L'animal et la société humaine: quelle place occupe t-il?

L'animal et la philosophie

Les philosophes et toute forme de "penseurs" de l'humanité ont de tous temps débattu sur la place de l'animal dans le monde, et en particulier de son lien avec l'humain. Aristote, né en 384 avant Jésus-Christ, fut peut-être l'un des premiers à émettre un avis sur le sujet. Il différenciait l'animal de l'homme grâce à la capacité de ce dernier à utiliser la "métis": l'intelligence calculatrice et raisonnée. L'animal lui, n'utiliserait que la "phantasia", soit l'intelligence instinctive pratique et gouvernée par les sensations. La différence tenait aussi sur le langage: l'animal ayant une voix "phôné" et l'humain un langage articulé qui pouvait être soit "logiké" -raisonnable- ou "politiké" -politique- et créait ainsi un véritable fossé entre l'homme et les espèces "inférieures".

Peu de temps plus tard, le philosophe Théophraste, né en 371 avant Jésus-Christ, ajoutera que l'homme et l'animal ont une forme de parenté et que de ce fait le premier avait un devoir de justice envers le second. L'idée d'une responsabilité de l'homme sur l'animal était née.

Plus tard, en France, c'est en particulier la religion qui déterminera la place de l'animal. Dans la Genèse, premier livre de la Bible, Noé se voit confier les animaux durant le Déluge. Il pourra en disposer "comme il lui semblera".

Né en 354, Saint-Augustin ajoutera que si l'homme est affecté par le péché d'Adam, ce n'est pas le cas des animaux. Ainsi, par la logique des choses les animaux ne peuvent ressentir la douleur. Ce débat concernant la capacité ou non des animaux de souffrir ou même de raisonner sera long et laborieux.

On notera tout de même Saint François d'Assise, né en 1181, qui prônera l'égalité de toutes les créatures devant Dieu.

Cette égalité, Descartes la remettra en question peu de temps après. Né en 1596, celui que l'on considère comme le père de la philosophie moderne crée la théorie de l'animal-machine. L'homme est plus proche de Dieu, libre et capable de raison. L'animal n'est en rien intrinsèquement différentiable d'une machine. Ces théories, aussi fausses qu'abjectes, seront malheureusement reprises par les nombreux élèves du philosophe. Ainsi, Nicolas Malebranche donna un coup-de-pied à la chienne de son hôte en arguant, malgré les pleurs de l'animal, "Eh! quoi, ne savez-vous pas bien que cela ne sent point ?". Pour argumenter ce curieux concept, il s’appuiera sur les déductions de Saint-Augustin... Le débat sur l'animal tourne en rond.

Il faudra de nombreuses années pour sortir des questions sur les capacités de raisonnement ou de douleur de l'animal. Aujourd'hui, ces compétences lui sont admises de manière avérée et scientifique. Il n'est plus admissible de remettre en question la capacité d'une créature à souffrir ou à réfléchir. Le débat évolue, mais n'en est pas pour autant facilité. Si l'animal est aussi proche de nous, comment devons-nous le traiter ?

C'est le questionnement moderne de la place des animaux dans notre société. En parlant du devoir de justice de l'humain, Théophraste était visionnaire car c'est bel et bien la question que se posent les civilisations modernes.

Né en 1748, le théoricien Jeremy Bentham dira que la différence n'entraîne pas l’infériorité. Ce n'est donc pas parce que nous ne pouvons complètement comprendre l'animal qu'il faut le traiter comme une créature inférieure à nous. Il posera ainsi des bases pour l'antispécisme. De nombreux courants de pensée se créeront avec le temps tels que le véganisme, le continuisme... Le but étant toujours le même qu'à l'époque d'Aristote: ménager à l'animal sa juste place.

Définitions de quelques termes et courants de pensée autour des animaux

Animalisme: l'animal doit jouir de sa propre vie, l'animaliste est généralement une personne militante qui défend le droit des animaux

Antispécisme: une espèce (quelle qu'elle soit) n'a pas de légimitité pour en dominer une autre

Spécisme: la supériorité de l'espère humaine sur les espèces animales

Anthropomanie: l'effort fait par les chercheurs et philosophes pour définir l'homme

Continuisme: rejet de l’opposition homme/animal: l'homme est un animal comme les autres

Discontinuisme: L'homme est à part, exclu du règne animal, c'est le "propre de l'homme"

Naturalisme: supériorité de la nature sur tout le reste

Utilitarisme: l'animal, comme tout objet utile pouvant servir la vie humaine, doit être utilisé avec un intérêt maximal

Semi-domestication: l'animal existe encore à l'état sauvage sous une forme peu ou pas différente de celle domestiquée (c'est le cas par exemple des rennes ou des chameaux)

Sur-domestication: l'animal n'a plus d'ancêtres sauvages dans la nature (comme le bombyx)

Marronnage: appelée aussi "domestication réversible", l'animal domestique retourne à l'état sauvage (cas des chats errants)

L'animal et la législation

La loi a pour objectif d'être juste pour tous. Cependant, elle n'a été pensée que pour le bien de l'humain et la place de l'animal y a été laborieuse. Il a été difficile pour le législateur de déterminer quel est le statut des créatures et quels peuvent être les droits que l'on peut leur reconnaître. L'animal ne peut faire appel à ses droits, et ces derniers s'accompagnent de devoirs qu'il ne peut pas non plus comprendre...

