Le culling

Inutile de dire que personnellement je suis une farouche opposante à cette méthode. Je vais tout de même tâcher de rester neutre (même si cela s'avère plus difficile que prévu !). J'ai eu l'occasion de discuter franchement du culling avec des éleveurs de rongeurs, cet article n'est donc pas le fruit du hasard ou de mes suppositions, mais de recherches et de discussions sérieuses sur le sujet.

Je conseille donc de lire cet article jusqu'au bout même si vos opinions divergent des miennes: j'ai tâché de réunir des données sur l'efficacité du culling et son utilisation chez différentes espèces.

Définition du culling

Le culling se définit comme une méthode de sélection visant à réduire le nombre de bébés d'une portée donnée selon un programme de sélection.

Arguments pour le culling

Parmi les raisons avancées de cet acte, il est important de différencier les raisons à volonté éthiques des raisons purement accommodantes. Je tenterais de faire une liste de raisons que j'espère la plus complète possibles des arguments avancés pour le culling:

Argument 1°: La sélection naturelle. A l'état sauvage, le rat est un animal extrêmement prolifique, la raison principale vient de l'état de proie de ce rongeur. Humains, chats, rapaces... Sans compter les poisons, les épidémies, la famine, le froid... Toutes ces choses pèsent sur les chances de survie de l'animal et le pousse à se reproduire massivement. Ainsi, la ratte fait un grand nombre de petits à chaque portées dans le but que quelques-uns d'entre eux survivent. Si 12 petits naissent, il n'est pas dit qu'un seul termine en vie la phase de sevrage.

Hors, au chaud dans nos maisons, le rat ne craint plus les aléas du sauvage. La femelle doit donc faire naître et assumer jusqu'au bout la douzaine de bébés qui n'auraient eu qu'une chance minime de survivre dans la nature. Le culling est donc utilisé pour faire la sélection que la nature ne fait pas dans nos foyers.

Argument 2°: La souffrance. Un bébé souffrant de malnutrition mourra lentement. S'il survit, il devra vivre avec les séquelles de son manque de lait maternel. Pratiquer le culling permet d'abréger les souffrances des bébés qui n'ont peut ou pas de chances d'être convenablement nourri.

Argument 3°: Prendre soin de la mère. Une douzaine de petites frimousses c'est épuisant pour la maman. Pour faciliter son travail et lui permettre de vivre la période de sevrage sainement, il faut que la portée ne soit pas trop nombreuse.

Argument 4°: Penser aux adoptants. L'un des arguments du culling traite des capacités d'adoptions. Certains prodiguent de pratiquer le culling plutôt que de se retrouver avec des animaux non adoptés sur les bras.

Argument 5°: Le phénotype. C'est l'argument massivement contesté par les pratiquants de cette méthode. Cependant, je pense que c'est quand même un argument à prendre en compte car il ne faut pas se leurrer, ça existe. Cette pratique consiste tout simplement à ne garder que les bébés physiquement intéressants. Pour ne pas tomber dans ce vice (car même si la volonté n'est pas là, est-ce qu'instinctivement l'éleveur ne favorisera t-il pas l'animal le plus beau/le plus rare ?), l'éleveur ne devrait pratiquer le culling que dans les touts premiers jours de vie des ratons, pendant lesquels marquages et couleurs sont encore indéterminés.

Argument 6°: La constitution des ratons. Selon les pratiquants de culling, un bébé né de portée réduite se développera dans de meilleures conditions, aura une meilleure constitution/une plus belle taille.

Arguments contre le culling

A présent, nous allons prendre chaque argument pour le culling et lui opposer une contre-vérité.

Bémol n°1: Si l'on en croit l'AFRMA concernant les souris, il est conseillé de ne conserver que des portées de 2 à 6 bébés et de pratiquer le culling sur 'le reste'. Dès le départ, la volonté est étrange étant donné que nous partons sur une espèce possédant 10 mamelles. L'homme souhaite supplanter la nature en décidant lui-même des capacités de l'animal: 'tu as 10 mamelles mais moi je décide que tu ne pourras subvenir aux besoins que de 6 bébés !"

D'expérience et d'expérience d'éleveurs consciencieux, de nombreux témoignages font état de portées de 16 voire même 19 bébés sans soucis ! Il est même avéré que la mère adapte un mode de fonctionnement différent pour les portées nombreuses, les séparant en différents groupes d'allaitement. Il est donc évident que se transmet chez l'animal une méthode pour les portées nombreuses. Elles ne sont donc pas "non-naturelles".

Bémol n°2: Certes, un bébé mal nourri -s'il ne meurt pas- souffrira de problèmes durant sa vie. Première chose: est-ce pire que la mort ?

