QF(R) son corps de fraction, m son idéal maximal et K := R/m son corps résiduel. On désigne par Rv un anneau de valuation discrète dominant R tel que QF(Rv) = QF(R). Autrement dit, Rv est diviseur premier de R au sens de [Abh56]. On note v : QF(R) → Z∪{∞} la valuation correspondante et mv son idéal maximal. L’application résiduelle est notée Resv : Rv → Kv , où Kv := Rv /mv et K est identifié à R/(R ∩ mv ).

Définition (diviseur dicritique). Soit z∈QF(R) non nul. On appelle diviseur dicritique de z tout diviseur premier Rv de R tel que z ∈ Rv et Resv (f ) est transcendant sur K.

D’après [Abh56] par exemple, on sait que par une suite finie d’éclatements R = R0 ⊊ · · · ⊊ Rn ⊊ Rn+1 = Rv le long de v, on peut monomialiser l’idéal m. Plus précisément, soit (xn ,yn ) un système régulier de paramètres de mn. Alors la valuation v est la valuation mn -adique, bien sûr monomiale en (xn ,yn), et Rν = Rn [xn](xn).

Remarque. Si on note Kv = K'(t) où K' = Rn /mn est la clôture algébrique relative de K dans Kv et t∈Kv est transcendant sur K, alors [K' : K] < ∞.

Nous montrons que :

Théorème. Soit z∈QF(R) non nul. Soit Rv un diviseur dicritique de z. Supposons qu’il existe (x,y) système régulier de paramètres de m et a0,b0∈N tels que f = zxa0yb0 ∈R.

1. Si v n’est pas monomiale en (x,y), alors l’élément t de (5.2) peut être choisi de sorte que Resv (z) ∈ K [t].

2. Si v est monomiale en (x,y), on note v(x) = α, v(y) = β (α,β ∈ N∗ ), γ := a0 α + b0 β = v(f ) et :

f = ∑aα+bβ≥γ λa,b xa y b , avec λa,b ∈ R

et Bf := {b ∈ N | λa,b ∈ R \ m, aα + bβ = γ} = ∅.

(a) Si Card(Bf ) ≥ 2, alors l’élément t de (5.2) peut être choisi de sorte que Resv (z) ∈K [t] si et seulement si b0 ≤ min(Bf ) ou b0 ≥ max(Bf ).

(b) Si Bf = {b1 }, alors on a b0 = b1 et l’élément t de (5.2) peut être choisi de sorte que Resv (z) ∈ K [t].

Dans notre preuve, nous procédons par induction sur la longueur ν de la suite d’éclatements le long de v.