Ainsi, le crime contre un animal n'existe pas dans la loi. Et si l'animal ne peut commettre de crime lui non plus, il sera tout de même la première victime du législateur. C'est en effet le chien dressé à l'attaque qui sera puni le plus sévèrement, et non son maître.

Malgré les efforts qui ont été faits dans ce domaine, comme par exemple la distinction entre animaux et objets effectuée le 06/07/1999, l'animal reste toujours une chose. Elle obéit donc aux droits d'usus (droit de se servir de la chose), fructus (droit de percevoir des revenus de la chose), et abusus (droit de disposer de la chose et donc de la détruire ou de l'abandonner). Cependant, l'abusus sera ensuite limité uniquement à la vente et l'achat de l'animal.

L'animal sauvage est, quant à lui, reconnu res nullius: il n'appartient à personne et ne jouit d'aucun droits (si ce n'est le cas des animaux bénéficiant d'un projet de protection). Il devient res propria lorsqu'il vit dans un enclos fermé attenant à une propriété privée, et donc devient chassable toute l'année.

Ainsi, l'animal peut être vendu comme une chose: le contrat de vente est synallagmatique (réciprocité des obligations des deux parties), onéreux et commutatif. La vente s'accompagne de la délivrance d'une attestation de cession et d'un document d'information sur les caractéristiques et les besoins de l'animal (article L.214-8 du code rural).

Cependant, l'article 22 de la loi du 06 janvier 1999 permettra au tribunal d'interdire la détention d'un animal, définitivement ou non dans le cas d'actes de cruauté ou de sévices graves à l'encontre d'une créature. L'article R.655-1, quant à lui, sanctionnera le fait de donner la mort volontairement ou non à un animal domestique ou tenu en captivité.

L'animal est donc un objet reconnu sensible.

La chronologie de la loi française sur les animaux

Code civil de 1804: l'animal n'intervient dans la législation qu'en fonction de son intérêt pour l'humain: l'animal est exploité par l'homme. Il est donc inclus dans la loi en raison de son intérêt économique et selon les litiges nés de sa propriété et des dégâts qu'il peut provoquer. Il est déterminé meuble par nature et immeuble par destination et envisagé comme le capital de l'agriculteur.

1845: création de la Société Protectrice des Animaux

Loi Grammont de 1850: Bonapartiste amoureux des chevaux, Grammont souhaite les protéger des sévices qu'il observe sur les créatures équines: 1 à 15 francs et 1 à 5 jours de prison pour les personnes faisant subir publiquement de mauvais traitements aux animaux

Arrêt Jousselin du 05 mars 1953: la garde des animaux est corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage qui caractérisent le gardien lors d'un événement dommageable. Autrement dit: qui possède un animal doit être en capacité de le contrôler: l'animal est sous la responsabilité de son propriétaire.

07/09/1959: créations de sanctions contre la cruauté envers les animaux y compris dans le cadre privé, remise de la bête maltraitée à une oeuvre de protection animale reconnue d'utilité publique afin de préserver ses intérêts.

12/11/1963: délit pour les sévices et actes de cruauté et contravention pour les mauvais traitements. La loi est étendue aux animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité

29/07/1974: ratification de la Convention Européenne par la France sur la protection des animaux en transport international et apparition des termes "bien-être animal" dans la loi

10/07/1976: renforcement de la loi sur les mauvais traitements, reconnaissance de la nature d'être sensible des animaux. Les associations peuvent intenter des procès pour défendre les intérêts des animaux maltraités. L'animal devient un objet possiblement mis sous tutelle Les animaux sauvages et la protection de leur environnement sont pris en compte. Les animaux sont déclarés sensibles psychologiquement et physiologiquement. Cependant, une idée de douleur utile reste présente malgré tout en fonction des besoins humains: élevage, transport, abattage. L'abandon volontaire est réprimé.