Ensuite, il existe du lait maternisé pour chatons dans de nombreuses pharmacies. Un complétement manuel est une chose possible pour une personne vraiment motivée ! Certes, ça n'élimine pas entièrement les possibilités de décès, mais ça en diminue les risques ! Quant aux carences et autres pathologies dû à la malnutrition, il est à noter que dans les élevages de vaches laitières, c'est rarement la mère qui nourrit son veau ! En effet, seul le colostrum, le premier lait sécrété par la mère et riche en protéines et anticorps, est vraiment important. Le reste de l'allaitement des veaux est prodigué par des machines (et souvent avec du lait coupé à l'eau !)

Bémol n°3: Certes, la mise-bas et l'allaitement est épuisant pour la mère. Cependant, les pratiquants du culling mettent en avant les femelles mortes d'épuisement. Cet argument me laisse sceptique. Tout d'abord, hormis si la femelle a subi une autopsie en bonne et dûe forme, j'ai du mal à comprendre comment on peut "voir" que la femelle est morte d'épuisement et pas d'une pathologie consécutive à la gestation ou la mise-bas (toutes ne sont pas immédiates, les septicémies par exemple).

De plus, dans les faits et après recherche approfondie, les cas de femelles supposées mortes d'épuisement ne courent pas les rues (ou alors personne n'en parle !?)... Étant donné que des femelles peuvent amener jusqu'au sevrage des portées de 16 tandis que d'autres mourraient apparemment "d'épuisement", peut-être que la raison se trouve plus dans un manque de rigueur de l'éleveur qui a fait reproduire une femelle trop vieille/fatiguée/malade ou tout simplement d'une faiblesse de la femelle ?

Bémol n°4: Pratiquer le culling en fonction du nombre d'adoptions n'a aucun sens. Il suffit tout simplement de penser aux réservations AVANT de faire une saillie. C'est ce que j'ai fait pour certaines de mes portées que j'ai faites uniquement car j'avais énormément de réservations très motivées et que je n'aurais pas fait sinon...

Bémol n°5: Pratiquer le culling sur les bébés les moins intéressants physiquement est tout simplement le plus odieux de tous. C'est suggérer que toute vie n'a pas la même valeur. Inutile d'argumenter contre ça, le bon-sens de chacun s'en chargera.

Bémol n°6: Pratiquer le culling permettrait de réduire la taille des portées et donc d'améliorer la constitution des bébés. C'est là où le bât blesse, car les personnes tentant de justifier cette pratique s'appuient sur le texte de l'AFRMA sans le comprendre ! Ici, c'est bel et bien un faux argument:

Extrait de cet article: "There is no way that the babies are better (in any other aspects than health) just because they are from a culled litter. Culling does not affect the genetic make up of the babies in any way [...] Culling does not make the animals grow bigger than their inherited factors allow."

Et sa traduction française: "Il n'y a aucune chance que les bébés soient meilleurs (dans tous les autres aspects ne concernant pas la santé) juste parce qu'ils proviennent d'une portée ayant subi du culling. La sélection n'affecte pas le patrimoine génétique qui compose les bébés. Le culling ne rends pas les animaux plus grands que leur hérédité ne leur permet."

Et si nous ajoutions des arguments contre cette pratique ? Là, il s'agit d'un ajout avec mes arguments.

Bémol n°7: Je trouve bien facile d'avoir des portées où "tout va bien, merci beaucoup" lorsqu'on s'arrange pour n'avoir des portées composées que de 4 rats. Les éleveurs pratiquant le culling étant souvent les mêmes que ceux pratiquant la consanguinité, on ne doute pas que leurs lignées se portent bien étant donnés que les spécimens sont extrêmement limités... Moins de chance donc de voir des tares apparaître...

Bémol n°8: A force de limiter "manuellement" le nombre de bébés, on se retrouvera avec des femelles incapables de gérer leurs portées sans l'intervention humaine. Des portées de 10/12 rats (pourtant normales au regard du nombre de mamelles!) seront impossibles à tenir... A voir ce que les interventions humaines de ce genre ont donné sur les vaches: l'invention de la vêleuse.

Bémol n°9: Pourquoi tous ces rats victimes du culling ne serraient-ils pas tout simplement sortis de la reproduction et adoptés uniquement pour compagnie ?

Le culling est-il vraiment 'efficace', 'utile' ?

Pour améliorer la longévité

Dans les stratégies d'élevage du milieu bovin, l'une des raisons de l'utilisation du culling est l'amélioration de la longévité.