Décret n° 80-791 du 01/10/1980 (aujourd'hui remplacé par l'article L.214-3 relatif aux mauvais traitements): les devoirs du propriétaire sont: l'obligation d'aliments et de soins ainsi que le minimum de confort (l'animal doit être placé dans un environnement n’occasionnant pas de souffrances, de blessures ou d'accidents, des locaux ou cages ne doivent pas être trop exigus et les attaches inadaptées sont interdites)

Loi Nallet de 1989: l'identification des carnivores domestiques est rendue obligatoire

1992: le maître ne possède plus l'abusus à l'égard de l'animal mais doit se comporter selon une éthique sanctionnée par la loi pénale

Protocole n°10 du traité d’Amsterdam de 1997: l'animal a droit à la subjectivité et au respect moral. Cependant la loi laisse aux Etats la gestion de la faune sauvage ainsi que les animaux liés à la "tradition locale ininterrompue" comme le taureau de combat.

06/07/1999: distinction entre animaux et objets dans la loi

19/06/2007: le Parlement Européen interdit le commerce de fourrure de chien ou de chats en UE

L'animal et le marketing et la vente

Etre sensible ou pas, l'animal reste encore considéré par le législateur comme un objet. Il a donc une valeur. c'est une marchandise. Et une marchandise de prix...

En 2007, le marché animalier a représenté à lui seul en France plus de 3 milliards d'euros. Le budget vétérinaire pour soigner les animaux domestiques a augmenté de 100% en l'espace de 12 ans seulement !

Cette valeur marchande a conduit à des trafics, si bien que le trafic des animaux est devenu le 3e au rang mondial, derrière les armes et la drogue... L'acheteur est la plupart du temps un complice involontaire de ces trafics. En effet, pour prendre l'exemple des chiens: plus de 100000 chiots sont importés chaque année illégalement en France à partir de l’Europe de l'Est en transitant par la Belgique. Vaccinés et donc nantis d'un carnet de santé belge, les animaux peuvent passer la frontière française. Élevés dans des conditions de vie affreuses, les femelles enchaînant gestations sur gestations pour être rentables, non soignés, entassés dans des caisses... pour ensuite être vendus en animalerie. Quatre chiots sur 10 meurent avant d'arriver en France. Ce trafic est d'autant plus apprécié qu'il est très rentable: un chien vendu 150 euros dans les pays de l'Est sera cédé entre 600 et 1200 euros en animalerie française.

Les marketeurs et les vendeurs l'ont compris: l'animal peut rendre riche. Les adoptions résultent rarement d'un choix correctement anticipé et réfléchi: en matière d'animal, le coup-de-cœur fait force de loi. Il faut donc présenter la créature à vendre sous son jour le plus mignon, et ce quel qu’en soient les conséquences. Ainsi, la Société Centrale Canine relate qu'une campagne de publicité mettant en scène une race spécifique de chiens ferra progresser de manière importante la demande d'adoption pour cette race. On notera aussi l'influence des films et des dessins-animés comme les "101 Dalmatiens", le "Chihuahua de Beverly Hills" ou même "Ratatouille" qui a vu enfler la demande de "rats comme Rémy" auprès des éleveurs et des animaleries.

Cependant, la demande étant plus massive que l'offre, cet état de fait conduit souvent à des abus et des négligences. Le nombre trop restreint de reproducteurs correspondant à l'animal conduit à leur surexploitation, à une consanguinité importante non maîtrisée, des animaux plus fragiles ou malades, des élevages clandestins, de la maltraitance, des adoptions irréfléchies... Et bien sûr, des abandons massifs.

L'association 30 Millions d'Amis et BVA ont mené en 2008 une étude inédite en France sur l'abandon. Ils ont pu révéler que 93% des chiens abandonnés sont de grande taille car le propriétaire n'avait pas anticipé l'évolution physique du chien. 42% de ces chiens abandonnés ont été maltraités (pour moitié il s'agit de mauvaise alimentation et d'absence de suivi vétérinaire minimal et pour l'autre moitié il s'agit de véritables sévices).

L'animal et l'expérimentation animale

L'animal, et en particulier le rat et la souris, reste un modèle privilégié dans la recherche. En 2015, il s'agit de pas moins de 1 326 274 souris, 252 589 rats mais aussi 3 032 chiens, 7 364 porcs, 354 039 poissons... qui ont été utilisés comme animaux de laboratoire.

L'expérimentation animale a sans aucun doute permis de faire des progrès importants dans de nombreux corps de recherches. Si les animaux et les humains sont différents sur bien des aspects, ils ont aussi des particularités communes: le code génétique fonctionne de manière semblable, et ils sont tous deux dotés des même organes.

Si la recherche tend de plus en plus à utiliser des méthodes substitutives, l'expérimentation animale n'en reste pas moins très utilisée. Cette période transitoire aboutira très certainement à l'utilisation de ces techniques alternatives, une fois que ces dernières auront prouvé leur efficacité.