Dans un contexte de stratégie d'élevage visant à améliorer la longévité, Strandberg (1997) a soutenu que l'objectif d'amélioration devrait toucher l'élevage dans son ensemble (exprimé comme le bénéfice de la durée de vie) plutôt que d'améliorer la longévité en soi.

Il a donc proposé que les programmes visant à améliorer la longévité combinent deux approches: sélection basée sur les "déterminants" (évènements liés à la santé, reproduction) et les indicateurs (durée de vie productive, traits de conformation). Cependant, le culling présente pour lui deux défauts principaux: en premier lieu l'évaluation peu précise des spécimens et en second lieu, la fiabilité des sélectionneurs.

Ainsi, les raisons de sélections par le culling sont déclarées subjectives et groupées en deux catégories: volontaires et involontaires (les involontaires cachant souvent un désir de diminuer son troupeau discrètement pour réduire le prix des taxes). Les raisons déclarées par les éleveurs sont donc plus importantes à considérer plutôt que les raisons d'une sélection sur des critères d'amélioration de la longévité.

De plus, certaines études faites sur les rats ont mis en évidence que les portées ayant subi du culling vivraient en moyenne 100 jours de moins que les portées normales.

Pour améliorer la santé

Dans une stratégie de sélection concernant la santé des vaches laitières, les études ont démontré qu'en moyenne l'impact relatif du culling sur les troubles de santé est bas.

Pour éliminer les bébés les plus faibles

Dans une étude impliquant 787 vaches Holstein, Warnick et autres (en 1997), on a constaté que l'occurrence de troubles de santé respiratoires, d'abattement dans les 90 premiers jours de vie n'avait aucun impact sur la longueur de vie productive.

Pour améliorer les aptitudes reproductrices

Gowe, en 1983 a suggéré que les héritabilités des traits reproducteurs soient non-linéaires, il a ainsi suggéré que pratiquer la sélection via le culling, sur le critère des aptitudes reproductrices serait efficace dans la prévention du déclin des performances. Par aptitudes reproductrices, on entends le nombre de bébés produits par une seule insémination de la mère.

De ce fait une évaluation expérimentale a été effectuée avec des Drosophila melanogaster (mouche du vinaigre). Trois protocoles ont été établis:

* sélection sur les aptitudes reproductrices sans culling (protocole HO)

* sélection sur les aptitudes reproductrices avec culling de 20% des femelles, soit 4 femelles sur 20 (protocole HS)

* aucune sélection, aucun contrôle (protocole C)

Après 25 générations, l'index compétitif, mesure des aptitudes reproductrices, était significativement plus bas dans le protocole HO que dans le protocole HS.

L'effet de troupeau

Les recherches ont prouvé que le culling était extrêmement dépendant d'un processus nommé "effet de troupeau". En effet, les spécimens destinés au culling sont sélectionnés en fonction de leurs "voisins" et non dans un processus d'étude globale. Dans les cas des rats, les bébés sélectionnés pour le culling le seront en comparaison de leurs frères à l'instant "x" (manque de dynamisme, petite taille, peu nourri) alors qu'ils devraient l'être en comparaison avec "tous" les bébés nés chez l'éleveur. Cependant, c'est un risque non négligeable pour l'éleveur car doté d'une grande par d'aléatoirité.

En effet, les capacités de la mère, la taille de la portée, l'apport nutritionnel, l'environnement, la difficulté de la mise-bas sont autant de facteurs pouvant jouer sur la viabilité de la portée.

Ainsi, les études scientifiques estiment d'une faible fiabilité les raisons données par les éleveurs pratiquant le culling.

Le culling chez les autres espèces

Selon l'étude de Stevenson et Maigre (1998), 32.8 % du culling chez les vaches laitières ont une raison liée aux troubles reproducteurs. Parmi d'autres raisons de culling concernant la santé, ceux liés aux troubles des pis sont la seconde la plus fréquente. La proportion de vaches supprimées pour des troubles locomoteurs et des défauts étant basse.

Dans le monde ovin, le bélier atteignant sa maturité sexuelle à 6 ans, le culling est conseillé à partir de ses 4 ans et le remplacement de 25% du troupeau est recommandé.

Sources:

AFRMA: cullingmice

Les animaux de la 8 (24-02-2013)

Shunamite Rats

Associations between health disorders and culling of dairy cows: a review

wiki.answers.com

Reproductive fitness and artificial selection in animal breeding: culling on fitness prevents a decline in reproductive fitness in lines of Drosophila melanogaster selected for increased inebriation time

Queensland Government: Department of Agriculture, Fisheries ans Forestry

Interactive environmental and genetic effects on longevity in the male rat: litter size, exercise, electric shocks and castration

"The Cult of Culling" par A. K. Palmer et B. C. Ulbrich