Cependant, si un code de déontologie existe pour traiter l'animal avec respect, l'opinion publique éprouve de plus en plus de réticences à accepter l'utilisation animale. Et en effet, aucune espèce animale ne peut être considérée comme un modèle biologique tout à fait fiable pour une autre.

Depuis juin 2007,le règlement REACH impose que les produits chimiques soient testés pour une éventuelle toxicité. Devant le nombre important d'animaux utilisés pour ces tests, Antidote Europe a mis au point une version alternative fiable, peu onéreux et rapide d'utilisation, capable de déterminer les caractéristiques d'une substance: cancérogénécité, mutagénécité, neurotoxicité, toxicité aiguë et chronique. Inclue en 1e lecture du règlement, cette méthode a été par la suite retirée.

De plus, la Charte d'éthique française sur l'expérimentation animale réclame qu'une analyse soit effectuée concernant l'utilité de l'expérimentation ainsi la pertinence de la méthode. Cependant, de nombreux tests engendrant douleur ou mort sont maintes fois répétés, parfois dans le cadre du cursus universitaire, alors qu'un simple résumé ou une vidéo aurait pu suffire. C'est le cas par exemple du test de la "Boîte de Skinner" qui consiste à administrer aux animaux des décharges électriques après certaines actions pour étudier le conditionnement. C'est aussi le cas des dissections en collèges ou lycées qui peuvent être remplacées par des vidéos explicatives, des logiciels de dissection virtuelle, voire des dérivés en plastique.

L'expérimentation sur les animaux est donc bel et bien considérée par une partie des professionnels de la recherche comme obsolète et irréaliste en tant que transposition au modèle humain. Elle est jugée indispensable actuellement par l'autre partie.

Conclusion de cet article

L'animal n'a jamais été autant protégé que de nos jours: penseurs, figures culturelles ou politiques et même communautés de citoyens défendent ses intérêts et militent ardemment pour lui. Paradoxalement, il n'a jamais été autant maltraité et marchandé. Prendre la mesure de la place de l'animal dans notre société devient difficile et crée des débats houleux. Le législateur veut que la loi reste propre à défendre l'humain, l'amoureux des animaux veut que la voix animale soit entendue et protégée. Mais quid des animaux qui ne font pas partie de nos foyers ? L'animal sauvage d'une part, qui n'a que le droit de se faire chasser ? Mais aussi la vache que l'on exploite pour son lait, le cochon que l'on mange, le vison dont on arrache la fourrure..? Doit-on accorder des droits à certains animaux et pas à d'autres ? Doit-on opérer un changement radical dans notre mode de pensée et de vie pour ne plus exploiter l'animal quel qu'il soit ?

Beaucoup de spécialistes des législations disent que, si nous nions les qualités omnivores de l'homme, que doit-on dire au lion qui mange une gazelle ? Si le crime animal est reconnu, qui défendra la gazelle contre le lion ? Si nous estimons que l'homme doit arrêter de consommer l'animal mais qu'il est dans la nature carnivore du lion de le faire, n'est-ce pas là un moyen de nous placer en êtres supérieurs ? Un être capable de passer au-dessus de ses besoins naturels, de les contrôler à l'inverse de la bestialité primitive de ce pauvre lion ?

D'un autre côté, doit-on encore voir appliquées sans rien dire les idées rétrogrades de Descartes et utiliser l'animal comme on pourrait le faire avec une simple machine ? Prendre son lait, sa laine, sa fourrure puis l'envoyer à la mort quand il n'est plus utile ou rentable, comme on enverrait un robot à la décharge...

Une chose est sûre, l'idée de la scala naturae, cette échelle hiérarchique des espèces avec l'homme à son sommet, est une idée dépassée.

Finalement, notre représentation personnelle de l'animal n'est jamais neutre: nous voyons une vision de l'animal déformée par nos convictions.

Le psychologue Robert Rosenthal a confié à ses étudiants deux groupes de rats. Le premier groupe était prétendument sélectionné pour sa très grande intelligence et l'autre groupe était d'intelligence banale, voire inférieure. Les rats du premier groupe prétendus brillants ont montré des résultats supérieurs aux tests d'intelligence: ils étaient manipulés par les étudiants avec respect et avaient développé une certaine complicité avec eux. En réalité, Robert Rosenthal avait choisi tous ces rats complètement au hasard...

Que l'on soit un défenseur ou un détracteur de l'animal, nous nous octroyons tous des droits sur lui. Le droit de parler en son nom et de savoir ce qu'il souhaite, ce qu'il pense, ce qu'il peut ou ne peut pas prétendre faire ou avoir...

Malgré tout, l'homme et l'animal sont très semblables en de nombreux points. L'objectif de l'un comme de l'autre reste toujours de privilégier le plaisir et d'éviter absolument toute forme de douleur...